Langue d’enseignement. Un débat stérile

L’opposition est excédée par l’énième report du vote du projet de loi-cadre de l’enseignement. L’adoption du texte a été reportée à aujourd’hui. La majorité peine toujours à accorder ses violons sur la langue d’enseignement. Même les députés du PJD sont divisés sur cette question.
La majorité s’achemine vers une véritable crise. La langue d’enseignement des matières scientifiques et techniques divise encore la majorité, au sein de la Chambre des représentants. Le bras de fer mené par le Parti de la justice et du développement se poursuit. La situation semble se compliquer même au niveau interne du PJD. Les députés du parti de la lampe ne parlent pas de la même voix. La réunion du secrétariat général du parti de la lampe, lundi dernier, n’a pas permis d’unifier les positions des parlementaires autour de cette question. Il faut dire que la sortie de l’ancien chef de file du parti, Abdelilah Benkirane, n’a fait qu’attiser les tensions et compliquer la mission de Saâd-Eddine El Othmani qui peine visiblement à rassembler ses troupes. Les députés des autres partis politiques, relevant aussi bien de la majorité que de l’opposition, n’hésitent pas à sortir l’artillerie lourde contre le PJD et l’accusent de surfer sur la vague idéologique.
Approchés par les Inspirations ÉCO, quelques parlementaires du parti de la lampe campent sur leurs positions. Ils plaident pour l’instauration de l’alternance linguistique, prônée par la vision stratégique de l’enseignement 2015/2030. Laquelle, rappelons-le, fait de la langue arabe une langue obligatoire enseignée et la langue d’enseignement à tous les niveaux des cycles scolaires. Le Conseil supérieur de l’enseignement recommande une nouvelle architecture linguistique fondée sur le plurilinguisme et l’alternance des langues en vue, entre autres, de faire bénéficier équitablement les apprenants de trois langues dans l’enseignement préscolaire et primaire: l’arabe comme langue principale, l’amazigh comme langue de communication et le français comme langue d’ouverture; l’anglais sera introduit en première année de collège (et en quatrième année de primaire à l’horizon 2025). Le conseil prône aussi la diversification des langues d’enseignement en introduisant progressivement l’alternance linguistique comme moyen de perfectionnement des langues en les pratiquant dans l’enseignement de certains contenus ou modules: «C’est ainsi que le français pourra être partiellement langue d’enseignement au lycée à court terme et au collège à moyen terme». C’est la mise en place de cette vision que défendent nombre de parlementaires du PJD, qui appellent à ce que la définition de l’alternance soit claire dans le projet de loi cadre, et à conserver la place de la langue arabe. La version «consensuelle » retenue par les présidents des groupes parlementaires de la Chambre des représentants définit l’alternance linguistique comme «une approche pédagogique et un choix éducatif progressif investissant dans l’enseignement plurilinguistique en vue de diversifier les langues d’enseignement aux côtés des deux langues officielles de l’État, et ce en enseignant certaines matières, surtout scientifiques et techniques, ou certains contenus ou modules de certaines matières en langues étrangères».
Le ministre de l’Éducation nationale, de la formation professionnelle, de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique, Said Amzazi, se veut rassurant, estimant que l’arabe restera la principale langue d’enseignement. Mais il faudra, selon lui, mettre fin à la déperdition universitaire en raison des difficultés linguistiques que rencontrent les étudiants lors de leur passage à l’université. Le changement s’impose, selon le responsable gouvernemental, qui tient à souligner que l’arabisation de l’université n’aura pas lieu. La tendance est plutôt à l’ouverture aux langues étrangères. Il ne s’agit pas uniquement de la langue française. Dans dix ans, une grande partie de l’enseignement sera dispensée en langue anglaise. La formation des enseignants est en cours pour atteindre cet objectif. Le projet de loi cadre va-t-il franchir le cap de la commission aujourd’hui? Le doute plane sur l’adoption du texte au cours de cette session extraordinaire. Après des réunions marathons, il s’avère difficile d’unifier les positions. En tout cas, il est fort probable de passer au vote même si le désaccord persiste sur le point de la langue d’enseignement des matières scientifiques et techniques. Un député du PJD nous confie qu’il est possible de voter contre les articles ayant trait à ce point et d’approuver le reste du texte pour marquer clairement la position politique du parti. Politiquement, ce scénario serait un coup dur pour la majorité et pour Saâd-Eddine El Othmani.