Langue d’enseignement. Les partis bataillent dur
La quête du consensus autour de la langue d’enseignement se poursuit au sein de la chambre basse. Si le désaccord persiste entre les composantes de la majorité, on passera au vote. C’est du moins ce qu’assure le Mouvement populaire.
Le projet de loi-cadre sur le système éducatif continue de diviser la majorité. La réunion de l’instance de la présidence de la majorité n’a pas permis d’avancer sur l’épineuse question de la langue d’enseignement. Le PJD maintient toujours sa position plaidant pour la consécration de l’arabe comme langue principale d’enseignement des matières tout en s’ouvrant sur l’enseignement des langues étrangères alors que ses alliés au sein de la majorité sont pour l’enseignement des matières scientifiques et techniques en langues étrangères (particulièrement le français) dès le primaire. C’est une grosse épine dans le pied du chef de gouvernement. Sâad Eddine El Othmani est appelé par ses alliés à résoudre ce point crucial au niveau interne de son parti. Il s’agit d’un véritable test pour la majorité. Le processus d’amendement du projet de loi-cadre de l’enseignement risque en effet de secouer de plein fouet la cohésion de la coalition gouvernementale qui tente de colmater ses brèches. Dès la semaine prochaine, on essaiera de nouveau de rapprocher les points de vue des uns et des autres autour de la langue d’enseignement. La majorité est à la quête d’un consensus autour du projet. Mais, ce n’est visiblement pas une condition sine qua non pour faire passer le texte. On passera au vote du projet quelle que soit l’issue des réunions qui seront tenues par les chefs de groupes parlementaires sous la présidence de Habib El Malki.
C’est en tout cas ce que soulignent aux Inspirations ÉCO le chef de file des Harakis, Mohand Laenser et le président du groupe parlementaire du MP à la Chambre des représentants, Mohamed Moubdii. «On ne va pas freiner tout un processus à cause d’un parti ou deux. Le bon sens veut qu’on soit tous d’accord. Si on n’arrive pas à un consensus, on passera au vote», souligne Moubdii.
Politiquement, le vote en rangs dispersés sera un coup dur pour la majorité gouvernementale. Ce scénario est écarté par le PJD, du moins pour le moment. Numériquement, les groupes parlementaires du Rassemblement constitutionnel, du MP et de l’USFP et le groupement du PPS ne peuvent pas faire passer leur amendement en commission et en plénière sans l’appui du groupe parlementaire du PAM. Le PJD, lui, fort de son poids numérique, s’il est appuyé par les députés de l’Istiqlal qui ont presque la même position sur ce dossier que ceux du parti de la lampe, risque de créer de grandes surprises pour ses alliés d’autant plus que ces derniers ne maîtrisent pas la présence de leurs parlementaires au sein de l’hémicycle et même en commission. Chaque partie doit miser sur la mobilisation de ses troupes en cas d’échec des négociations entre les présidents des groupes. Les prochains jours s’annoncent décisifs. Rappelons que le ministre de l’Éducation nationale tablait sur l’adoption par la Chambre des représentants du texte avant la clôture de la session automnale. Sauf que le bras de fer entre les groupes de la majorité a été on ne peut plus serré sur la question des langues. Selon une source interne, les chefs des groupes parlementaires avaient convenu de l’enseignement en partie ou en totalité des matières scientifiques en langues étrangères avant que le PJD ne se rétracte. Les députés Pjdistes tiennent à garder la notion d’alternance qui figure dans la vision stratégique du Conseil supérieur de l’éducation et de la formation, comme nous l’indique Hassan Adili, parlementaire de la commission de l’enseignement.
D’ailleurs, l’article 2 du projet de la loi-cadre fait référence à l’alternance linguistique et lui donne une définition. «Nous appelons à respecter la vision stratégique qui a fait l’objet d’un large débat entre toutes les sensibilités de la société», précise Adili.
Cette vision considère la langue arabe en tant que langue obligatoire enseignée et langue d’enseignement à tous les niveaux des cycles scolaires. Rappelons que le Conseil supérieur de l’enseignement recommande une nouvelle architecture linguistique fondée sur le plurilinguisme et l’alternance des langues en vue, entre autres, de faire bénéficier équitablement les apprenants de trois langues dans l’enseignement préscolaire et primaire : l’arabe comme langue principale, l’amazigh comme langue de communication et le français comme langue d’ouverture, l’anglais sera introduit en première année du collège (et en quatrième année du primaire à l’horizon 2025). Le conseil prône aussi la diversification des langues d’enseignement en introduisant progressivement l’alternance linguistique comme moyen de perfectionnement des langues en les pratiquant dans l’enseignement de certains contenus ou modules : «c’est ainsi que le français pourra être partiellement langue d’enseignement au lycée à court terme et au collège à moyen terme». Comment résoudre ce dilemme entre ce que prône le conseil et ce que propose le gouvernement ? Amzazi estime que les deux visions sont complémentaires. «Le conseil supérieur de l’enseignement a une mission consultative alors que le gouvernement a une mission exécutive», comme l’a récemment laissé entendre le ministre de l’Éducation nationale. Une analyse qui n’est pas partagée par les détracteurs de l’enseignement des matières scientifiques en français.
Mohamed Moubdii
Président du groupe parlementaire du MP
On ne dispose pas de facultés qui dispensent des formations des matières scientifiques en arabe ni d’ailleurs de chercheurs scientifiques qui travaillent en arabe et de références en arabe…Le Maroc est ouvert à toutes les langues et à toutes les cultures et on ne peut pas le cantonner dans un clan ou dans un autre.
Hassan Adili
Député du PJD
Il faut faire la distinction entre les langues enseignées et la langue d’enseignement des matières. Nous sommes ouverts à l’enseignement de toutes les langues mais l’arabe en tant que langue maternelle doit être la langue principale de l’enseignement des matières à l’instar de ce que font plusieurs pays dont les systèmes éducatifs sont performants.
Mise en œuvre progressive ?
Après son adoption, la loi-cadre sera-t-elle appliquée dès la prochaine rentrée ? Plusieurs voix s’élèvent pour appeler à la progressivité dans sa mise en œuvre, particulièrement en ce qui concerne la langue d’enseignement des matières scientifiques et techniques. Une évaluation de l’expérience actuelle notamment au niveau des collèges s’impose. D’aucuns soulignent la nécessité de commencer dès le préscolaire pour renforcer l’apprentissage des langues avant de passer aux niveaux supérieurs, à l’instar de ce qu’on fait dans l’enseignement privé. Il faut préparer le terrain et former aussi les enseignants. On plaide également pour le renforcement de la langue anglaise dans le système éducatif.