Maroc

L’aval royal fera-t-il taire les défenseurs du verset 282 ?

Bien que la décision du roi eût été motivée par un avis favorable du Conseil des Oulémas, les tenants de la lecture rigoriste du coran sont encore majoritaires au sein du Conseil national. La question des modalités d’accès et d’exercice reste en suspens.

La décision du roi Mohammed VI, prise le 22 janvier lors du Conseil des ministres, d’autoriser l’exercice, pour les femmes, de la fonction d’adoul, est un véritable tournant historique en matière d’authentification des actes. Jusque-là, le corps de métier était exclusivement masculin, alors qu’aucune disposition de la loi 16-03, publiée en 2008, n’impose le sexe masculin comme critère d’accès. En juillet dernier, le ministre de la Justice, Mohamed Aujjar, avait lancé un concours pour le recrutement de 700 adouls qui devait être ouvert aux hommes et aux femmes. Une initiative qui a provoqué une réaction féroce de la part des orthodoxes, pour qui le verset 282 de la sourate Al Baqara fait office de loi. «Demandez le témoignage de deux témoins parmi vos hommes. Si vous ne trouvez pas deux hommes, choisissez un homme et deux femmes parmi ceux que vous agréez pour témoins, afin que si l’une des deux femmes se trompe, l’autre lui rappelle ce qu’elle aura oublié».

Ainsi, selon les tenants d’une lecture rigoriste, le témoignage d’une femme vaut la moitié de celui d’un homme. Un débat théologique houleux s’est alors emparé de la profession, et face à l’impasse, un arbitrage royal a été demandé (cf: Les Inspirations ÉCO du 28 décembre 2018). Mais, maintenant que la question est tranchée, les réfractaires qui se disent «majoritaires», continueront-ils à faire du lobbying ? Le souverain a en effet rappelé avoir chargé le ministre de la Justice de se pencher sur l’examen de cette question et l’a transmise au Conseil supérieur des Oulémas pour émettre un avis à son sujet. «Après avoir pris connaissance de l’avis du conseil autorisant la femme à exercer la profession d’adoul, conformément aux dispositions de la chariâ relatives au témoignage (chahada) et ses différents types, et les constantes religieuses du Maroc, en premier lieu les principes du rite malékite, et en considération du haut niveau de formation et de culture scientifique acquis par la femme et de par la qualification, la compétence et la capacité dont elle a fait preuve dans les différentes hautes fonctions qu’elle a assumées» a ainsi expliqué le communiqué du cabinet royal.

En sus, la question des modalités d’exercice de la profession par les femmes reste en suspens. «Le rôle d’un adoul est d’apporter son témoignage en matière matrimoniale ou/et patrimoniale et de le sceller dans un acte authentique. L’adoul intervient ainsi lors des mariages et des partages d’héritages, ces matières étant régies, pour les musulmans, par le droit musulman, lequel est fondé sur le coran et la chariâ. Or, l’ouverture de la profession d’adoul aux femmes bute justement sur ce droit, car le témoignage des femmes y est discriminatoire et en contradiction avec le principe constitutionnel de l’égalité», explique Fatiha Daoudi, juriste. Si l’interprétation reste majoritaire au sein du Conseil national de la profession, l’on pourrait assister à un blocage juridique. «Cette lecture ne peut que décrédibiliser le rôle futur de la femme adoul et, à la limite, le vider de son sens, puisque le témoignage est à la base de la profession d’adoul. La discrimination des femmes en matière de témoignage est en total déphasage par rapport à l’article 19 de la Constitution marocaine et son principe de l’égalité qui sont censés régir le pays. Il semble que cette aberration juridique doive absolument et en priorité être rectifiée et ceci avant d’ouvrir la profession aux femmes. Autrement, nous risquons de nous retrouver face à son institutionnalisation et ainsi, seul le témoignage de deux femmes adouls équivaudrait à celui d’un homme adoul», conclue-t-elle. 


La fin de l’exceptionnalité de la profession ?

Le libéralisme économique ouvre forcément la voie au libéralisme religieux. Le cas de la «féminisation» de la profession d’adoul en est un exemple symptomatique. Le corps de métier est en effet l’un des derniers édifices de la société ancestrale, avec ses rites et ses pratiques. Et c’est en partie cela que défendent les réfractaires à l’accès aux femmes. Plus qu’une interprétation rigoriste du coran, il s’agit d’une volonté farouche de maintenir le caractère «exceptionnel» de ce métier. Car, faut-il encore le rappeler, ces opposants sont aussi ceux qui avaient grondé contre l’authentification par les adouls d’actes immobiliers ou bancaires, s’attachant aux questions de statut personnel. Une position «désintéressée» motivée par la même volonté de perpétuer des pratiques réellement «traditionnelles» et non simplement «folkloristes».


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