L'invité des ÉcosMaroc

Karim Achengli : “L’implémentation de l’État social incombe aux régions”

Karim Achengli, président du Conseil régional Souss-Massa, a un avis tranché sur la régionalisation avancée. S’il loue les avantages de ce chantier, ô combien important pour le développement des territoires et l’implémentation de l’État social dans les régions, il déplore quelques blocages. Le point dans cet entretien.

Quel regard portez-vous sur le chantier de la régionalisation avancée ?
La régionalisation avancée est un projet noble. Il a en effet été décidé en 2011 de lancer ce chantier. Suivant la volonté royale, l’État a entamé le processus de démocratisation par ce projet de régionalisation. En 2015, les premières lois organiques ont été votées.

Aujourd’hui, si vous me demandez mon point de vue, je pense que la régionalisation avancée a tout fait sauf avancer ! On ne peut pas espérer une régionalisation sans parler de déconcentration et de décentralisation. On ne peut pas parler de régionalisation sans parler de libre administration. On ne peut pas parler de régionalisation, si on ne parle pas de gouvernance locale et territoriale. On ne peut pas parler de régionalisation, sans convergence et de toutes les politiques publiques. Et on ne pourra pas parler de régionalisation avancée tant que nous n’avons pas les élus et les fonctionnaires qu’il faut, cela va de pair. La compétence humaine aujourd’hui est un élément important pour la régionalisation avancée. Or il y a un problème aujourd’hui de compétence.

Vous dites qu’il n’y pas de compétence ?
Ce n’est pas qu’il n’y a pas de compétence. Mais si on veut parler de compétence, il faut poser la question sur la légitimité de pouvoir juger cette compétence aujourd’hui. Je préfère davantage parler de confiance. D’où ma question : est-ce que le central a confiance aujourd’hui dans les élus ? Ce n’est pas à moi d’en juger. Il y a toutefois un rapport, aussi bien de la Cour des comptes que de Bank Al Maghrib, qui fait référence à plusieurs reprises à l’importance de la ressource humaine dans le destin du développement des territoires.

Ce qui est aussi important, parce que lorsqu’on parle de décentralisation (ndlr: transfert de compétences), il est bien de dire quelles sont les compétences des régents. Je veux parler des fameuses compétences propres, des compétences partagées et de celles qui sont transférées. C’est un phénomène de la régionalisation avancée qui bloque. Lorsqu’on parle de transfert de compétences ou de compétences transférables, il s’agit notamment de déléguer aux régions, avec le budget qui va avec, des compétences qui relèvent d’ordinaire des départements ministériels. Mais, aujourd’hui, qui est apte à juger si les régions peuvent gérer exercer des compétences ou pas ? C’est là que ça bloque !

Et quelle serait la solution face à ce blocage ?
Il faut mener un examen, surtout que la Constitution a été très claire. Elle stipule qu’une compétence transférable n’est pas acquise. C’est-à-dire que demain la région du Souss-Massa peut avoir une compétence transférée, alors que sa voisine de Marrakech ne l’aura pas. Donc, tout dépendra du bon vouloir du central.

Or, lorsqu’on parle de compétences transférées, on parle de compétences qui sont liées directement aux citoyens. Il s’agit généralement de la santé, de l’éducation et de l’emploi, donc des compétences très sensibles.

Aujourd’hui, le gouvernement aussi bien que les territoires ont une responsabilité lourde. Et pour cause, nous sommes responsables de la déclinaison du programme gouvernemental au niveau des régions qui sont d’ailleurs déjà, à ce stade là, immenses. L’État social nous incombe donc.

Quid de la déconcentration ?
Lorsqu’on parle de déconcentration, on parle de délégation de pouvoir du central vers les territoires, et la décentralisation c’est un transfert de compétences du central aux élus. Et lorsqu’on parle de concentration, il s’agit d’une délégation de pouvoir. Imaginez ce que c’est qu’une délégation de pouvoir ! Il faut savoir est-ce que nous avons les personnes qu’il faut à qui il est possible de déléguer les pouvoirs. C’est la même chose pour la décentralisation. Pour moi, l’État a accompli son devoir en initiant ce chantier.

Aujourd’hui, c’est aux responsables de prendre leur destin en main. Ce qui est en somme tout à fait légitime. Je pense qu’il serait cependant intéressant aujourd’hui de faire le point sur la régionalisation avancée, de savoir où est-ce qu’on en est ? où est-ce que ça bloque?

Probablement au niveau des moyens…
Je pense que la régionalisation avancée nécessite beaucoup d’argent. Elle nécessite pas autant de moyens que l’on ne pense, parce que nous disposons des moyens financiers qu’il faut si on nous donne la possibilité d’agir. Il y a, ce qu’on appelle communément dans notre jargon des conseils régionaux, un excédent budgétaire qui permet d’entrevoir l’avenir sous de meilleurs auspices. Sauf que nous n’avons pas la main dessus.

Le fait de pouvoir en disposer nous laisserait la possibilité d’aller lever des fonds très vite. Il y a aujourd’hui des entreprises qui ont des portefeuilles qui réussissent à se faire financer très rapidement, via des fonds d’investissement. Avec un portefeuille de 200 millions de dirhams, il est facile aujourd’hui de lever 1 milliard de dirhams. Les 200 millions sont garantis et le milliard est levé rapidement sur le marché financier.

L’opération est très simple, mais faut-il encore qu’on puisse nous donner la main et qu’on nous laisse agir. Sauf que c’est beaucoup plus compliqué dans la réalité. C’est donc pour tout cela que je dis que c’est un chantier très fort et important pour la démocratie de notre pays. Les régions ont un rôle primordial dans le développement durable et intégré des territoires. C’est une mission qui est très forte, mais faut-il encore qu’on puisse avoir la main sur le challenge de la mise en place de cette régionalisation avancée pour agir.

Maryem Ouazzani & Yassine Saber & Moulay Ahmed Belghiti / Les Inspirations ÉCO



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