Flexibilité du dirham, Intelaka, Deal sur Société Générale…. que retenir de la mise au point de Jouahri ?
Pour le premier conseil de l’année de la Banque centrale, Abdellatif Jouahri, wali de Bank Al-Maghrib, a levé le voile sur plusieurs points, notamment le bilan du programme Intelaka, les créances en attente de règlement et bien d’autres sujets…
Le Conseil de Bank Al-Maghrib (BAM) a maintenu le statu quo, lors de sa première réunion de l’année, en maintenant le taux directeur à 3%. Cette décision, conforme aux pronostics, est interprétée comme la manifestation d’une politique monétaire prudente et adaptée aux contingences actuelles. La justification des décisions de la Banque centrale s’appuie sur une analyse à moyen terme, couvrant une période de huit trimestres.
«Nous tenons en compte non seulement les tendances à court terme, mais aussi les perspectives et les conditions environnementales sur un horizon plus étendu», a soulevé le wali de Bank Al-Maghrib (BAM), Abdellatif Jouahri, lors d’une rencontre avec la presse à l’issue de la réunion du Conseil de BAM.
Cette approche vise à garantir la cohérence et la durabilité des décisions prises par la banque centrale, dans un contexte où l’incertitude économique reste élevée. Il ajoute que la décision de maintenir le taux directeur inchangé s’inscrit dans le contexte international marqué par des signes d’instabilité, comme en témoigne la récente décision de la Réserve fédérale américaine (FED) de maintenir également ses taux. Mais, ce ne fut pas seulement là le grand moment de cette rencontre, puisque, comme à l’accoutumée, Jouahri a joué le jeu des questions – réponses avec la presse, sans ambages et sans langue de bois.
Intelaka franchit le cap des 8 MMDH
Interrogé par Les Inspirations ÉCO, Jouahri explique que «les crédits décaissés dans le cadre du programme intégré d’appui et de financement de l’entrepreneuriat «Intelaka» ont franchi le cap des 8 MMDH». Jouahri insiste sur la surveillance rapprochée du programme Intelaka par le comité monétaire et financier, qu’il dirige de près, sur une base pratiquement mensuelle. Malgré le nombre considérable de bénéficiaires du programme, le wali relève un taux de rejet élevé, atteignant les 40%.
«Cela dit, les mesures d’accompagnement ont été renforcées, avec un budget doublé, atteignant les 200 MDH, pour assurer le succès des projets et éviter les écueils potentiels rencontrés par les porteurs d’idées», souligne-t-il.
De plus, Jouahri évoque un projet de rapport de la Cour des comptes sur le programme, actuellement en cours de maturation et qui sera partagé avec les parties prenantes une fois finalisé. En abordant le sujet des créances en souffrance, le gouverneur souligne leur importance cruciale, évoquant une réunion récente avec toutes les parties prenantes, y compris les ministères de la Justice, du Commerce et des Finances, ainsi que la Direction générale des impôts (DGI) et la Société financière internationale (SFI), dans l’espoir de faire fleurir ce dossier d’ici la fin de l’année.
«Nous sommes sur les 100 derniers mètres pour finaliser le tout», assure Jouahri. Et de relever l’aspect contractuel de la transaction entre la banque cédante et l’acheteur, soulignant le défi du provisionnement qui nécessite une approche réfléchie.
L’impact du resserrement des taux sur la croissance et l’emploi
Dans le cadre des récents ajustements des taux, le gouverneur de la banque centrale fournit des clarifications concernant les inquiétudes soulevées quant à leur incidence sur la croissance économique et l’emploi. «Alors que l’inflation semble prendre une tournure non transitoire, les banques centrales du monde entier se sont engagées à endiguer d’abord l’inflation avant de s’attaquer aux problèmes de d’emploi et de croissance», note-t-il.
Selon le wali, il est crucial de comprendre les conséquences désastreuses du désancrage des anticipations d’inflation. Lorsque les anticipations d’inflation s’éloignent de manière significative des objectifs fixés par les autorités monétaires, cela peut déclencher une spirale inflationniste auto-entretenue.
Cette situation se manifeste par une augmentation généralisée des prix, en particulier sur les produits de première nécessité. Corriger cette tendance exige des mesures drastiques et complexes, constituant ainsi un véritable défi pour les autorités monétaires. Face à ce risque, les banques centrales ont adopté une approche proactive.
D’un côté, elles ont augmenté les taux directeurs afin de prévenir tout désancrage des anticipations d’inflation. De l’autre, elles ont veillé à fournir des liquidités suffisantes au système bancaire, répondant ainsi à ses besoins sur le marché monétaire sans restriction.
Les prérequis de stabilité
Sur un autre registre, le wali exprime des réserves quant à la préparation du tissu économique national pour le passage à la prochaine phase de la réforme du régime de change flexible. Malgré les encouragements du Fonds monétaire international, il assure qu’il ne recommandera cette transition que lorsque les conditions nécessaires seront réunies pour assurer la stabilité économique.
Il souligne l’importance de consolider certains aspects fondamentaux, tels que la soutenabilité budgétaire à moyen terme, la solidité des réserves de change, la stabilité du système bancaire et la capacité de la banque centrale à gérer efficacement les réserves de change tout en maintenant le contrôle de l’inflation.
Jouahri met également en lumière les progrès réalisés sur le plan technique depuis 2018, en particulier avec le bon fonctionnement du marché interbancaire. Cependant, il souligne les défis persistants liés à la nécessité de former les acteurs du marché pour s’adapter à cette nouvelle phase.
«Certaines entités, en particulier les petites et moyennes entreprises, ainsi que les entrepreneurs individuels pourraient nécessiter un soutien supplémentaire pour réussir cette transition», affirme-t-il. Abdellatif Jouahri a, par ailleurs, mis en avant l’urgence de promouvoir la culture financière afin de contrer la préférence persistante pour l’utilisation du cash.
Il souligne l’importance de cette promotion, notamment en envisageant la création de capsules vidéo multilingues ciblant spécifiquement les populations des zones enclavées. La circulation fiduciaire constitue un défi majeur à relever, comme l’a souligné le wali, avec une croissance continue, passant d’environ 6% par an à 11% à l’heure actuelle. Dans cette perspective, Jouahri plaide en faveur d’une analyse approfondie des divers aspects de la circulation fiduciaire. Il insiste sur la nécessité de comprendre les facteurs sous-jacents qui contribuent à cette préférence pour le cash, notamment l’informel, les implications fiscales, ainsi que le critère de confiance. Une telle approche analytique permettrait d’élaborer des stratégies efficaces pour encourager l’utilisation des services financiers numériques et réduire la dépendance au liquide.
Société Générale Maroc – Saham Finances
Le gouverneur a révélé un événement majeur : la réception du top management de la Banque Société Générale. Une rencontre stratégique qui, selon lui, visait à éclaircir les enjeux réglementaires de plus en plus contraignants auxquels fait face le groupe financier en Afrique, laissant ainsi entendre la possibilité d’un retrait de ce marché. Abdellatif Jouahri a mis en lumière l’impératif d’obtenir une nouvelle licence bancaire en cas de changement de contrôle au sein de la filiale marocaine.
De plus, Bank Al-Maghrib devra mener une analyse détaillée du projet en question. L’objectif principal étant d’assurer que toute modification future soit bénéfique tant pour la banque que pour le système bancaire national. Pour rappel, des pourparlers sont actuellement en cours avec Saham Finances en vue d’acquérir 57% de parts dans Société Générale Maroc.
Le rôle central du capital humain dans le modèle économique
Au cœur des réflexions sur le développement économique se trouve un sentiment d’optimisme mesuré, laisse entendre le gouverneur. «Le Maroc peut s’appuyer sur des secteurs tels que l’industrie et le textile, où son expertise a été solidement établie. Cependant, maintenir cette dynamique nécessite une vision stratégique et la capacité à saisir les opportunités au bon moment», fait-il remarquer.
Selon lui, la compétitivité sur la scène économique mondiale repose de plus en plus sur la qualité du capital humain. Dans un contexte où les avancées technologiques exigent une adaptation constante, il est essentiel d’investir dans le développement des compétences individuelles. La planification stratégique devient alors un élément clé pour anticiper les changements et maintenir l’équilibre économique. En gardant un œil vigilant sur des aspects fondamentaux, tels que la stabilité monétaire et la maîtrise de l’inflation, le Maroc peut naviguer avec assurance dans les eaux agitées de l’économie mondiale. En capitalisant sur les atouts du capital humain et en adoptant une approche proactive, le pays peut s’assurer une croissance durable et équilibrée.
Kenza Aziouzi / Les Inspirations ÉCO