Maroc

Établissements de paiement : levier pour résorber la fracture socioéconomique

Avec 13,8 millions de comptes ouverts à fin 2024, les établissements de paiement s’imposent comme une alternative crédible dans le paysage bancaire. Ce succès, porté par les transferts sociaux et un assouplissement réglementaire, s’accompagne d’une vigilance accrue de la Banque centrale, qui veille à prévenir tout débordement systémique dans un écosystème encore novice et peu capitalisé.

Pour amorcer ses grands chantiers, le Maroc a dû consentir un solide coup de pouce financier aux différentes catégories sociales. Il a ainsi misé sur des politiques de soutien ciblées – en particulier dans le logement social et le développement des infrastructures locales -, la finalité étant de tenter d’endiguer les effets disruptifs des fractures économiques et sociales. Avec quelques années de recul, on peut considérer que ces efforts ont également participé à l’essor des établissements de paiement.

Inclusion financière
Au titre de l’exercice 2024, les flux traités par les canaux transactionnels, qu’il s’agisse d’agents agréés ou de plateformes mobiles, ont été multipliés par quatre pour atteindre 43,6 milliards de dirhams (MMDH), selon le dernier rapport sur la stabilité bancaire.

Cette progression notable s’appuie sur un maillage territorial désormais étendu à tout le Royaume. Implantés dans les grands centres urbains, ces relais ont aussi permis de soutenir l’ancrage local dans des zones rurales longtemps restées en marge. Ce déploiement doit beaucoup aux transferts sociaux opérés par l’État, qui ont agi comme levier d’inclusion financière. En conditionnant certaines aides à la détention d’un compte de paiement, les autorités ont ouvert une brèche dans les usages.

À fin 2024, plus de 13,8 millions de comptes étaient ouverts, contre 10,3 millions un an plus tôt. Les comptes de niveau 3, limités à 20.000 dirhams, concentrent près de 40% des ouvertures, guidées principalement par les besoins du quotidien.

Risques techniques
Le boom des établissements de paiement, s’il traduit une extension des usages, ne saurait masquer certaines fragilités. Avec un total-bilan encore modeste, de l’ordre de 7,5 milliards, ces structures demeurent peu capitalisées. À cela s’ajoute une exposition non négligeable aux risques techniques et opérationnels.

Ces vulnérabilités tiennent, pour une part, à la dépendance accrue à des systèmes d’information parfois sous-dimensionnés, mais aussi à la complexité croissante des chaînes d’externalisation, notamment dans l’hébergement ou le traitement des flux. En 2024, la Direction générale de la sécurité des systèmes d’information (DGSSI) a ainsi fait état d’une recrudescence des attaques visant les opérateurs de paiement mobile, en particulier par le biais d’API insuffisamment sécurisées.

Cette vulnérabilité s’amplifie à mesure que le maillage territorial s’étoffe. En 2024, le réseau des établissements de paiement a franchi le cap des 32.000 points physiques, en dehors des agences bancaires, avec une croissance portée quasi exclusivement par les mandataires.

Près de la moitié de ces points permettent d’effectuer des transferts, d’ouvrir un compte de paiement ou d’assurer des opérations de cash in et cash out. Mais cette montée en charge, concentrée dans les grandes régions urbaines, accentue la pression sur les infrastructures techniques. Cette dernière étant appelée à s’intensifier au vu de l’expansion commerciale en cours.

Instruments de veille
Consciente des fragilités persistantes, Bank Al-Maghrib ajuste progressivement son arsenal. La Banque centrale, sans céder à l’alarmisme, affine ses instruments de veille. Une réforme du cadre bancaire prévoit d’introduire des leviers d’intervention “précoces”.

D’ailleurs, un texte en attente d’adoption, rend possible la désignation d’un administrateur provisoire, le gel temporaire de certaines dettes et, le cas échéant, une recapitalisation par les actionnaires. Ces dispositifs s’ajoutent à la batteries de mesures adoptées visant à conforter la résilience du secteur bancaire, notamment la création d’un marché secondaire pour les créances douteuses, pour alléger les bilans et libérer des capacités de distribution de crédit. Les encours non performants, qui atteignent encore 97 MMDH, restent élevés malgré une légère baisse constatée à fin 2024.

«La qualité du portefeuille s’améliore, mais certaines poches de fragilité subsistent», observe Nabil Badr, directeur adjoint de la Direction de la supervision bancaire (DSB) auprès de Bank Al-Maghrib.

Pour rappel, ce marché permettrait aux établissements de céder une partie des actifs en question à des opérateurs spécialisés, sans compromettre les exigences de transparence. Le développement en ce sens des instruments de paiement, aussi prometteur soit-il, implique pour le moins une lecture plus fine des vulnérabilités.

La Banque centrale desserre l’étau réglementaire autour des paiements numériques

Bank Al-Maghrib rebat les cartes du secteur des paiements numériques afin de faciliter la pénétration des services dans les zones peu desservies. Elle relève ainsi les plafonds appliqués aux comptes et transferts au même titre que l’élargissement du statut des agents de paiement.

En parallèle, pour promouvoir la concurrence sur le marché monétique interbancaire, il a été décidé que les banques exercent individuellement cette activité à travers une filiale spécialisée, dans la finalité de dynamiser le réseau de paiement par carte. Dans le même sillage, BAM a plafonné les frais d’interchange en vue de réduire les coûts des paiements monétiques.

Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ÉCO



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