Établissement de protection sociale… le grand cafouillage
Ce sont 130 établissements de protection sociale autorisés qui ont été passés sous le scan de la Cour des comptes, soit 53% du total de ces établissements, ainsi que 17 établissements non autorisés prenant en charge les personnes en situation difficile.
Une mission pour le moins minutieuse qui a compris également 67 établissements répartis sur les différentes régions du royaume lesquels ont fait l’objet de visites sur place. Ety le moins que l’on puisse en dire c’est que les conclusions des inspecteurs de la Cour sont désastreuses.
Il ressort en effet des travaux de la Cour, selon un rapport fraichement rendu public ce matin, que le nombre d’établissements (246) et leur capacité d’accueil (29.755) étaient bien en deçà des besoins de prise en charge. . Selon une étude citée par le rapport, la capacité d’accueil au niveau de la seule Région de Casablanca couvrait en 2014, à peine 6% des personnes en situation de précarité recensés. Egalement, 34 établissements sur l’échantillon des 147, soit une proportion de 23%, accueillent des effectifs qui dépassent leur capacité autorisée. Ce dépassement atteint même 800% pour certains d’entre eux.
S’agissant du niveau des ressources, la juridiction financière révèle que les établissements de protection sociale ne peuvent se permettre d’engager des projets d’investissement (création, équipement et maintenance). « Tout au plus, il permet de couvrir lescharges d’exploitation eu égard au niveau modique du soutien financier émanant de l’Etat, de l’Entraide nationale, des autres établissements publics et des collectivités territoriales », ajoute la Cour. Le rapport note que les ressources totales des établissements de protection sociale prenant en charge les personnes en situation difficiles (les 147 établissements de l’échantillon) au titre de la période 2012-2016 ont atteint 965 MDH, soit une moyenne annuelle de seulement 192 MDH dont plus de la moitié est apportée par la Bienfaisance.
Il faut savoir que le soutien public apporte une « contribution modique de 72 MDH en moyenne annuelle (359 MDH sur la période 2012-2016) ce qui représente à peine les 37% des ressources totales de ces établissements », note le rapport. L’Entraide nationale est le premier pourvoyeur public des fonds (12% des ressources des établissements de protection sociale), suivi par les autres établissements publics et les collectivités territoriales (10% pour chacun d’eux), puis par le ministère de la Solidarité, de la Femme, de la Famille et du Développement social avec une contribution à près de 5% de total des ressources. « Du reste, les ressources propres des établissements de protection sociale ne comptent que pour 12% du total de leurs ressources avec un montant moyen annuel de 23 MDH », précise la même source.
Vous avez dit soutien public ?
A la modicité des ressources, est-il souligné par les équipes de Driss Jettou, « s’ajoute l’irrégularité des montants des subventions et le retard dans leur versement. Ainsi, et à titre d’exemple, les subventions de l’Entraide nationale, au titre de l’année 2016, n’ont pu être versées qu’au cours de la période allant d’octobre 2016 à avril 2017 ».
En 2016, les établissements de protection sociale ont compté près de trois mille employés. La Cour des comptes rappelle avoir signalé l’insuffisance des ressources humaines au regard des critères d’encadrement établis par les lois et règlements concernant les établissements de protection sociale. Dans son rapport, elle note le faible niveau des salaires et l’absence d’un statut attractif qui puisse permettre au personnel de jouir de ses droits sociaux et d’évoluer sur le plan professionnel. « Ainsi, près du quart des établissements ne disposent pas de directeur, 64% du personnel perçoivent moins que le Salaire Minimum Interprofessionnel Garanti et 29 % parmi cette population ne bénéficient d’aucune couverture sociale », note le document. La mobilisation des ressources humaines nécessaires se heurte, non seulement à l’insuffisance des ressources financières, mais aussi à la rareté ou à l’indisponibilité de certains profils plus spécialisés (psychologues, psychiatres, kinésithérapeutes, orthophonistes…), indiquent les auteurs.
(Sous) équipement
Pour ce qui est des conditions techniques minimales exigées et des critères d’équipement, la Cour relève qu’une bonne partie des établissements visités ne se conforme pas aux critères arrêtés. Le rapport constate que 23% des établissements visités se trouvent implantés dans des endroits non adaptés à proximité d’activités à fortes nuisances sonores, dans des zones éloignées des populations cibles ou difficiles d’accès à l’intérieur des villes anciennes. Prenant toujours comme base les établissements visités, ajoute le rapport, la Cour révèle que 42% de ces établissements ne se conforment pas aux critères fixés pour certains locaux (bloc d’hébergement, magasin ou cuisine), que pour 44% des établissements visités, les constructions sont dans un état de vétusté avancée du fait notamment de l‘absence de programmes de maintenance et que 25% des établissements visités s’occupent, en dépit des risques pour les enfants, dans la même enceinte et sans séparation physique des locaux, de catégories différentes de bénéficiaires (personnes âgées, enfants, malades mentaux…). Par ailleurs, la Cour relève que 54% des établissements visités n’observent pas les exigences de sécurité et que 45% desdits établissements, n’offrent pas les accessibilités nécessaires.
D’ailleurs, la Cour dévoile que les dépenses alimentaires ne dépassent pas 2000 DH par bénéficiaire pour 60% des établissements de protection sociale et que le pallier de 8000 DH par bénéficiaire n’est franchi que pour 3% seulement des établissements.
Quant aux dépenses allouées aux activités éducatives, elles représentent à peine 4% des dépenses de fonctionnements des établissements de protection sociale. Elles ont même baissé de 18% entre 2012 et 2018 ce qui dénote du faible niveau de prestations dans le volet éducatif.
Le rapport de la Cour dévoile également que 26% des établissements visités ne se conforment pas à l’objet et aux conditions d’octroi des autorisations dans l’exercice de leurs activités, notamment en ce qui concerne les catégories de bénéficiaires à prendre en charge, le lieu d’hébergement ou la nature des prestations.
Par ailleurs, la Cour a noté que 35% des établissements visités se trouvent contraints d’accueillir des personnes atteintes de maladies mentales au lieu de les diriger vers les structures de santé, plus enclines à leur assurer une prise en charge appropriée. 40% des établissements visités n’arrivent pas à assurer le suivi sanitaire adéquat des personnes prises en charge. Cette situation tient à l’insuffisance du nombre des cadres de santé, mais aussi, au défaut de délivrance automatique de la carte du Régime d’Assistance Médicale RAMED aux bénéficiaires bien que la loi leur accorde le droit de profiter de ce Régime.
La Cour révèle que 61% des établissements visités prenant en charge les enfants en situation difficile éprouvent des difficultés à assurer leurs besoins de scolarité. Elle note en particulier que ces établissements ne bénéficient pas, comme il se doit, des aides et programmes d’appui social à la scolarité (les programmes Tayssir et un million de cartables, les pensions alimentaires, les aides accordés aux internats, les bourses servies aux étudiants et stagiaires des centres de formation professionnelle…).
Si le règlement intérieur fixe l’âge maximal en dessous duquel l’établissement peut prendre en charge les enfants en situation difficile, la Cour constate que 35% des établissements visités, à défaut d’avoir donné à ces personnes les qualifications et la préparation nécessaires pour qu’elles puissent s’intégrer socialement et professionnellement, ne parviennent pas à mettre en application cette disposition.
Quelques chiffres
Les statistiques arrêtées à fin décembre 2016 font état de 1.051 établissements répartis entre 805 établissements en appui au système d’éducation (maisons de l’étudiant et de l’étudiante) et 246 établissements autorisés prenant en charge des personnes en situation difficile notamment les personnes handicapées, les personnes âgées sans soutien, les enfants abandonnés, les enfants et les femmes en situation difficile.
Dans son rapport, la Cour des comptes a noté le rôle central joué par la société civile et la bienfaisance dans la gestion et le financement des établissements de protection sociale prenant en charge les personnes en situation difficile malgré les contraintes et les difficultés. La Cour a indiqué que la bienfaisance assurait à elle seule 51% des ressources de ces établissements sur la période 2012-2016.