Entretien. Guila Clara Kessous: “L’entreprise de demain ne sera pas performante par l’intelligence artificielle, mais par l’intelligence du cœur”

Guila Clara Kessous
Ambassadrice de la Paix et Artiste de l’UNESCO pour la Paix
Loin des discours convenus, Guila Clara Kessous, Ambassadrice de la Paix et Artiste de l’UNESCO, récemment honorée pour son leadership par l’association Bouabate-Fès, partage sa passion pour son concept d’Heartificial Intelligence, une approche qui remet l’humain au cœur de l’entreprise. Elle nous explique pourquoi les dirigeants d’aujourd’hui doivent plus que jamais cultiver l’humilité, l’écoute et l’intelligence émotionnelle. Guila Clara Kessous livre ses secrets pour développer ces compétences essentielles, et nous éclaire sur l’importance des KBI (indicateurs de comportement), qui vont bien au-delà des traditionnels KPI (indicateurs de performance).
En quoi le coaching est-il devenu un outil indispensable pour les dirigeants d’aujourd’hui, et quelles compétences spécifiques permet-il de développer pour faire face aux défis actuels ?
Le coaching est essentiel pour les dirigeants modernes, avant tout pour cultiver l’humilité. Il s’agit d’accepter que l’on ne peut pas tout savoir, surtout face aux nouvelles générations qui remettent en question le modèle hiérarchique traditionnel du «je sais, tu fais».
Les dirigeants doivent désormais adopter une approche plus horizontale et collaborative : «Nous faisons ensemble, et nous apprenons ensemble». Le coaching les accompagne dans cette transition. Il leur permet d’acquérir de nouvelles connaissances, de nouveaux savoir-faire intellectuels, mais aussi, et c’est crucial, de développer de nouvelles compétences comportementales. Cela implique de mieux communiquer, de faire preuve d’intelligence émotionnelle, de maîtriser l’art de la négociation et de s’adapter à la diversité.
Personnellement, j’utilise beaucoup les techniques théâtrales, comme les jeux de rôle, pour travailler la prise de parole en public, des compétences transférables à bien d’autres situations. Ces compétences – communication, intelligence émotionnelle, négociation – sont devenues vitales dans un monde en constante évolution, marqué par des crises comme la pandémie ou les conflits internationaux. Le dirigeant doit être capable de réagir rapidement et efficacement. Le coaching l’aide à développer cette «intelligence situationnelle», cette capacité à prendre les bonnes décisions face à l’imprévu, sans quoi il risque de perdre en efficacité.
Vous avez mentionné les KPI, indicateurs de performance bien connus. Mais vous parlez aussi de KBI, une notion moins familière. Pouvez-vous nous expliquer ce que sont les KBI et en quoi ils complètent les KPI ?
Les KPI, ou Key performance indicators, sont effectivement les indicateurs clés de profit, que toute entreprise utilise pour mesurer sa performance économique. Ils sont généralement définis et évalués lors des entretiens annuels.
Cependant, j’ai proposé d’ajouter une nouvelle dimension avec les KBI, ou Key behavioral indicators, qui sont les indicateurs clés de comportement. Il ne suffit pas de constater si un objectif a été atteint, il faut comprendre comment il l’a été. C’est là qu’interviennent les KBI. Ils permettent d’évaluer les compétences comportementales : la maîtrise de la négociation, la qualité de la communication, l’efficacité relationnelle.
Par exemple, est-ce que la personne est capable de gérer des relations avec des collègues qui présentent une résistance émotionnelle ? On parle ici des «soft skills», ou compétences douces, qui sont essentielles. Sans un travail sur soi, il est difficile de les développer. Les KBI deviennent donc des marqueurs précieux pour évaluer comment une personne mobilise ses compétences comportementales pour atteindre ses objectifs, et donc, in fine, contribuer aux KPI de l’entreprise.
Vous opposez «Heartificial intelligence» et «Intelligence artificielle», en soulignant l’importance du facteur humain et du «followership». Concrètement, comment une entreprise peut-elle cultiver cette «Heartificial intelligence» pour favoriser l’engagement et la performance durable ?
Effectivement, j’ai forgé le terme «Heartificial intelligence» en opposition à l’Intelligence artificielle. «Heart», le cœur, symbolise l’importance de l’humain dans l’entreprise. Il ne s’agit pas seulement de chiffres et d’objectifs, mais de créer un environnement où les salariés se sentent bien, en sécurité, sans avoir «la boule au ventre».
Ce n’est pas une question de simple gentillesse, mais de performance. Un bon environnement de travail stimule l’engagement, ce que j’appelle le «followership», c’est-à-dire l’adhésion des collaborateurs. C’est un facteur clé d’efficacité.
On parle beaucoup de leadership, mais un leader ne peut rien sans une équipe qui le suit et qui adhère à sa vision. C’est là qu’intervient l’ «Heartificial Intelligence», cette capacité à créer du lien, à motiver, à fédérer. C’est bien plus que l’Intelligence artificielle, c’est ce qui donne une âme à l’entreprise et la rend réellement performante sur le long terme.
Quel message souhaitez-vous faire passer aux entreprises marocaines, et plus spécifiquement aux femmes dirigeantes, pour les aider à progresser, compte tenu de votre engagement pour le «Women empowerment» ?
Mon message aux entreprises marocaines est d’intégrer pleinement la dimension comportementale dans leur stratégie. C’est un levier de performance trop souvent négligé. Et j’ai un message particulier pour les femmes dirigeantes : investissez dans votre développement personnel. Travaillez votre positionnement stratégique, développez votre intelligence situationnelle.
Cela vous permettra non seulement de gagner en compétences, mais aussi en reconnaissance et en légitimité. Trop souvent, une femme qui n’a pas suffisamment travaillé ses compétences émotionnelles peut être perçue comme réagissant «à chaud», voire avec colère.
Dans le monde de l’entreprise, cela peut être stigmatisant et conduire à des jugements injustes, comme celui d’être «hystérique». Il est donc crucial pour les femmes dirigeantes de maîtriser leur intelligence émotionnelle et situationnelle. Cela passe par un travail sur le leadership, sur la communication, sur la gestion des émotions… C’est un investissement essentiel pour s’affirmer, être plus stratégique, et briser les plafonds de verre. Ce travail sur l’empowerment féminin est au cœur de mon approche.
Mehdi Idrissi / Les Inspirations ÉCO