Enseignement préscolaire : les parlementaires ont rendu leur verdict
Les députés viennent de livrer un constat certes, sans surprises, sur la situation de l’enseignement préscolaire, mais qui interpelle l’ensemble des parties sur leurs responsabilités. En dépit des avancées, beaucoup reste à faire tant sur le plan financier, que pédagogique et juridique. Le point sur ce verdict sans appel ainsi que sur les recommandations phares.
Le verdict des parlementaires de la Chambre des représentants, qui ont mené une enquête sur l’enseignement préscolaire depuis 2019, est sans ambages. Les objectifs fixés par la Charte nationale d’éducation et de formation et par le plan d’urgence sont restés, dans leur majorité, des vœux pieux pour plusieurs raisons, dont la définition d’objectifs irréalistes par rapport à la réalité du terrain et la non prise en compte de plusieurs préalables nécessaires à la mise en œuvre de la réforme tant sur le plan organisationnel que juridique.
C’est pourquoi le Maroc a décidé, en 2018, de prendre le taureau par les cornes en vue de remédier aux multiples dysfonctionnements qui émaillent le préscolaire et entravent sa généralisation. Là encore, et malgré les avancées qu’a connues le secteur depuis le lancement du plan national de la généralisation du préscolaire dont l’atteinte d’un taux de préscolarisation de 72,5 % en 2019/2020, nombre de défis persistent. À leur tête, figure la nécessité d’améliorer la gouvernance du secteur qui est marqué par la multiplicité des intervenants. Ceci crée une grande disparité en matière d’objectifs, d’approches adoptées, de moyens de formation des éducateurs, etc.
À cet égard, les députés plaident pour la nécessité de réformer le cadre juridique afin que le ministère de l’Éducation nationale soit l’unique département de tutelle.
Actuellement, les établissements du préscolaire relèvent non seulement du ministère de tutelle mais aussi du ministère des Habous et des affaires islamiques, du ministère de la Jeunesse ainsi que de l’Entraide nationale. Le ministère de l’Éducation devrait être, selon les parlementaires, la seule partie habilitée à octroyer les autorisations pour la création des classes du préscolaire, à encadrer ceux qui travaillent dans le secteur, à élaborer les programmes pédagogiques conformément au cadre référentiel national et à suivre et contrôler les établissements.
La concrétisation de cet objectif reste tributaire de l’accélération de l’adoption des textes prévus par la loi-cadre de l’éducation et de la formation, notamment la loi relative à l’enseignement scolaire. Le cadre juridique et organisationnel devra renforcer les attributions des structures au niveau régional et provincial en matière de supervision des programmes et des projets du préscolaire. Il s’avère aussi nécessaire de mettre en place un cadre de formation efficace au profit des éducateurs et éducatrices, qui devront être formés dans les Centres régionaux des métiers d’éducation et de formation.
Un intérêt particulier devra, par ailleurs, être porté à ces professionnels qui ne bénéficient actuellement pas d’un statut valorisant alors que leur rôle est de la plus haute importance pour améliorer la qualité du préscolaire.
La situation financière de plusieurs d’entre eux est, en effet, des plus précaires. Les rémunérations citées par le rapport parlementaire ont de quoi interpeller les responsables du secteur: certaines éducatrices touchent à peine un salaire mensuel situé entre 700 et 1.500 dirhams. Pis encore, leur rémunération est suspendue durant les vacances scolaires d’été et certains partenaires faillissent à leurs engagements en faisant preuve d’irrégularité dans le versement des indemnités dues à ces salariés. C’est devant une telle situation, qu’il devient donc nécessaire d’adopter un cadre juridique garantissant les droits de cette catégorie professionnelle. Les députés proposent même de créer un cadre spécifique pour que les éducateurs du préscolaire soient des fonctionnaires des Académies régionales d’éducation et de formation (AREF).
Gratuité
Il est également recommandé de garantir la gratuité de l’enseignement préscolaire, afin d’atteindre la généralisation escomptée. Jusque-là, l’offre publique est encore bien en deçà des aspirations. Et même l’approche de partenariat adoptée avec la société civile souffre encore de quelques dysfonctionnements qui déteignent sur la durabilité de l’offre de gratuité de certaines associations. À titre d’exemple, face au retard accusé en matière de transfert des subventions, certaines associations se trouvent contraintes de demander des frais mensuels aux familles pour la gestion et le paiement des salaires des éducatrices.
Par ailleurs, les familles sont souvent contraintes de se rabattre sur le secteur privé pour préscolariser leurs enfants. À ce titre, les députés ont constaté de grandes disparités en matière de tarifs mensuels, lesquels varient entre 700 et 1.300 dirhams.
Warnings
Le pari de la généralisation du préscolaire et de l’amélioration de sa qualité est encore loin d’être gagné même si sur le plan quantitatif, les chiffres ont connu une avancée palpable. Si la réforme n’est pas accélérée, elle risque de se heurter à plusieurs obstacles qui retarderont la mise en œuvre de ses objectifs.
Dans ce cadre, le développement des partenariats est un volet clé nécessitant nombre de mesures et de mécanismes pour mettre fin aux couacs actuels. Il s’agit, en premier lieu, de la nécessité d’établir un cadre spécifique pour le rôle de la société dans le secteur tout en définissant la responsabilité de l’État.
En ce qui concerne les subventions accordées aux associations, le renforcement de la transparence est de mise, de même que l’unification de l’approche de répartition de ces subventions. Celles-ci varient de 24.000 DH, par an et par classe octroyés aux associations par les AREF, à 55.000 dirhams débloqués par l’Initiative nationale pour le développement humain. À cela, s’ajoute l’impératif de mettre en place un cadre juridique relatif à l’intervention de l’association des parents d’élèves. Des commissions devront suivre et évaluer les différents partenariats dont ceux ayant trait aux collectivités territoriales.
Celles-ci sont appelées à jouer un rôle essentiel en matière de généralisation du préscolaire et d’amélioration de sa qualité. Les collectivités territoriales pourront en effet jouer un rôle déterminant en milieu rural en facilitant le transport scolaire des enfants. Pour leur part, les entreprises sont appelées à se mobiliser pour contribuer à la concrétisation des objectifs du plan national, à travers notamment la mise en place d’un système de parrainage.
Sur le plan pédagogique, il est temps de mettre fin à la cacophonie qui marque le secteur en imposant aux différents intervenants tant publics que privés d’adopter le cadre référentiel élaboré par le ministère de l’Éducation nationale et d’utiliser exclusivement les manuels approuvés par ce département, tout en prenant en compte les spécificités géographiques, culturelles et linguistiques en matière d’élaboration et de mise en œuvre des programmes éducatifs.
Quid du financement ?
Le budget estimé pour la généralisation de l’enseignement préscolaire, entre 2018 et 2028, est de 30,22 milliards de dirhams. A cet égard, le plan national s’appuie sur des ressources variées, tant publiques que privées, ainsi que différentes contributions, sans pour autant spécifier la part de chaque partie. Les députés plaident pour la nécessité de rendre disponibles les données financières des contributions des différentes parties au programme national pour renforcer la transparence et faciliter le contrôle et l’évaluation. Ils insistent aussi sur le renforcement de la coordination avec le ministère de l’Intérieur et le reste des services gouvernementaux pour que les collectivités territoriales puissent consacrer un soutien constant et régulier dans leurs budgets à l’enseignement préscolaire. Chaque partie concernée devra redoubler d’efforts en matière de financement.
Du côté du ministère de l’Éducation nationale, des ressources financières supplémentaires sont à débloquer pour promouvoir le secteur, car le budget alloué au préscolaire demeure encore faible. Les dépenses publiques consacrées à ce secteur ne dépassaient pas 0,7 % du budget du département de l’Éducation nationale en 2018 et 1,49 % en 2019. La loi de Finances 2020 a mis en place certaines mesures pour financer le secteur, dont la création du Fonds spécial pour la promotion du système d’éducation et de formation.
Par contre, le budget de 2021 n’a pas programmé de crédits au profit de ce fonds. Les crédits transférés aux académies au titre du plan national du préscolaire sont de 750 millions de dirhams en 2019 et de 1,1 milliard en 2020. Quant aux crédits d’engagements au titre de 2021, ils sont de 493 millions de dirhams.
Par ailleurs, les députés recommandent le renforcement du contrôle sur les associations et les établissements qui bénéficient des subventions publiques dédiées au préscolaire. Ceux-ci devront être audités régulièrement par la Cour des comptes, est-il préconisé. Il s’avère aussi essentiel de définir le coût référentiel de gestion d’une classe de préscolaire afin de l’imposer à tous les intervenants en vue de protéger les droits de ceux qui y travaillent et garantir un cadre propice à l’apprentissage pour les enfants.
Jihane Gattioui / Les Inspirations Éco