Maroc

Enquête VIH: les grands oubliés de la crise sanitaire au Maroc

Les personnes vivant avec le VIH ont vécu différemment cette crise sur les plans psychologique, économique et sanitaire. Tous les regards sont tournés vers la Covid-19, laissant de côté cette catégorie très vulnérable. Enquête.

Elles se sentent seules et souvent abandonnées… Depuis le déclenchement de la pandémie de la Covid-19, plusieurs personnes vivant avec le Virus de l’immunodéficience humaine (PVVIH) souffrent en silence. Une situation exacerbée par les effets de la crise sanitaire et la stigmatisation liée au VIH. Le contexte de pandémie pèse sur cette catégorie vulnérable en général et sur les groupes de populations clés de cette catégorie en particulier. Car qui dit PVVIH, dit groupes de populations devant faire face à la fois au syndrome de l’immunodéficience acquise (Sida), au risque de contamination au nouveau coronavirus et aux conséquences des restrictions imposées pour limiter la propagation de ce dernier. Et bien que la situation diffère d’une catégorie à l’autre, la grande famille des PVVIH vit de manière générale un triple calvaire. Un calvaire psychologique, du fait des craintes liées aux risques sur le système immunitaire des malade, le virus ayant fortement perturbé leur accès aux soins médicaux et au système de santé. Un calvaire économique car, du jour au lendemain, une grande partie d’entre eux – allusion faite aux professionnels du sexe – s’est retrouvée sans source de revenus en raison du caractère informel et illégal de leur métier. Du point de vue social, la crise sanitaire a augmenté la pression sur cette catégorie à cause de la stigmatisation dont elle souffre. Comment les PVVIH vivent-elles cette pandémie? Comment ont-elles vécu le confinement obligatoire ? Quel est l’impact de la crise sanitaire sur cette frange particulièrement vulnérable de la société ? De quelle façon la Covid-19 a-t-elle exacerbé la stigmatisation, réduisant à néant les droits fondamentaux de cette catégorie sociale ? Pour apporter des réponses à ces questions, les Inspirations ÉCO a mené enquête dans la région Souss-Massa qui recense plus de 23% des cas de VIH/SIDA au Maroc, selon la situation épidémiologique arrêtée à fin septembre 2019. Cette région compte aussi des acteurs de la société civile fortement engagés dans l’aide aux PVVIH. Qu’ils occupent des postes de direction, de coordination, de médiation ou d’agent de terrain, ces soldats de l’ombre, dont on n’a que peu parlé durant cette pandémie, étaient en première ligne pour venir en aide aux PVVIH.

Une souffrance double
«Il va sans dire que le confinement a engendré chez les PVVIH un stress supplémentaire. En effet, pour leur suivi, il fallait aller à l’hôpital en empruntant les transports en commun. Se rendre à l’hôpital augmente le contact avec les gens et, partant, le risque de contamination à la Covid-19. Ne pas se faire soigner ou s’exposer au risque, quel mal choisir ?», s’interroge le docteur Abdelali El Youbi, président de l’Association Sud contre le SIDA (ASCS). Et d’ajouter que «le confinement, les restrictions de déplacement ainsi que la fermeture des sites de rencontre ont réduit à zéro le revenu de l’une des catégories de PVVIH, allusion faite à la population des professionnels du sexe». De ce fait, «la pandémie est une véritable épreuve et source de souffrances pour cette catégorie. Cela a eu pour conséquence une plus grande vulnérabilité ainsi qu’une précarité socio-économique et sanitaire». À en croire Manal (ndlr : par souci d’anonymat, nous avons utilisé des pseudonymes pour les témoignages.) qui a révélé son infection au VIH à sa famille, «la pandémie a engendré une double pression sur les PVVIH. Personnellement, je ne sors que rarement de la maison à cause des risques liés à l’immunodéficience». Avec l’augmentation exponentielle du nombre de cas positifs à la Covid-19, cette crise affecte davantage cette catégorie de personnes. «Les effets psychologiques de l’épidémie, notamment l’isolement, m’ont plongée dans la dépression», affirme cette PVVIH qui vit avec ses parents. La situation d’Amal est encore plus compliquée car elle a été dépistée positive au VIH quelques mois avant le début de la pandémie. «Les conditions de la Covid-19 en général, et du confinement en particulier, ont amplifié mon sentiment de solitude et d’isolement. Je n’arrive toujours pas à accepter le fait d’être atteinte du VIH», nous confie-elle. Actuellement sans revenus, elle vit avec sa sœur qui partage son secret. «Je ne suis pas encore prête à parler de ce sujet avec un psychologue, ni à le divulguer à ma famille par crainte de leur rejet», ajoute-t-elle. Pour sa part, Fadoua estime que sa «situation en tant que PVVIH ne l’a pas anéantie». Au contraire, c’est l’état de santé de sa mère, qui souffre d’insuffisance rénale, qui lui pèse en ce contexte de pandémie, particulièrement lors du confinement, en raison des restrictions de déplacement et des risques de contamination. «La double charge du VIH et des séances de dialyse de ma mère m’épuise sur le plan financier et moral, alors que mes jours de travail sont peu nombreux. Cette situation a limité mes moyens de subsistance», indique Fadoua. Pour Mohamed, «cette pandémie a fait oublier aux PVVIH leur maladie, car la plus grande pression est liée au facteur économique et à l’accès aux soins».

Des difficultés d’accès aux services de soins
Confrontées aux répercussions doublement sanitaires, à une pression psychologique et à une grande précarité économique, les PVVIH sont l’une des catégories vulnérables oubliées. Selon l’Association Sud contre le SIDA, la réorganisation des services de santé, après le confinement, a créé des difficultés d’accès aux services de soins médicaux, notamment hospitaliers. Un constat largement confirmé par les témoignages recueillis auprès des PVVIH. «Les moyens humains et matériels de l’hôpital et du laboratoire de l’hôpital Hassan II d’Agadir ont été réorientés et concentrés sur la problématique de la Covid-19. Par conséquent, les tests de dépistage du VIH, qui étaient réalisés quotidiennement, n’ont plus lieu qu’une fois par semaine. Ceci explique la lenteur dans la réalisation des tests et la délivrance des résultats», explique Abdelali El Youbi. Par conséquent, le stress lié à l’attente et à l’incertitude a été plus important et prolongé. En d’autres termes, «une personne détectée positive doit actuellement attendre au moins deux semaines après le premier test pour avoir le résultat final. Dans ce sens, il faut imaginer l’état psychologique d’une personne attendant la réalisation du test de confirmation», précise Ghizlane Mghaimimi, directrice nationale des projets de l’ASCS. Pour toutes ces raisons, «les personnes qui n’ont pas pu attendre le fameux jour réservé à la confirmation du diagnostic VIH ont amplifié le nombre des perdus de vue sans prise en charge ni suivi. Évanouies dans la nature, elles constituent une source d’infection qui aurait pu être contrôlée», prévient le docteur El Youbi. De plus, dans la situation actuelle, et par manque de moyens, les PVVIH ne bénéficient pas d’un suivi aussi rigoureux qu’avant, selon l’ASCS. En se rendant à l’hôpital, les PVVIH ont peur d’être contaminées par des cas de coronavirus.

Peur d’une rupture du stock de médicaments
À ces difficultés, il faut ajouter d’autres contraintes imposées par la pandémie en général et le confinement en particulier. Il s’agit des craintes liées à la rupture du stock de médicaments. «Durant la période de confinement, bien qu’aucune rupture de traitement n’ait été constatée grâce à l’anticipation des besoins, une pression sur les médicaments a été enregistrée. À cet égard, les acteurs, en l’occurrence les agents de l’ALCS, ont procédé à la livraison du traitement aux PVVIH étant donné qu’il leur était très difficile de se déplacer pour le récupérer», rappelle Laila Kadouari, coordinatrice du Centre de santé sexuelle et reproductive relevant de l’ALCS. Le confinement, qui a précipité nombre de PVVIH dans des situations difficiles, a nécessité un suivi à distance par la psychologue clinicienne de l’ALCS, ainsi qu’une assistance alimentaire à certains travailleurs du sexe dans le cadre du Programme national de lutte contre le Sida (PNLS), appuyé par le Fonds mondial de lutte contre cette affection. «Il s’est avéré qu’une grande partie de cette catégorie avait besoin d’un soutien socio-économique à travers la distribution d’environ 400 paniers alimentaires par mois, et la remise des traitements durant le confinement, en raison des différentes restrictions de déplacements imposées», affirme Laila Kadouari. Outre cette distribution de paniers, des initiatives ont été lancées par d’autres structures pour venir en aide aux PVVIH. Si une partie a bénéficié des paniers alimentaires, il n’en demeure pas moins que la livraison du traitement a été un véritable défi à relever, les PVVIH ayant choisi de garder leur maladie secrète peinaient à récupérer eux-mêmes leur traitement. Une situation qui nécessitait de mettre en place des stratagèmes, de faire preuve d’inventivité pour assurer ce droit fondamental. Leurs options étaient limitées. Contraignantes mais salvatrices, elles consistaient à permettre aux PVVIH de récupérer leur traitement hors de chez elle en choisissant, avec les acteurs sociaux, un lieu de rendez-vous, à les remettre à des personnes de confiance ou encore à les placer, une fois récupérés, dans d’autres emballages.

La vulnérabilité économique, un autre facteur fragilisant
Toutes les PVVIH interrogées s’accordent sur le fait que la vulnérabilité économique est l’un des facteurs qui affectent le plus leur quotidien. La première répercussion majeure de cette pandémie sur cette catégorie, selon l’Association Sud contre le Sida, est l’arrêt de leurs revenus. Il en découle une aggravation de leur précarité. «Si certaines personnes ont pu toucher les aides de l’État dans le cadre du Fonds national de gestion de la Covid-19, beaucoup de personnes travaillant dans l’informel et ne pouvant déclarer une activité non reconnue n’ont bénéficié d’aucune aide officielle», tient à préciser Dr El Youbi. Certains, ne pouvant s’acquitter de leur loyer, se sont retrouvés sans toit et ont été recueillis – pour les plus chanceux – dans des centres d’hébergement. Résultat : une nouvelle vulnérabilité, et la privation d’un des droits les plus élémentaires, celui d’avoir un logement. Sans ressources, sans possibilité d’hébergement, nombre d’entre eux se sont retrouvés sans domicile fixe. «Mon frère a mis une chambre à ma disposition. Je n’ai aucun revenu fixe, alors que mon enfant est également atteint de VIH», révèle Souad. La précarité économique ajoute à la vulnérabilité de cette catégorie. Faute de moyens, beaucoup ne peuvent se procurer ni masque ni solution hydro-alcoolique pour se prémunir contre la Covid-19, accroissant leur vulnérabilité, selon l’ASCS. Pour les professionnels du sexe, les difficultés d’approvisionnement en préservatifs ont poussé certains d’entre eux à avoir des rapports sexuels non protégés pendant le confinement. «Tous ces éléments ne resteront pas sans répercussion sur la prévalence du VIH et autres maladies sexuellement transmissibles, surtout lorsqu’on sait que parmi eux, il y a des personnes vivant avec le VIH», souligne le président de l’ASCS. Autre fait marquant et non des moindres: les difficultés d’accéder aux moyens contraceptifs. Celles-ci ont donné lieu à des grossesses indésirables. Cette situation aura inévitablement des répercussions sur la prévalence du VIH. «Il faut s’attendre à la diminution du nombre de cas positifs détectés car le dépistage n’a pas été réalisé cette année, lors des campagnes mobiles couramment initiées durant la période estivale ou à l’occasion de la tenue des festivals et autres événements», prévient Ghizlane Mghaimimi, la directrice des programmes de l’ASCS.

Le dépistage s’amenuise, la stigmatisation persiste
L’Association Sud contre le Sida prévoit une augmentation significative du nombre de cas positifs au VIH lorsque les actions de dépistage seront de nouveau menées. Notons que cette situation pandémique a également induit la suspension des activités de la maison d’accueil, première maison du genre au Maroc. «À l’exception des groupes virtuels, les PVVIH sont actuellement privées des occasions d’échanger avec les autres malades, mais aussi de se livrer à des activités culturelles et ludiques», explique Sakina, médiatrice sociale à l’ALCS. Aussi, l’Université des PVVIH a été annulée cette année, la dernière édition ayant été organisée à Marrakech. Par ailleurs, les témoins rencontrés confirment la persistance de la stigmatisation et du rejet des PVVIH en général, et des professionnels du sexe en particulier. Selon l’ASCS, certains ont déclaré ne pas avoir bénéficié des aides à cause de la discrimination, tandis que ceux identifiés et connus comme tels par les agents d’autorité ne pouvaient demander de l’aide du fait de leur statut. Par ailleurs, si cette période de pandémie a vu l’exacerbation des violences à l’égard de certaines catégories, les PVVIH rencontrées ont affirmé être encore plus qu’avant confrontées à la stigmatisation, à la discrimination et au rejet de leur entourage. Certaines rapportent avoir été victimes de violences verbales et physiques. «Mes bagages sont toujours dans un coin de la chambre que j’occupe avec mon enfant. Certes, ma famille est au courant de ma maladie, mais l’un de mes frères m’insulte constamment et je n’ai aucun autre choix que d’encaisser», confie Souad. La stigmatisation de cette catégorie continue à se nourrir des stéréotypes et du manque de connaissances sur cette maladie. Les préjugés ont la peau dure. «Quand j’ai annoncé ma maladie à ma sœur, j’ai senti que j’avais une alliée pour m’appuyer. Mais au quotidien, et partageant le même espace, des difficultés ont commencé à apparaître, ce qui a installé une pression constante. Chaque geste, chaque partage d’espace ou d’objet déclenchait chez ma soeur la peur d’être contaminée. Elle m’a demandé de ne pas mélanger nos serviettes, de ne pas préparer ensemble nos repas, de faire attention lorsqu’on utilise les toilettes communes…», nous confie Manal. Une autre forme d’isolement, de rupture et de rejet s’installe ainsi entre les deux sœurs. «Ce n’est qu’avec le temps, l’accompagnement de l’ALCS et la maison d’accueil que ma sœur est arrivée à accepter cette situation» ajoute Manal. Pour les femmes et hommes atteints du VIH, faire fi de cette stigmatisation relève du parcours du combattant. Afin de préserver leur identité lorsqu’ils se présentent à l’hôpital Hassan II pour accéder aux soins nécessaires, ils tendent d dissimuler leur visage sous un foulard, des lunettes ou une casquette. pour dissimuler leur identité, ou plutôt une situation qu’ils n’ont pas choisie. 

Yassine Saber / Les Inspirations Éco


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