Emploi : le CDI, en voie d’extinction ?
Désormais, les diplômés Bac +5 doivent longuement rechercher un emploi avant de tomber sur un travail convenable. Pour les moins «gradés» avec peu d’expérience, l’attente est encore plus insoutenable, et ce, quel que soit le domaine d’activité.
Des milliers de Marocains ont perdu leur emploi à cause de la crise sanitaire. À ce lot de sinistrés, il faudra ajouter plusieurs centaines de milliers de jeunes fraîchement diplômés et qui devront encore patienter avant de signer leur premier contrat de travail. Une attente qui risque d’être très longue. La situation du marché du travail gravement détériorée par la crise sanitaire et économique ne présage rien de bon pour les nouveaux arrivants. Il suffit de regarder les chiffres du Haut-commissariat au plan, relevant du 2e trimestre de l’année 2021, pour avoir une idée de l’ampleur des dégâts. Rien que durant cette période de l’année en cours, alors que la population active a augmenté de 248.000 personnes, le nombre de personnes au chômage a grimpé de 313.000 personnes, en majorité en milieu urbain.
En tout, le Maroc a enregistré officiellement 1.370.000 demandeurs d’emploi en milieu urbain, 1.605.000 pour l’ensemble du territoire et un taux de chômage de 18,2% dans les villes touchant davantage les femmes que les hommes. Et ce n’est pas tout. Le taux de chômage en milieu urbain étant de 47,2% pour les 15-24 ans et de 28,3% pour les 25-34 ans. En clair, les jeunes diplômés, à qui on a demandé de jouer des coudes et de faire des concessions pour entrer dans la vie active, devront encore attendre des jours meilleurs, comme le confirme Amine Diouri, directeur études & communication d’Inforisk. «Je crois sincèrement que ça va être très difficile pour nos jeunes diplômés pour les prochains mois, voire prochaines années ». Amine Diouri d’expliquer que même les métiers dits du futur sont concernés par la crise de l’emploi au Maroc. «Dans le domaine de la data et du service, quand on cherche un analyste stagiaire, on reçoit énormément de demandes avec des profils très pointus pour un seul poste. Ce qui montre qu’aujourd’hui, les entreprises ne recrutent pas», explique notre interlocuteur à qui les chiffres donnent largement raison. En effet, 5.077 défaillances d’entreprises ont été enregistrées au cours du premier semestre de l’année en cours, alors que 38% des entreprises marocaines affichent un retard de paiement d’au moins 90 jours, ce qui place le royaume parmi les plus mauvais élèves en la matière. La situation est plus critique chez les TPE marocaines de plus en plus confrontées à la problématique de l’allongement des délais de paiement, selon une étude du cabinet Inforisk. Pendant ce temps, les chefs d’entreprises sont face à un mur géant d’incertitudes.
«Pour créer de l’emploi, il faut d’abord de la croissance. Ce qui nécessite un investissement important dans les bons secteurs d’activité, sachant que personne ne sait ce que les mois à venir nous réservent», souligne Amine Diouri.
La bonne nouvelle, le royaume attend d’avoir la plus forte croissance parmi les dix plus grandes économies africaines, en 2021. Le cabinet britannique de conseil et d’analyse de données, GlobalData Plc, basé à Londres, qui avait révélé cette information en août dernier, tablait sur une croissance du PIB marocain de 5,19%, contre 5,8% précédemment annoncé par le Haut-commissariat au plan (HCP). Une autre consolation, le dispositif étatique pour la lutte contre le chômage des jeunes diplômés sera maintenu. Celui-ci consiste à généraliser l’exonération de l’IR durant les 24 premiers mois de recrutement et applicable depuis janvier 2021, à condition de signer un contrat à durée indéterminée avec le jeune recruté. Un rallongement de cette exonération pour une durée de 36 mois est également prévu pour constituer un garde-fou supplémentaire contre la précarité. Les dispositions actuelles montrent que l’exonération concerne l’IR prélevé sur une base salariale de 10.000 DH pour les entreprises dont la date de création se situe entre janvier 2015 et décembre 2022. Mais pas sûr que ce dispositif permettra de sauver les jeunes formés dans les écoles et universités aux pratiques pédagogiques moins formatrices. Pendant ce temps, les étudiants encore en formation redoutent que leurs diplômes n’aient pas suffisamment de valeur, à cause notamment du chamboulement des agendas universitaires. Ce qui les condamnerait à subir le même sort que leurs aînés.
Khadim Mbaye / Les Inspirations ÉCO Docs