Drame de Sbata : Pas de suivi du chantier !
Exigé dans tout chantier, l’avis d’ouverture du chantier de l’immeuble de Sbata, qui s’est effondré vendredi dernier, causant la mort de 4 personnes, n’a pas été délivré par l’architecte chargé du chantier. Le président du Conseil régional de l’Ordre des architectes déclare que les travaux ayant été exécutés dans la surélévation de ce bâtiment ont été effectués en l’absence totale d’un suivi du chantier.
Les Inspirations ÉCO : Selon vous, quelles pourraient être les causes de l’effondrement de l’immeuble de Sbata ?
Karim Sbai : La première chose à souligner, c’est que d’après nos investigations, il y a eu surélévation du deuxième étage en 2013. En 2014, il y a eu une autre autorisation pour la surélévation des 3e et 4e étages. Avant de parler des causes réelles de la tragédie, il faut savoir que lorsqu’on élabore un projet, le chantier ne peut démarrer si on ne remet pas ce qu’on appelle l’avis de l’ouverture de chantier. Ce document, qui doit être signé par l’architecte auteur du projet, est en principe exigé par l’Administration (préfecture et commune) pour ouvrir le chantier. Dans le cas de Sbata, cet avis d’ouverture de chantier n’a pas été donné par l’architecte. Cela signifie que les travaux ayant été exécutés, aussi bien du 2e, du 3e que du 4e étage, ont été effectués en l’absence totale d’un suivi du chantier. Cela est très grave. Il faut dire que la responsabilité incombe au maître d’ouvrage (propriétaire). En effet, celui-ci, dans le contrat qu’il signe avec son architecte, s’engage à aviser l’architecte du démarrage des travaux. Cela veut dire qu’il n’a aucunement le droit de démarrer le chantier sans en aviser l’architecte. Or, dans ce cas de figure, le maître d’ouvrage n’a pas du tout procédé ainsi. Et, disons-le, l’erreur incombe aussi à l’Administration qui a fermé les yeux et n’a pas exigé l’ouverture de ce chantier. Il ne suffit pas d’avoir une autorisation, il faut qu’il y ait un suivi sur place. Cela n’a pas été le cas pour la construction de Sbata, qui s’est faite en l’absence de professionnels.
Quelle serait l’autre erreur ?
Pour faire n’importe quelle surélévation, l’architecte comme l’Administration doivent normalement exiger une expertise, laquelle doit être réalisée par un ingénieur spécialisé. Or, dans le cas de Sbata, celle-ci a malheureusement été faite par un non professionnel. Ce qui est grave et scandaleux, c’est que celui-ci n’a même pas été dépêché sur les lieux de construction. Il n’a même pas pris connaissance de la structure existante. Il a tout simplement donné une attestation de faux et usage de faux en disant que la structure peut supporter des étages supérieurs.
Est-ce à dire que ce document «bidon» est délivré pour les autres cas de surélévation à Casablanca ?
Malheureusement, oui. Dans beaucoup de cas de surélévation à Casablanca, ce document «bidon» est délivré. Notons que, lorsque le drame de Bourgogne est survenu, nous avions déjà lourdement insisté sur le fait de ne plus accepter ce genre d’attestation. Plusieurs cas d’effondrements ont endeuillé dernièrement le secteur. Le sinistre de Bourgogne n’a, semble-t-il, pas servi de leçon . Il faut dire qu’il y a un laisser-aller qui dénote malheureusement d’un manque de professionnalisme et d’un manque de conscience professionnelle. Cela signifie que les gens, aussi bien l’Administration qu’un certain nombre de «soi-disant» professionnels et de promoteurs, sont principalement intéressés -malheureusement- par le gain d’argent, et ce, au détriment de la sécurité des citoyens. Si chacun faisait les choses correctement et prenait toutes les garanties nécessaires pour qu’aucun problème technique ne survienne, on n’aurait pas ce genre de drame. Pourquoi n’est-ce pas encore le cas? Tout ce que je peux vous dire, c’est que cela est dû à un manque de professionnalisme et à un manque d’engagement de l’Administration. Je pense qu’il est temps que l’Administration fasse un peu le point sur tout ça, et que l’on prenne les dispositions nécessaires pour mettre un terme à ce genre de pratiques. Je pense que l’Administration en a les moyens.
Avec tous ces effondrements, le constat est que les gens font des modifications dans leur logement sans que cela interpelle les autorités locales, notamment à l’approche des élections. Quel est votre constat, au sein de l’ordre ?
Notre constat, à l’ordre, est alarmant et décevant. C’est inconcevable que, en 2016, l’Administration ferme encore les yeux sur ce genre de pratiques qui sont très coûteuses, en termes de vies. Dans plusieurs arrondissements de la ville, à l’approche des élections, des travaux sont en effet en cours de réalisation. Cependant, nous ne comptons pas nous taire. L’Ordre des architectes a quand même une responsabilité dans ce qui se fait dans la ville. Et on ne va pas nous faire taire sous prétexte que des élections ou autres auront lieu. Il y a tout de même un travail de fond que nous allons mener dans ce cadre. Pour commencer, nous demandons que l’Administration arrête de délivrer «les petites autorisations» pour les petites modifications. Car, disons-le, les gens se cachent derrière ces autorisations de réfection pour construire, couvrir des terrasses et pour ajouter des chambres en terrasse, etc. Il faut définitivement arrêter de délivrer ces petites autorisations qui sont à l’origine de beaucoup de problèmes.