Dividendes, prêts, cession d’actifs : nouvelles règles de couverture pour les investisseurs étrangers
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Alors que les turbulences monétaires mondiales s’intensifient, le Maroc offre aux investisseurs étrangers une sécurité inédite face au risque de change. Quatre secteurs clés (dividendes, prêts, avances, cessions) bénéficient désormais de couvertures de change formalisées, sous contrôle réglementaire. Détails.
La Circulaire n°02/2025 autorise désormais les non-résidents à couvrir dividendes, prêts, avances et cessions d’actifs, sous condition de transparence et de limitation temporelle. Publiée le 25 février 2025, la circulaire de l’Office des changes marque un tournant dans la gestion du risque de change pour les non-résidents.
En élargissant les possibilités de couverture, cette réforme répond à un double objectif : sécuriser les flux financiers transfrontaliers et renforcer l’attractivité du Maroc auprès des investisseurs étrangers. Pour en saisir les enjeux, décryptons les nouveautés et leurs implications concrètes pour les acteurs économiques.
Un périmètre élargi pour les opérations de couverture
Avant la Circulaire n°02/2025, les non-résidents opérant au Maroc devaient composer avec un cadre restrictif les exposant pleinement aux fluctuations du dirham lors d’opérations financières clés. Les mécanismes de couverture de change, lorsqu’ils existaient, étaient fragmentaires et soumis à une logique administrative rigide, freinant la fluidité des investissements étrangers. La réforme introduite par l’Office des changes comble ces lacunes en ciblant quatre axes stratégiques.
D’une part, les actionnaires non-résidents percevant des dividendes ou parts de bénéfices devaient auparavant assumer seuls le risque de dépréciation du dirham entre la décision de distribution et le paiement effectif.
Désormais, les banques peuvent proposer des contrats de couverture dès validation du montant par l’assemblée générale, réduisant ainsi l’écart entre rendement théorique et rendement réel. Une prévisibilité renforcée qui sécurise les flux de revenus des investisseurs, un argument clé dans les décisions d’allocation d’actifs. La documentation exigée (procès-verbal d’AG, identification des bénéficiaires) garantit la transparence sans complexifier les démarches.
D’autre part, les créanciers internationaux prêtant aux entités marocaines via des devises étrangères étaient exposés aux aléas des taux de change lors des remboursements échelonnés. Le nouveau dispositif permet de couvrir capital et intérêts sur la base d’échéanciers contractuels, à condition que les banques vérifient l’origine en devises des fonds initialement mobilisés. Une mesure qui aligne les flux de trésorerie sur des taux prédéfinis, éliminant un risque majeur pour les prêteurs étrangers.
Par ailleurs, les associés non-résidents injectant des liquidités via des comptes courants ne bénéficiaient d’aucun outil formalisé pour sécuriser leurs remboursements, malgré le cadre défini par l’article 156 de l’IGOC 2024.
La circulaire comble ce vide en autorisant des couvertures adossées aux conventions d’avance, sous réserve de justifier le financement initial en devises. Une flexibilité qui encourage les capitaux étrangers à soutenir les sociétés résidentes, sachant que leur sortie ne sera pas minée par les variations de change. Enfin, les investisseurs étrangers cédant ou liquidant des actifs financés en devises devaient auparavant naviguer dans l’incertitude jusqu’au rapatriement des fonds.
Désormais, les produits de ces opérations (hors dépôts à terme) peuvent être couverts, à condition de prouver l’origine en devises de l’investissement initial. Une sécurisation des stratégies de sortie essentielle pour attirer des fonds à long terme, notamment dans des secteurs comme l’immobilier ou les infrastructures.
Au total, ces avancées transforment la gestion du risque de change d’un obstacle en un levier d’attractivité. En offrant une meilleure maîtrise des flux transfrontaliers, le Maroc positionne son marché comme une destination prévisible pour les capitaux internationaux, tout en préservant la stabilité financière grâce à des garde-fous réglementaires stricts.
«Cette évolution devrait renforcer l’attractivité du marché marocain auprès des investisseurs étrangers et fluidifier les opérations de rapatriement de capitaux tout en assurant une meilleure gestion du risque de change», réagit Ibrahim Rais El Fenni, expert-comptable, commissaire aux comptes.
Un équilibre entre fluidité et contrôle
Pour préserver l’équilibre entre innovation financière et stabilité systémique, la Circulaire n°02/2025 instaure un cadre réglementaire minutieux, conçu pour éviter toute dérive spéculative.
Premièrement, chaque opération de couverture doit impérativement être adossée à des flux financiers réels et documentés – contrats de prêt, échéanciers de remboursement ou procès-verbaux d’assemblées générales –, éliminant ainsi les couvertures «virtuelles» déconnectées de l’économie productive.
Deuxièmement, la durée des contrats est plafonnée à douze mois, une période cohérente avec le cycle habituel des opérations en capital. Les prolongations ne sont autorisées qu’en cas de report dûment justifié de l’opération sous-jacente, évitant les renouvellements automatiques propices à la spéculation.
Troisièmement, l’interdiction de compensation oblige les banques à traiter chaque position de change de manière isolée, empêchant la mutualisation des risques qui pourrait amplifier les chocs systémiques.
Enfin, l’exigence de conventions ISDA ou FBF harmonise les pratiques avec les standards internationaux, clarifiant les droits et obligations des parties (calcul des marges, résolution des litiges) et renforçant la sécurité juridique des transactions.
«Ces garde-fous sont essentiels pour éviter que le marché des changes ne devienne un terrain de jeu spéculatif», insiste un analyste.
Ce dispositif place les banques marocaines face à un double défi : développer une expertise pointue en ingénierie financière (swaps, options de change) tout en renforçant leurs procédures de conformité, notamment via la vérification systématique des justificatifs d’opérations sous-jacentes.
En effet, l’enjeu est de taille : permettre aux investisseurs étrangers de se prémunir contre le risque de change sans compromettre la résilience du système financier national.
Pour la petite histoire…
Le 15 janvier 2018, le Maroc a entamé une transition volontaire et graduelle de son régime de change fixe vers un régime plus flexible. Cette première phase a consisté à élargir la bande de fluctuation du dirham de ±0,3% à ±2,5% par rapport à un cours central basé sur un panier de devises composé de l’euro (60%) et du dollar américain (40%).
Depuis lors, cette réforme a continué avec une nouvelle étape en mars 2020, où la bande de fluctuation a été élargie à ±5%. Cette libéralisation progressive vise à renforcer la compétitivité de l’économie marocaine, à améliorer sa résilience face aux chocs externes, et à réduire la pression sur les réserves de change. Ainsi, cette réforme s’inscrit dans la continuité de la libéralisation progressive du régime de change.
Attractivité vs stabilité
Ancrée dans une dynamique de libéralisation maîtrisée, la Circulaire n°02/2025 s’inscrit dans le sillage des réformes engagées depuis 2018 pour moderniser le régime de change. Une évolution qui crée un effet domino sur les acteurs économiques, reflétant une volonté stratégique d’équilibrer ouverture et stabilité.
Ainsi, pour les investisseurs étrangers, l’accès à des outils de couverture standardisés offre une visibilité inédite sur les rendements nets de change, un impératif dans un environnement mondial marqué par les turbulences monétaires (hausse des taux directeurs, tensions géopolitiques). En sécurisant les flux de rapatriement – dividendes, remboursements de prêts ou plus-values –, le Maroc réduit la prime de risque perçue, un critère décisif dans l’allocation d’actifs émergents.
Du côté des banques marocaines, l’élargissement de leur palette de services (swaps, options) constitue une opportunité de montée en gamme, mais exige un investissement substantiel en expertise technique. La maîtrise des produits dérivés, la gestion des collatéraux et le respect des normes ISDA/FBF imposent une formation accrue des équipes et une modernisation des systèmes de contrôle interne.
«Ce défi opérationnel est aussi une chance de se positionner comme intermédiaires clés dans la finance régionale», relève un analyste.
À l’échelle macroéconomique, cette réforme pourrait catalyser les entrées de capitaux étrangers, notamment dans des secteurs structurants (énergies renouvelables, logistique, industrie). En atténuant les craintes de blocage des sorties de devises, le Maroc renforce la confiance des investisseurs institutionnels (fonds souverains, private equities), boostant potentiellement ses réserves de change et finançant des projets d’infrastructure alignés sur les priorités gouvernementales.
Enfin, cette fluidité contrôlée des capitaux consolide l’ambition du pays de s’ériger en hub financier régional, avec une place telle que Casablanca finance city.
Toutefois, le succès de cette stratégie dépendra de la capacité des institutions à maintenir un équilibre délicat : attirer les capitaux sans alimenter la volatilité, libéraliser sans fragiliser la balance des paiements. Un pari audacieux, mais nécessaire pour ancrer le Royaume dans l’économie globalisée.
Le Maroc renforce son crédit auprès des fonds internationaux
La Circulaire n°02/2025 consacre une approche pragmatique de la libéralisation financière : élargir les outils disponibles pour les investisseurs étrangers tout en maintenant un cadre réglementaire robuste. En sécurisant les opérations de sortie, le Maroc renforce son crédit auprès des fonds internationaux, sans compromettre sa stabilité financière.
Disons que cette réforme est un pas de plus vers un régime de change pleinement convertible, mais son succès dépendra de son implémentation sur le terrain. Les prochains mois révéleront si cet équilibre audacieux porte ses fruits.
Bilal Cherraji / Les Inspirations ÉCO