Maroc

Dépenses fiscales : l’impossible compression !

À 32,15 milliards de dirhams, les dégrèvements et exonérations d’impôt concédés par l’Etat deviennent presque incompressibles, du moins sur la TVA qui concentre 47,2% du montant. Politiquement, il est «compliqué de toucher aux produits dits de première nécessité», confie une source au ministère des Finances.

Au cours d’un échange avec les chefs d’entreprise à la Chambre de commerce et d’industrie française du Maroc, un ancien patron du fisc avait suggéré, avec une certaine ironie, de transformer la DGI en «Direction générale des Exonérations». Non content d’être parmi les tout premiers bénéficiaires de niches fiscales, le milieu des affaires en veut toujours plus, profitant de la permanence de la politique de l’offre que déroulent les gouvernements depuis des années.

Du BTP à l’agriculture en passant par le tourisme, les patronats sectoriels se mobilisent dès le mois de mai afin de pouvoir décrocher un allègement d’impôt considéré, à tort, comme étant la clé de la compétitivité.

Selon le dernier décompte effectué par le ministère des Finances, l’État avait concédé 32,15 milliards de dirhams en dégrèvements, exemptions partielles ou permanentes de taxes, facilités de trésorerie et flat-tax en 2024. Ces niches fiscales équivalent à peu près au budget consacré à la Santé, soit 32,58 milliards DH, et au double de celui de l’Enseignement supérieur. Les cinq premiers secteurs auxquels bénéficient ces incitations sont : la sécurité et la prévoyance sociale (23,5%), l’électricité et le gaz (22,4%), le secteur immobilier (15,2%), l’agriculture et la pêche (8%) et, enfin, le secteur financier (6,1%).

A noter que pour la première fois, avec 49,3% du total, les ménages sont devenus les premiers attributaires des incitations fiscales devant les entreprises, qui concentrent 44,5%. Les dérogations les plus importantes visent le soutien au pouvoir d’achat (7,6 milliards de dirhams, soit 23,5%), la mobilisation de l’épargne (6,42 milliards DH, soit 20%) et la facilitation de la primo-acquisition du logement (4,47 milliards DH, soit 13,9%), l’un des rares domaines où les pouvoirs publics ont, avec beaucoup de courage, changé de braquet en ciblant l’acquéreur du bien plutôt que de subventionner le promoteur immobilier comme cela se pratiquait par le passé.

Des trois grands impôts qui forment la colonne vertébrale du système fiscal, la TVA concentre, à elle seule, près de la moitié du montant auquel renonce le budget au titre de niches fiscales avec 47,2% des exemptions contre 16,5% pour l’IR et 8,8% pour l’impôt sur les sociétés (IS). Si le nombre de 228 dépenses fiscales (évaluées) sont sans doute justifiées pour soutenir l’investissement ainsi que des secteurs émergents et les ménages les plus fragiles, les pouvoirs publics ne disposent plus d’assez de marge de manœuvre pour redimensionner cette «usine à gaz» au moment où il va falloir financer les chantiers adossés à l’État social.

Selon nos informations, l’élagage de ce mille-feuille si coûteux au Trésor se heurte à des impératifs sociaux et politiques. Sur la TVA, par exemple, il n’est pas possible de toucher aux tarifs qui concernent les produits de consommation de masse, ni d’intégrer les produits de première nécessité dans l’assiette.

Les OPCI rattrapés par les gendarmes du fisc
Les dépenses fiscales peuvent parfois déboucher sur des situations ubuesques en aménageant un petit paradis fiscal pour certains secteurs. C’est exactement ce qui était arrivé aux OPCI, avant que les pouvoirs publics ne s’en aperçoivent. En épluchant les bilans des sociétés, le fisc avait découvert une opération d’optimisation que les banques et les assurances avaient mise en place en s’appuyant sur les organismes de placements collectifs immobiliers (OPCI) auxquels était greffée une niche fiscale très alléchante.

Avec l’aide de cabinets de conseil, elles avaient créé des OPCI détenus à 100% en y logeant leur siège social et quelques bâtiments sous forme d’apports en nature dans le capital. Ce montage leur permettait de gagner sur deux tableaux. En tant que locataires de l’immeuble dont elles avaient transféré la propriété à l’OPCI, elles imputaient le loyer versé dans les charges d’exploitation. Rien d’anormal. Ce qui l’était en revanche, c’est qu’en qualité d’actionnaires, les mêmes banques touchaient des dividendes provenant de leurs propres OPCI, des revenus sur lesquels elles ne supportaient l’impôt que sur 40% du montant.

Avant 2023, les organismes de placements collectifs immobiliers bénéficiaient d’un régime d’imposition très attractif qui leur permettait de bénéficier de l’exonération totale de l’impôt sur le résultat et d’un abattement de 60% sur les dividendes distribués à leurs actionnaires (investisseurs).

Une autre incitation fiscale temporaire était appliquée aux opérations d’apport d’immeubles aux OPCI effectuées entre le 1er janvier 2018 et le 31 décembre 2022, afin de les accompagner dans la phase de lancement.

Il s’agit d’un sursis de paiement de l’IS ou l’IR au titre de la plus-value nette ou du profit foncier réalisé suite à l’apport d’immeubles, en plus d’une réduction de 50% d’impôt lors de la cession ultérieure des titres reçus en contrepartie de cet apport.

Les OPCI étaient censés élargir les possibilités d’investissement dans l’immobilier et, par ricochet, contribuer à la structuration et au financement du secteur en drainant une partie de l’épargne. Mais le législateur n’avait pas anticipé l’inventivité des conseils. Les loyers versés aux OPCI et portés en charges déductibles peuvent être assimilés à des charges fictives et à un abus de droit qu’il fallait neutraliser.

Après s’être rendu compte, le législateur fiscal a réaménagé le cadre fiscal des OPCI : l’abattement de 40% ne s’applique qu’à condition d’ouvrir le tour de table à d’autres investisseurs et se limite aux produits provenant des bénéfices relatifs à la location des biens immeubles bâtis distribués par les OPCI qui ouvrent leur capital à la participation publique, à travers la cession d’au moins 40%.

Abashi Shamamba / Les Inspirations ÉCO



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