Démographie : le Maroc poursuit sa révolution silencieuse de la famille et de l’intimité
Le Recensement 2024 (RGPH) confirme la mutation de la famille marocaine, amorcée il y a près de deux décennies, qui évolue d’un modèle communautaire traditionnel vers une structure conjugale centrée sur le couple et l’épanouissement personnel. Le point avec Mehdi Alioua, sociologue et professeur à l’Université internationale de Rabat (UIR).
À la lumières du dernier recensement de la population, quels sont, selon vous, les principaux facteurs ayant contribué à la baisse de l’accroissement démographique entre 2014 et 2024 ?
Cette tendance remonte aux années 2000 et s’est intensifiée depuis le recensement de 2014. Parmi les causes majeures, on observe la diminution de la fécondité et du nombre d’enfants par foyer, le recul de l’âge du mariage ainsi qu’un délai plus long entre le mariage et la naissance du premier enfant.
Aujourd’hui, les couples privilégient souvent une intimité conjugale avant la parentalité, un changement validé par diverses études sociologiques. Nous sommes ainsi passés d’un modèle communautaire et patriarcal à une «famille conjugale», ou, comme le dit Talcott Parsons, une famille nucléaire biparentale. Les recensements montrent également une décohabitation intergénérationnelle même en zones rurales, signe d’une évolution vers des foyers plus autonomes.
À quoi cette transformation est-elle due ?
L’essor de la contraception est un facteur essentiel, permettant aux familles de privilégier le temps passé en couple et de réduire le nombre d’enfants. Ce choix sociétal valorise des cellules familiales plus petites, souvent un seul foyer, où la vie maritale et l’intimité priment avant la parentalité. Ce phénomène, initié durant la période coloniale, touche aujourd’hui une large majorité, je dirais, de 60% à 70% des ménages, même dans les zones rurales.
Quel est l’impact de cette baisse de la croissance démographique sur les politiques publiques ?
Cette transformation sociale réclame des investissements dans l’habitat en premier lieu, à travers la construction de nouveaux types de logements, ainsi que dans des infrastructures éducatives et hospitalières modernes. La majorité des femmes choisissent désormais d’accoucher dans des établissements hospitaliers, une évolution qui, en dépit des progrès réalisés, ne trouve pas encore une réponse adéquate en termes de qualité d’accueil et de proximité des services.
Avec un taux d’accroissement de 0,85%, le Maroc risque-t-il d’être confronté à un vieillissement de sa population dans les prochaines décennies ? Quels seront les défis à relever ?
Le Maroc fait face à un enjeu intergénérationnel inédit. Le modèle socio-économique actuel repose sur la croissance démographique pour dynamiser l’économie. La génération en cours devra se confronter à la question cruciale de savoir qui financera les retraites de demain. Si cette tendance perdure, nous risquons une stagnation démographique, voire une décroissance, avec des répercussions économiques majeures. Les prochaines décennies exigeront donc de repenser profondément les systèmes de soutien social.
Face à ces évolutions, quelles stratégies de développement démographique ou social le Maroc pourrait-il envisager pour atteindre un équilibre entre dynamisme économique et cohésion sociale?
En parallèle des problématiques de jeunesse, nous devons anticiper le vieillissement démographique. La décohabitation intergénérationnelle et le faible nombre de descendants vont imposer des adaptations, comme la création de maisons de retraite.
Certaines familles continueront à prendre en charge leurs aînés, mais pour d’autres, ce ne sera pas viable. Si rien n’est fait, nous risquons de voir se développer le phénomène des vieillards des rues. Ce défi impose une transformation profonde de la prise en charge des personnes âgées, impliquant tant le domaine de la santé que celui de l’accompagnement social..
Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ÉCO