Maroc

Déficit budgétaire : Jouahri ne croit pas au miracle

Malgré une énorme pression sur les charges de compensation, le gouvernement maintient la prévision du déficit du Budget à 6,3% du PIB. Pas question non plus d’une loi de Finances rectificative. Le ministère des Finances compte sur une meilleure rentrée de recettes fiscales, les dividendes que verseront les grandes entreprises publiques au Trésor et les 20 milliards de DH de financements innovants. 

Malgré les incertitudes et les pressions inflationnistes accentuées par la guerre en Ukraine, le gouverneur de Bank Al-Maghrib, Abdellatif Jouahri, avait l’air zen lors du point de presse à la sortie du Conseil de la politique monétaire, mardi dernier. Pas sûr qu’en observant la courbe de la dette du Trésor et celle du déficit budgétaire, la ministre des Finances affiche la même sérénité.

Selon les prévisions, le déficit du Budget devrait s’établir à 6,3% du PIB cette année avant de redescendre à 5,9% en 2023. Un vrai miracle quand on sait que les subventions de la farine et du gaz butane devraient exercer une pression sans précédent sur les finances de l’État, conséquence de l’explosion des cours internationaux du blé et des produits pétroliers.

A ce stade, il n’est pas nécessaire d’envisager une loi de Finances rectificative, assure le gouverneur de la Banque centrale qui rappelle l’engagement du gouvernement. Les levées d’argent sur le marché international «lorsque les conditions de marché les permettront» et, le cas échéant, l’activation d’une nouvelle ligne de précaution et de liquidité (LPL), une sorte de découvert auprès du FMI, reste également une option.

Pour financer en partie le déficit (et éviter de la dette supplémentaire), le ministère du Budget compte sur une meilleure rentrée d’impôts, les dividendes de grandes entreprises publiques et les financements innovants, c’est-à-dire, la cession des actifs de l’État aux investisseurs institutionnels. La première opération de «financement innovant» avait été réalisée en 2019 sur cinq CHU avec la Caisse Marocaine des Retraites (CMR).

Pour cet exercice, le Trésor espère engranger 20 milliards de DH, mais il n’a pas encore précisé les actifs qui seront concernés par ces montages. Au vu de la pression qui s’exerce sur les charges de compensation, il faudra un incroyable alignement des planètes pour que les prévisions du déficit budgétaire (6,3% du PIB) ne soient balayées.

En termes diplomatiques, Bank Al-Maghrib ne dit pas autre chose : «Au regard des évolutions récentes et prévues des cours des produits énergétiques et alimentaires, les dépenses de compensation du gaz butane et du blé devraient connaître une hausse importante par rapport aux prévisions de la loi de Finances».

Autant dire que Jouahri ne croit pas au miracle. Chaque point supplémentaire de déficit veut dire soit de la dette, soit des impôts en plus. Pour financer l’endettement du Trésor, il n’y a pas trente-six solutions : soit par la croissance, dont on peut espérer des ressources fiscales supplémentaires, soit par l’augmentation des impôts ou des économies substantielles sur les dépenses.

L’endettement du Trésor devrait continuer d’augmenter bien au-delà du seuil de 70% du PIB, considéré comme une alerte pour les pays émergents. Le ratio d’endettement du Trésor devrait passer de 74,8% du PIB en 2021 à 76,1% en 2022 et à 76,4% en 2023. Sa composante intérieure progresserait de 57,6% du PIB en 2021 à 58,4% en 2022, puis augmenterait à 58,7% en 2023.

La dette extérieure augmenterait de 17,2% du PIB en 2021 à 17,8% en 2022, avant de connaître une légère détente à 17,6% du PIB en 2023. Pour retrouver le niveau d’augmentation actuel de l’endettement du Trésor, il faut remonter aux années 2011 et 2012 lorsque la dette directe de l’État était passée de 52,5% à 58,2% du PIB.

Cette poussée de fièvre concerne les deux compartiments, la dette intérieure et extérieure. L’encours de la dette du Trésor (au 31 décembre 2021) représentait 74,8% du PIB alors que, deux ans plus tôt, il équivalait à 64,8% de la richesse nationale. La spectaculaire progression de 10 points est alimentée certes par le creusement du déficit du budget de l’Etat, mais aussi par les sorties successives du Trésor sur le marché international.

La signature du Maroc reste une valeur sûre auprès des investisseurs. La dégradation de la note de la dette souveraine par Standard & Poor’s n’avait pas impacté ses conditions de financement. Fin 2020, le Maroc a levé 3 milliards de dollars sur le marché avec des maturités allant jusqu’à 30 ans.

Cet emprunt à trois tranches s’est réalisé à des taux bien plus favorables comparé à la plupart des pays émergents qui ont réussi de retourner aux marchés financiers après la crise sanitaire. Le succès de cet emprunt illustre bien sûr la confiance des investisseurs étrangers en la résilience politique et économique du Maroc à la sortie de la crise sanitaire.

Certes, à près de 75% du PIB, le taux d’endettement public demeure élevé par rapport aux seuils de soutenabilité recommandés par les organismes internationaux. Mais rien d’inquiétant, explique un analyste. A moyen terme, la soutenabilité de l’endettement du Royaume est soutenue par des facteurs favorables tels que la part modérée de la dette extérieure et en devises étrangères (autour de 20%), un profil qui privilégie les maturités longues (dette de court terme à 10%) et les réserves internationales à des niveaux confortables, fait remarquer un expert du groupe Allianz.

Abashi Shamamba / Les Inspirations ÉCO



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