Maroc

Commande publique : des coupes drastiques en perspective

Prestataires de l’Etat, préparez-vous à une cure d’austérité sans précédent ! Le gouvernement s’apprête à serrer la vis sur les dépenses de fonctionnement, menaçant de nombreux secteurs économiques.

L’État se met au régime minceur et les entreprises du BTP et celles liées aux véhicules risquent d’avoir la gamelle un peu light en 2025. Dans une optique de préservation de la soutenabilité des finances publiques, le gouvernement Akhannouch s’apprête à renforcer sa politique de rationalisation des dépenses.

Parmi les principales mesures annoncées dans le cadre du rapport de cadrage macroéconomique du Projet de Loi de finances 2025, figure la limitation des frais liés aux acquisitions de véhicules et de construction et des frais d’aménagement de locaux administratifs.

Il faut dire que la limitation des frais liés aux acquisitions de véhicules et aux travaux immobiliers constitue l’un des principaux leviers de rationalisation des dépenses publiques pour l’année 2025. Cette mesure s’inscrit dans la volonté du gouvernement de préserver la soutenabilité des finances de l’État en maîtrisant ses dépenses de fonctionnement.

Concernant les véhicules, concrètement, cela devrait se traduire par un encadrement plus strict des renouvellements de parcs automobiles et de la location de véhicules auprès des sociétés privées.

En 2022, l’enveloppe budgétaire consacrée à l’acquisition de voitures de service s’élevait en moyenne à 420 millions de dirhams par an d’après la ministre de l’Économie.

«L’enveloppe budgétaire consacrée à cette rubrique s’est élevée à 420,54 millions de dirhams par an en moyenne entre 2018 et 2023», a relevé Nadia Fettah, ministre de l’Économie et des Finances, en juillet dernier.

Pour encadrer ces dépenses, une réforme de la gestion du parc automobile de l’État est en préparation. Un projet de circulaire du chef du gouvernement devrait notamment conditionner l’utilisation des véhicules administratifs à la production d’un ordre de mission.

Vous avez dit «ordre de mission» !?
Cela sous-entend que, jusqu’à présent, l’usage des voitures de service par les fonctionnaires était assez souple et peu contrôlé, ouvrant la voie à des dérives et à un gaspillage de carburant et d’entretien. Le projet de circulaire émanant directement des services du Chef du gouvernement vise à instaurer des règles plus strictes. Il imposerait que chaque utilisation d’un véhicule administratif soit conditionnée à la production préalable d’un «ordre de mission» dûment validé par la hiérarchie.

Concrètement, un fonctionnaire souhaitant se déplacer avec un véhicule de l’État devra au préalable remplir un formulaire justifiant le motif et le trajet du déplacement. Cet ordre de mission devra ensuite être approuvé par le supérieur hiérarchique avant d’être autorisé.

Cette mesure permettra d’assurer une meilleure traçabilité des déplacements en voiture et d’en vérifier la pertinence au regard de l’intérêt du service. Elle vise à responsabiliser les agents et à proscrire les utilisations abusives ou injustifiées des véhicules administratifs à des fins privées. L’introduction de ce contrôle renforcé devrait permettre de réaliser des économies substantielles sur les frais de carburant, d’entretien et d’assurance des parcs automobile des administrations.

Les victimes collatérales de ces économies
Si aucun chiffre précis n’est avancé, cette mesure devrait permettre de réaliser des économies substantielles sur le budget de fonctionnement de l’État. Quant aux dépenses liées à l’immobilier administratif, leur montant exact n’est pas connu, mais elles représentent une part non négligeable des dépenses de fonctionnement. Les investissements immobiliers de l’État pourraient donc être revus à la baisse en 2025.

Cette décision du gouvernement de limiter les frais d’acquisition de véhicules et de construction/aménagement de locaux administratifs devrait avoir des répercussions notables sur plusieurs secteurs économiques. Tout d’abord, le secteur automobile sera directement impacté par la réduction des commandes publiques de véhicules. Les constructeurs locaux comme Renault Tanger ou Somaca risquent d’enregistrer une baisse de leurs ventes vers les administrations. Les concessionnaires automobiles privés réalisant une partie de leur chiffre d’affaires auprès des services de l’État pourraient également voir leur activité ralentir.

Enfin, les sociétés de location de véhicules long terme, très présentes sur le marché des flottes administratives, devront s’attendre à une contraction de la demande publique. Le secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP) sera lui aussi affecté par le ralentissement des investissements immobiliers de l’État. Les entreprises spécialisées dans la construction et l’aménagement de bâtiments administratifs comme des ministères, préfectures, tribunaux, etc., pourraient voir leur carnet de commandes publiques se réduire considérablement en 2025. Cet impact sera d’autant plus fort pour les PME locales très dépendantes des marchés publics.

À plus long terme, cette mesure pourrait impacter l’activité des industries en amont comme la sidérurgie, le ciment, le verre ou encore les matériaux de construction qui bénéficient indirectement des commandes publiques.

Renforcement des mécanismes de contrôle et refonte du cadre réglementaire
Pour garantir l’efficacité de ces mesures de limitation, le gouvernement prévoit de revoir en profondeur le cadre réglementaire régissant les achats et les investissements immobiliers de l’État. Actuellement, les procédures d’acquisition de véhicules sont régies par la réglementation relative aux marchés publics, à l’exception des véhicules destinés aux services de sécurité et de défense. Comme indiqué plus haut, un projet de circulaire du chef du gouvernement devrait introduire de nouvelles règles plus strictes, comme l’obligation de justifier tout déplacement par un ordre de mission.

Dans le même esprit, la révision de la Loi organique relative à la Loi de Finances, annoncée pour 2025, pourrait intégrer des mécanismes de plafonnement budgétaire pour ces dépenses spécifiques. Une politique de mutualisation des moyens, tels que les parcs automobiles et les locaux administratifs, est également à l’étude.

La dématérialisation des processus, un levier de rationalisation
Au-delà du cadre réglementaire, le renforcement de la dématérialisation des procédures administratives est identifié comme un levier majeur de rationalisation des dépenses. Une réforme des processus d’achat public n’est pas exclue non plus, afin d’optimiser les dépenses d’investissement de l’État tout en garantissant la transparence et l’efficacité de la commande publique.

Impacts sur les administrations et les collectivités territoriales
Il ne faut pas négliger le fait que ces mesures de restriction budgétaire auront inévitablement des répercussions sur le fonctionnement quotidien des administrations et des services publics. Certains programmes d’investissement dans les bâtiments administratifs pourraient être affectés ou reportés. Les collectivités territoriales seront elles aussi concernées par ce contrôle renforcé des dépenses.

Dans son communiqué, le gouvernement appelle à «rationaliser les transferts au profit de ces budgets à travers la priorisation des dépenses». Cependant, aucune réduction d’effectifs n’est évoquée à ce stade. L’accent est mis sur l’optimisation de l’utilisation des ressources existantes, comme l’illustre la volonté de «redéploiement des postes budgétaires pour couvrir les déficits au niveau territorial et sectoriel».

Développement de financements innovants

Pour compenser ces restrictions budgétaires et assurer le financement des «différents chantiers de développement engagés», le gouvernement envisage de recourir à des financements innovants, sans toutefois en préciser la nature exacte.

«Le gouvernement va poursuivre […] le développement de financements innovants, l’optimisation de la gestion du portefeuille public et la poursuite de la réforme des EEP», souligne le rapport de cadrage macroéconomique du Projet de Loi de finances 2025.

Parmi les pistes envisageables, on peut citer le recours accru aux partenariats public-privé, au financement participatif (crowdfunding), ou encore à l’émission d’obligations vertes et de sukuk (obligations islamiques). Ces modes de financement alternatifs présentent l’avantage de diversifier les sources de financement de l’État tout en faisant appel à l’épargne privée.

En définitive, ces mesures de rationalisation des dépenses de fonctionnement s’inscrivent dans une stratégie globale visant à préserver la trajectoire des finances publiques, avec pour objectif de ramener le déficit budgétaire sous la barre des 3% du PIB d’ici 2026. Un défi de taille pour le gouvernement, qui devra concilier rigueur budgétaire et poursuite des investissements structurants pour l’économie marocaine.

Bilal Cherraji / Les Inspirations ÉCO


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