Code de la famille : banalisation du divorce
Le Maroc a assisté ces dernières années à une augmentation significative du nombre de divorces. Cette tendance peut être attribuée à divers facteurs sociaux, économiques et culturels qui ont transformé les normes et les attentes liées à la vie conjugale. Mehdi Alioua, sociologue et Bouchaib Fadlaoui, président de l’Association nationale des adouls, expliquent les raisons de cette tendance haussière.
Avec l’évolution des normes sociales et des attentes en matière d’égalité des sexes, les rôles et les responsabilités dans les mariages ont changé, mais pas toujours de manière uniforme. Certaines personnes peuvent se sentir dépassées par des attentes qui ne sont pas en adéquation avec leur propre vision de leur rôle dans le mariage, ce qui peut entraîner des conflits et, par conséquent, une augmentation des divorces. Les chiffres officiels parlent d’une hausse de 75% du nombre de divorces au Maroc, passant de 72.000 cas en 2016 à 126.000 en 2021.
Les facteurs à l’origine de ce phénomène
Avant la réforme de la Moudawana, la femme ne disposait que de trois cas -extrêmes- valables pour pouvoir demander le divorce. Le premier voulait que le mari soit absent pendant une longue période, et il faut prouver son absentéisme et avoir des personnes qui puissent en témoigner, explique Fadlaoui, président de l’Association des adouls, qui précise que la procédure pouvait durer des années. Vient ensuite le cas de la femme violentée, et là encore, il fallait être à même de le prouver, certificats médicaux à l’appui. Et si le mari démentait les propos de sa femme, le combat était perdu d’avance pour l’épouse. Le troisième cas, et c’est encore heureux, c’est quand le mari ne subvenait pas aux besoins de sa femme. Hormis ces trois cas de figure, il était difficile, voire impossible, pour la femme de demander le divorce.
Aujourd’hui les choses ont changé. La nouvelle Constitution, qui se voulait une étape audacieuse dans la consécration des droits des femmes, a changé la donne. «Malheureusement, certaines n’en font pas bon usage, en faisant preuve de fébrilité. Au moindre problème ou conflit, elles se précipitent vers le tribunal pour demander le divorce», déplore Fadlaoui, qui relève que «ce sont les femmes qui, désormais, demandent le plus souvent le divorce». Le manque de patience et de connaissances en la matière constituent également des éléments clés qui poussent au divorce.
«Le mariage est une institution. Il faut une éducation, avant de franchir le pas, pour savoir ce que cela nécessite comme engagements et concessions réciproques», estime le président. Et d’évoquer également le cas des mariages blancs, autrement dit, des mariages de complaisance contractés dans un objectif autre que la vie commune, généralement pour en tirer un avantage matériel. À noter que si le conjoint n’est pas complice, on parle d’un mariage gris. «Une tendance de plus en plus courante», déplore le président de l’Association des adouls. Le malheur dans l’histoire est que ce sont les enfants qui souffrent le plus de ce phénomène de société. En agissant de manière précipitée et irréfléchie, les couples d’aujourd’hui font preuve d’égoïsme. «Ils ne pensent aucunement aux conséquences que peut engendrer leur divorce sur leurs enfants, qui sont au final, eux, les véritables victimes», déplore Fadlaoui.
D’une famille communautaire à une famille conjugale
Les attentes culturelles ont également changé au fil du temps. Les mariages étaient autrefois considérés comme une union permanente, mais aujourd’hui, les gens sont enclins à voir les relations comme étant plus fluides et temporaires.
«On n’est plus comme avant, c’est-à-dire une famille communautaire patriarcale, où on se mariait entre cousins, et où toutes les familles cohabitaient ensemble sous le même toit», explique Mehdi Alioua, sociologue, ajoutant qu’on est «passé de cette famille d’autrefois, communautaire, à une famille conjugale».
Selon notre interlocuteur, «le divorce est le résultat d’un changement d’organisation de la famille, de la difficulté de se retrouver seul avec une personne qu’on n’a pas vraiment connue, ce qui est dur pour les femmes, qui se retrouvent isolées avec leurs maris, qui parfois – voire souvent- se montrent autoritaires», explique Aloua. Autre point marquant, le mariage est devenu un business énorme engendrant une publicité importante.
«On constate de nouveaux logements pour les couples – d’où la crise du logement – avec la fameuse suite parentale, consacrée à l’intimité du couple. C’est devenu un argument de vente, qui va de la classe moyenne jusqu’à la bourgeoisie», indique Alioua. Une preuve de plus que les sociétés sont de plus en plus individualistes. Certains essayent de pallier les problèmes de leur couple avec les enfants, mais ce qu’ils ne comprennent pas, c’est que, «ce qui ne fonctionnait pas dans le couple ne risque pas d’aller mieux avec les enfants, parce qu’on vit dans une famille conjugale», explique le sociologue.
À quoi peut-on s’attendre à l’avenir ?
Cette nouvelle tendance cyclique est éphémère, à en croire le sociologue, qui estime que «bientôt, les Marocains se marieront de moins en moins, et opteront pour le concubinage, comme pour beaucoup d’autres pays», ce qui, toujours selon notre source, est déjà le cas pour les trentenaires des grandes villes, notamment à Casablanca. «Certains appellent cela révolution démographique mais l’expression la plus appropriée, c’est révolution sexuelle !», estime-t-il.