Maroc

Casablanca : Les écoles publiques en voie de disparition

Pourquoi les écoles publiques disparaissent-elles peu à peu, à Casablanca ?  La spéculation foncière et le développement de l’enseignement privé en seraient les principales causes. Des directeurs d’établissements ainsi que des acteurs associatifs militant pour la défense de l’école publique tirent la sonnette d’alarme.

À Casablanca, les écoles publiques disparaissent graduellement du paysage. Cette tendance, nourrie par la spéculation foncière, est inquiétante tant elle menace toutes les écoles publiques. Des directeurs d’écoles confirment: «plusieurs écoles sont dans le collimateur. Des dispositions ont été prises pour procéder à leur fermeture au cours de la prochaine année scolaire. À elle-seule, la préfecture Casa-Anfa connaîtra la fermeture d’au moins trois écoles publiques». Les responsables d’établissements ont été avisés du transfert de centaines d’élèves à d’autres écoles publiques pour la rentrée 2017-2018, en attendant la mise à exécution de cette décision. Une source à la délégation de Casa-Anfa affirme que déjà, pour cette année, la capacité d’accueil a été réduite dans certains établissements, notamment l’école Cheikh Khalil, sise boulevard Ghandi, qui compte aujourd’hui 91 élèves. Les écoles Al Hotaia et Soukaina, à Derb Ghallef, elles aussi, tournent au ralenti. Quatre classes seulement sont occupées actuellement. L’école Abdelmoumen est vouée aussi au même sort. «C’est juste une question de temps. Pour le moment, on n’a pas encore trouvé de solution pour déplacer les quelques élèves qui y étudient car il n’y a pas d’école dans les environs», ajoute notre source.

Mohamed Abdou, Chaouki et Ibn Toumart sur la liste
Chaque année, entre trois et cinq écoles sont fermées, notamment au niveau de Casa-Anfa. «En 2003, j’ai pris mes responsabilités de directeur d’école. Il y avait plus d’une cinquantaine d’écoles publiques (primaire, collège et lycées) à Casa-Anfa. Aujourd’hui, une vingtaine a déjà été sacrifiée, et la liste s’allongera», assure un directeur d’école. Dans ce cadre, l’on apprend que la rentrée scolaire 2017-2018 sera marquée par la fermeture d’écoles dont le nombre d’élèves dépassaient, il y a encore quelques années, plus de 2.000 élèves.

Il s’agit notamment du Lycée Ibn Habous sur le boulevard Al Massira ou encore de l’école Abi Inane, située sur le boulevard Moussa Ibnou Noussaïr. «L’école Mohamed Abdou, qui a déjà fermé ses portes, attise la convoitise d’investisseurs dans l’enseignement privé», croit savoir Moussa Sirajedine, un acteur associatif de la ville. Notre source à la délégation de Casa-Anfa confirme ces dires. «L’école Mohamed Abdou sera remplacée par une faculté dentaire privée. Les porteurs de ce projet ne sont autres que les Émiratis initiateurs de l’Université Mohammed VI des sciences de la santé».

À en croire nos sources, dans le même périmètre, les Émiratis lorgnent également l’école Chaouki. «Une partie de cet établissement sera cédée -si cela n’est pas déjà fait- à ces investisseurs pour être transformée en projet privé», confient nos mêmes source, lesquelles ne manqueront pas de rappeler que l’école primaire Ibnou Abbad a également été démolie et remplacée par un campus privé pour les étudiants ainsi que des commerces. Situées en centre-ville, les établissements Oum Ayman, Oued El Makhazine et Ibn Toumart figureraient sur cette liste d’écoles publiques à fermer. «L’établissement Ibn Toumart était concerné par un projet de restauration. Pourtant, ce projet de mise à niveau n’a jamais été concrétisé, à cause d’un litige entre le promoteur et le porteur du projet qui n’est autre que le ministère. En attendant, l’établissement tombe en ruine», lance un directeur d’école qui ajoute que les écoles Fqih Zouiten et Mohammed Ben Abdellah seraient aussi sur la liste. Comment expliquer que des établissements pourtant classés «patrimoines urbanistiques», à l’instar d’Ibn Toumart, soient destinés à disparaîre ?

Des arguments… ou presque
Pour toutes ces écoles, l’argument avancé est que ces établissements menacent ruine en plus du fait que de moins en moins d’élèves s’inscrivent dans le système public. «Ce n’est pas vrai», «La destruction de ces écoles est, certes, une conséquence de la politique de la privatisation de l’enseignement au Maroc. Mais la réalité est que ces établissements sont convoités par certains lobbies de l’immobilier, notamment en centre-ville où le m2 coûte plus de 20.000 DH», dénonce Moussa Sirajeddine. Et de poursuivre: «À l’association Ouled L’mdina, nous estimons que ce qui se passe actuellement à Casablanca -et plus particulièrement à Casa-Anfa- relève du «crime organisé», piloté par une «mafia immobilière». Parmi les écoles fermées et démolies, certaines devaient être transformées en projets au profit d’enseignants, mais ceux-ci n’ont n’ont jamais vu le jour», ajoute Sirajeddine. 


Des chiffres alarmants

De 2008 à 2015, pas moins de 200 écoles publiques ont fermé leurs portes sur le plan national, dont quelque 135 écoles primaires situées principalement à Casablanca et Rabat. En raison de l’adoption de cette politique de «fermetures d’établissements publics», les écoles privées ont commencé à prospérer un peu partout à travers le royaume, selon les chiffres officiels. Une étude réalisée, en 2015, par le centre de recherche Global Initiative for Economic, Social and Cultural Rights, sur l’éducation au Maroc révèle que 70 à 80% d’élèves sont scolarisés dans le privé. Au total, 12.000 enseignants sont partis en retraite anticipée, et 7.000 en retraite régulière. Pour combler le vide généré par ces fermetures, le ministère de tutelle a choisi, depuis 2008, d’opter pour une stratégie basée sur un partenariat public-privé. C’est d’ailleurs, dans ce cadre que quelque 11.000 enseignants ont été recrutés par le ministère sous contrats à durée déterminée. Notons que cette mesure  suscite la colère des défenseurs de l’école publique, lesquels, de temps à autre, montent au créneau pour dénoncer la fermeture et la démolition d’établissements publics. «Ces mesures entreprises, pour combler le vide qu’il y a aujourd’hui dans les écoles publiques, ne peuvent que fragiliser davantage la qualité de l’enseignement au Maroc», déclarent des sources approchées à la Fédération nationale marocaine des associations de parents d’élèves. 


Peaux de chagrin

Dans la société civile, le sujet en révolte plus d’un. En 2016, bon nombre d’écoles dont Jaber Al Ansari, Bachiri et Abdelouahed Al Marrakchi ont été fermées dans l’ancienne Medina et, d’ici la rentrée scolaire 2017-2018, d’autres établissements devraient suivre, notamment à El Fida et à Casa-Anfa. «Au niveau national, à fin 2015, le nombre des écoles publiques fermées ou démolies, était de quelque 488 écoles, dont 36 se trouvent à Casablanca. A elle seule, la préfecture de Casa-Anfa compte 20 écoles fermées, réparties sur les autres arrondissements», détaille Mohamed Agnouch, coordinateur national du front de la défense de l’école publique. Parmi les premières démolitions d’écoles publiques à Casa-Anfa, figurait l’établissement Al Hariri, dans la zone de la Medina. Cette école, qui a été détruite et remplacée par un terrain de sport, accueillait plus de 2.000 élèves, il y a encore quelques années, regrette Moussa Sirajeddine, président de l’association Ouled L’Mdina. Au ministère de l’Éducation nationale, poursuivra notre interlocuteur, on souligne que le Maroc vise à atteindre un taux de 20% d’élèves inscrits dans les écoles privées et ce, à court terme. Or, dira-t-il, «on est encore très loin de ce taux». Une source officieuse au ministère avance que ces fermetures sont principalement dues à un développement incontrôlé de l’enseignement privé. «A cela, s’ajoute le fait que l’indice de fécondité a baissé en milieu urbain. Et c’est ce qui a, d’ailleurs, fait que le nombre d’élèves inscrit dans les écoles publiques a nettement baissé», d’après cette même source. Des arguments qui ne sont pas pour convaincre Agnouch. «En 2007, alors que les écoles publiques fermées ne totalisaient que neuf, dont six à Casa-Anfa et trois à Mers Sultan, l’explication qui nous avaient été alors donnée par les pouvoirs publics était celle du mouvement de la population du centre-ville vers la périphérie de la où des villes nouvelles avaient été créées. Mais, ce n’est pas vrai», précise le coordinateur national du front de la défense de l’école publique. Il souligne que les chiffres de la délégation régionale du HCP de Casablanca indiquaient que le mouvement de la population était plus au moins stable (1%).


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