Blanchiment des capitaux: comment éviter que le Maroc bascule dans la « liste noire »
On s’attend à l’introduction d’amendements de fond au projet de loi modifiant et complétant le Code pénal et la loi relative à la lutte contre le blanchiment des capitaux. Nombreux sont les députés qui affichent leur scepticisme quant à certaines dispositions de ce texte qui entend muscler le dispositif de lutte contre le blanchiment des capitaux afin d’éviter que le Maroc bascule dans la liste noire du Groupe d’action financière (GAFI). Une étude d’impact s’impose, selon les députés.
Les parlementaires de la commission de la Justice et de la législation entameront bientôt la discussion détaillée du projet de loi n° 12.18 modifiant et complétant le Code pénal et la loi n° 43.05 relative à la lutte contre le blanchiment des capitaux. Les députés ne comptent pas faire passer comme une lettre à la poste cette nouvelle législation qui entend muscler le dispositif de lutte contre le blanchiment des capitaux. Il s’agit d’éviter que le Maroc bascule dans la liste noire du Groupe d’action financière (GAFI). D’ailleurs, ils l’ont fait savoir clairement au ministre de la Justice, Mohamed Benabdelkader lors de la phase du débat général autour de ce projet. Si le principe du renforcement de l’arsenal juridique de lutte contre le blanchiment des capitaux est salué par l’ensemble des composantes du parlement, il n’en demeure pas moins que des inquiétudes sont affichées sur certaines dispositions.
Avocats, notaires, banquiers…en première ligne
Sceptiques voire grognons, les parlementaires veulent prendre leur temps avant d’adopter ce texte. C’est le cas, notamment, du président de la commission en charge d’examen de ce projet, Taoufik Mimouni. Ce député du Parti Authenticité et Modernité qualifie même le texte de «dangereux» car il n’apporte pas, selon lui, les garanties nécessaires pour protéger les professionnels qui sont tenus de signaler toute activité suspecte lors de la conclusion des contrats. Sont directement concernés par cette mesure les avocats, les notaires et les adouls qui sont appelés, à l’instar des banquiers, à s’engager dans le système de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.
Les parlementaires affichent leurs appréhensions à cet égard et certains doutent de la capacité de ces professionnels à s’inscrire dans cette démarche contraignante qui risque de peser lourdement sur leur travail. À ce titre, le ministre de la Justice se veut rassurant, précisant que les « indicateurs de suspicion » sont en cours d’élaboration avec les corps des professionnels pour lever toute ambiguïté. Des rencontres ont déjà eu lieu avec les avocats et les notaires pour faire connaître les obligations imposées à ces professionnels ainsi que les moyens à même de les mettre en œuvre. D’autres réunions suivront pour mobiliser les professionnels autour de la nécessité d’adhérer à la lutte contre le blanchiment des capitaux. Les parlementaires entendent renforcer les garanties pour protéger les citoyens contre toute mauvaise interprétation de la loi qui est « imposée » au Maroc par des parties étrangères. Ils reprochent au gouvernement le manque d’une étude d’impact sur ce projet et les répercussions des nouvelles dispositions sur la société et l’économie nationale. Certaines interrogations cruciales demeurent en effet en suspens : le texte répond-il aux besoins réels du Maroc ? Est-il une simple législation inspirée d’autres pays ou un projet adapté à la réalité du royaume ? Quelle sera la véritable portée de cette réforme législative et ses retombées escomptées ?
Des débats animés attendus
Il faut dire que l’étude d’impact est un outil efficace d’aide à la prise de décision car elle permet d’évaluer les conséquences des futures législations et de dissiper tous les doutes. Le gouvernement n’a même pas soumis à l’institution législative une étude d’impact sur les mesures déjà prises depuis 2007 en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux. Ainsi, le groupe parlementaire du PAM à la chambre basse compte saisir le conseil économique, social et environnemental (CESE) autour de l’impact du projet de loi n° 12.18 modifiant et complétant le Code pénal et la loi n° 43.05 relative à la lutte contre le blanchiment des capitaux. Cette réforme législative s’explique, selon le gouvernement, par la nécessité d’adapter la loi marocaine en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux aux normes internationales et d’éviter la dégradation du classement du Maroc. À cet égard, quelques députés appellent à ne pas se conformer à la lettre aux exigences internationales et à prendre en considération les spécificités nationales, comme à titre d’exemple la culture du cannabis dont sont concernés nombre de ménages marocains. « Au lieu de s’attaquer au dossier de la lutte contre les capitaux, il aura fallu, en premier lieu, prendre le taureau par les cornes en réglant le dossier de la culture du cannabis », selon le président de la commission de la justice. On s’attend à des débats animés lors de l’étape des discussions détaillées de cette législation et à l’introduction d’amendements de fond au texte car les critiques émanent tant de la majorité que de l’opposition.
Adapter le système législatif marocain aux normes internationales
Le renforcement de l’arsenal juridique national contre le blanchiment des capitaux s’assigne pour objectif de permettre de rechercher et saisir les fonds illicites en vue de leur éventuelle confiscation, d’adapter le système législatif national aux normes internationales adoptées par le Groupe d’action financière dans cette section et remédier aux carences contenues dans les textes actuels, notamment les observations relevées par l’évaluation mutuelle lors de ses premier et deuxième paliers. Le projet de loi devra aussi permettre d’éviter les sanctions qui pourraient être rendues par les organisations internationales et qui risquent de compromettre les efforts déployés par notre pays pour protéger son système financier et économique. Plusieurs amendements sont prévus, à commencer par l’adoption d’un système de liste au lieu de la méthode du seuil dans la détermination des infractions constituant un blanchiment de capitaux. D’autres infractions relatives aux marchés financiers ainsi que des infractions en matière de vente et de services fournis de façon pyramidale seront ajoutées à la liste des infractions citées dans l’article 574-2 du Code pénal. Le texte vise à renforcer les mesures de vigilance et de contrôle interne et de mettre en place les règles d’accréditation auprès de tiers afin de mettre en œuvre les dispositions relatives à l’identification du client et du bénéficiaire effectif et de comprendre la nature de la relation commerciale.
Jihane Gattioui / Les Inspirations Éco