Maroc

Autoconstructeurs : l’urgence fiscale de février 2025 et les pièges de l’ombre

Alors que l’échéance de février 2025 approche, les autoconstructeurs doivent se conformer à leurs obligations déclaratives sous peine de sanctions sévères. Entre contrôles renforcés de la DGI et risques de requalification commerciale, la transparence fiscale devient un impératif.

Saviez-vous que les constructions de plus de 300 m² nécessitent une déclaration annuelle jusqu’au permis d’habiter ? Un oubli coûte 2% du montant total. Alors que le mois de février 2025 touche à sa fin, les autoconstructeurs doivent impérativement se mobiliser pour déposer une déclaration souvent méconnue : celle du coût de leur construction personnelle.

Disons que cette obligation, bien que technique, est un verrou essentiel pour éviter des sanctions coûteuses et rester en conformité avec le Code général des impôts (CGI).

Retour sur un dispositif fiscal stratégique, dans un contexte où le secteur immobilier marocain est sous haute surveillance.

Au-delà des particuliers
Le champ d’application de cette obligation fiscale, souvent sous-estimé, s’étend bien au-delà des simples particuliers.

Comme le rappelle Lhaj Boulanouar, expert-comptable et commissaire aux comptes, trois catégories de contribuables sont principalement visées.

Premièrement, les personnes physiques construisant une habitation à usage personnel, dès lors que la superficie couverte dépasse 300 m². Comme on le constate, ce seuil exclut les petites constructions mais englobe la majorité des villas et résidences individuelles.

Deuxièmement, les SCI familiales dès lors que le logement est destiné à leurs membres.

Troisièmement, les coopératives d’habitation et associations, dont les membres mutualisent des ressources pour construire des logements. Ici, c’est l’entité morale qui porte l’obligation déclarative, mais chaque bénéficiaire final doit s’assurer que les factures sont tracées et certifiées.

Les documents à déposer comprennent un relevé détaillé des factures (matériaux, main-d’œuvre, etc.), et une attestation d’architecte pour les projets non clés en main, validant le coût réel des travaux. Soulignons que cette déclaration doit être renouvelée annuellement, de l’ouverture du chantier jusqu’à l’obtention du permis d’habiter. Un non-respect des délais entraîne une majoration de 2% du coût total – une pénalité significative pour des projets souvent budgétisés à plusieurs millions de dirhams.

Risques fiscaux : entre sanctions et requalification commerciale
En cas de non déclaration ou sous-évaluation, le contribuable s’expose à une majoration calculée sur le coût réel du marché. Une somme qui va à coup sûr peser sur la trésorerie des contribuables concernés. Le vrai danger, cependant, réside dans le glissement vers un régime fiscal plus lourd.

Les récents contrôles de la Direction générale des impôts (DGI) ont mis en lumière une pratique alarmante : des autoconstructeurs, initialement présentés comme des particuliers, opèrent en réalité comme des promoteurs immobiliers déguisés. Ces acteurs acquièrent des terrains, y érigent des immeubles, puis commercialisent en masse des appartements ou locaux, le tout dans un délai court et sans intention d’usage personnel.

Pour brouiller les pistes, certains recourent à des montages juridiques sophistiqués, comme la création de SARL éphémères – des structures rapidement dissoutes après la vente des biens, puis recréées sous d’autres noms pour échapper à la traçabilité fiscale.

La DGI, armée de ses outils numériques, détecte ces dérives via un croisement systématique des données : dates d’achat des terrains, délais entre l’obtention du permis de construire et la mise en vente, ou encore récurrence des transactions sous un même nom.

Cette surveillance accrue conduit à une requalification implacable des profits : les gains issus de ces opérations, initialement imposés à 20% au titre des profits immobiliers, basculent sous le régime de la taxe sur le revenu à 38%, dès lors que l’activité est jugée commerciale. Les conséquences sont lourdes : en 2024, cette requalification a permis à l’administration de récupérer 5,8 milliards de DH sur 5.793 dossiers contrôlés, incluant des sanctions rétroactives sur les trois années précédentes.

Cette rigueur fiscale s’explique par un double enjeu : combler les lacunes d’un système longtemps fragilisé par l’opacité immobilière, et rééquilibrer la concurrence entre petits auto-constructeurs et grands promoteurs. Les premiers, désormais avertis, doivent redoubler de vigilance : un projet personnel transformé en source de profit récurrent expose non seulement à un alourdissement fiscal, mais aussi à des poursuites pour dissimulation d’activité commerciale.

Un secteur immobilier sous tension
Avec une contribution de 6,3% au PIB et une production annuelle de 160.000 logements, le secteur immobilier marocain se positionne comme un pilier économique incontournable. Les matériaux de construction, générant 14 milliards de DH de valeur ajoutée, selon les données de la FMC, alimentent une chaîne de valeur employant plus de 200.000 personnes.

Toutefois, cette vitalité contraste avec des enjeux structurels : l’urbanisation galopante, qui devrait porter la population urbaine à 73,6% d’ici 2050, exacerbe une demande déjà tendue. Si le déficit en logements a été réduit à 339.537 unités en 2022 (contre 1,2 million en 2002), l’accès au logement abordable reste un défi, surtout pour les classes moyennes. Les autoconstructeurs, longtemps perçus comme une solution informelle à ce déficit, font désormais l’objet d’une surveillance accrue, leur rôle ambivalent – entre réponse sociale et concurrence déloyale aux promoteurs agréés – interrogeant les pouvoirs publics.

Dans ce contexte, certains Marocains résidant à l’étranger (MRE) jouent un double jeu. Actifs dans l’immobilier, certains recourent à des montages juridiques opaques : création de SARL éphémères pour acquérir des terrains, construire des immeubles, les vendre en lots, puis dissoudre la structure avant de réitérer l’opération sous une autre entité. Ces schémas, conçus pour limiter les risques fiscaux et juridiques, sont désormais éventrés par la collaboration inter-administrations (DGI, registres fonciers, notaires).

«La traçabilité électronique des transactions permet de remonter les chaînes de propriété, même lorsque les SARL sont dissoutes», souligne un expert fiscal.

Ainsi, les brebis galeuses ne peuvent plus se cacher derrière des montages fantômes. En 2024, cette vigilance a conduit à plusieurs redressements, ciblant des investisseurs ayant transformé l’autoconstruction en business modèles à répétition, au mépris des critères d’usage personnel exigés par la loi.

Anticiper pour éviter la crise
Respecter les délais et documenter rigoureusement exige une méthodologie infaillible. Toute facture, qu’elle concerne les matériaux, la main-d’œuvre ou les honoraires d’architecte, doit être archivée et, le cas échéant, certifiée par un professionnel agréé. Cette certification, obligatoire pour les projets non clés en main, valide non seulement les coûts déclarés, mais aussi la cohérence technique du chantier.

Dans un tel contexte, les logiciels de gestion de projet deviennent des alliés stratégiques : ils centralisent les devis, planifient les échéances et génèrent des rapports automatisés, limitant les erreurs humaines. Distinguer autoconstruction et activité commerciale repose sur des critères précis fixés par la DGI. La durée de détention du bien est un marqueur clé : une vente dans les 12 mois suivant l’achèvement des travaux déclenche quasi systématiquement un audit, l’administration y voyant une intention spéculative.

L’usage du logement – personnel, locatif ou mixte – et la fréquence des transactions (même via des prête-noms) sont scrutés.

«Un autoconstructeur vendant deux propriétés en trois ans sera suspecté de promotion déguisée. La transparence déclarative est la seule parade», explique un analyste fiscal.

Se faire accompagner par des experts n’est plus un luxe, mais une nécessité. Un expert-comptable maîtrisant les subtilités du CGI vous fera éviter les sous-déclarations ou les oublis coûteux. Pour les montages complexes – notamment ceux impliquant des MRE –, un avocat fiscaliste pourrait anticiper les risques de requalification : création de SCI offshore, optimisation du calendrier de cession, ou vérification de la conformité des attestations notariales.

Un équilibre fragile entre opportunité et vigilance

À l’heure où le Maroc renforce sa gouvernance fiscale, les autoconstructeurs se retrouvent à un carrefour stratégique. Entre les opportunités d’un marché immobilier dynamique (30% des encours bancaires, 200.000 emplois directs et indirects) et le durcissement des contrôles, la proactivité déclarative devient un impératif.

La procrastination, autrefois tolérée dans un secteur perçu comme informel, expose désormais à un double risque : des sanctions financières lourdes (majorations de 2 %, redressements rétroactifs) et une exclusion des circuits bancaires, de plus en plus exigeants sur la traçabilité des fonds. Déclarer, c’est se protéger – non seulement contre la DGI, mais aussi contre les aléas juridiques. Un dossier complet (factures certifiées, attestations d’architecte, calendrier de travaux) constitue une preuve de bonne foi en cas de contrôle, tandis qu’une transparence accrue rassure les institutions financières, clés pour le financement de futurs projets.

À l’inverse, frauder revient à hypothéquer sa crédibilité : les banques, via la Centrale des risques de Bank Al-Maghrib, partagent désormais des données avec le fisc, rendant tout écart visible. Cette exigence de transparence dépasse le cadre légal : elle est un levier de pérennité économique.

Un secteur immobilier assaini attire les investisseurs étrangers, limite la spéculation et réduit le déficit en logements – encore estimé à 339.537 unités en 2022.

Comme le rappelle une source, «la régularité fiscale n’est pas un coût, mais un investissement dans la compétitivité à long terme».

Les autoconstructeurs qui l’auront compris tireront leur épingle du jeu, transformant une contrainte réglementaire en avantage concurrentiel.

Bilal Cherraji / Les Inspirations ÉCO



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