Année 2020 au Maroc: la récession, secteur par secteur
Sous l’effet de la crise sanitaire de la Covid-19, le Maroc a été frappé par la plus lourde récession jamais enregistrée depuis plus de deux décennies. L’ampleur du choc est telle que pratiquement tous les secteurs d’activité sont touchés, avec, en pôle position le tourisme et ses activités annexes, suivi des industries mécaniques, métallurgiques et électriques, du textile-habillement, du commerce et du transport. Les détails.
Le Maroc a mal fini l’année 2020 ! C’est pire que ce que tous les projectionnistes avaient prédit. Le niveau de récession enregistré a, en effet, largement dépassé les 5,8% initialement prévu par le Haut commissariat au plan (HCP) pour se situer à 7% (6,6% selon BAM).
Ainsi, sous l’effet de la crise de la Covid-19, le pays a été frappé par la plus lourde récession jamais enregistrée depuis plus de deux décennies. Selon les experts du HCP, cette «descente aux enfers» a été principalement accélérée par la contreperformance du secteur primaire qui, pour la deuxième année consécutive, a été confrontée à la sécheresse. En 2020, la production céréalière au Maroc n’a pas dépassé 32 millions de quintaux. Dans le détail, il s’agit du blé tendre (17,7 MQx), du blé dur (7,9 MQx) et l’orge (6,4 MQx). Au total, cela représente une baisse de 39% par rapport à la campagne agricole précédente et de 57% en comparaison avec une année moyenne. La production des filières animales s’est également infléchie sous l’effet du déficit fourrager causé par la sècheresse. Tandis que l’activité avicole a été négativement impactée par la baisse de la demande intérieure sous l’effet de la crise de la Covid-19.
Agriculture :
Baisse de 8,1% de la valeur ajoutée
C’est ainsi que la valeur ajoutée agricole s’est repliée de 8,1% en 2020, contre une baisse de 5,8% l’année précédente. Même les activités de la pêche maritime n’ont pas été épargnées puisqu’elles ont connu un ralentissement de la commercialisation des produits de la pêche côtière et artisanale accompagné par une baisse des prix. Par conséquent, la croissance de la valeur ajoutée des activités de la pêche s’est limitée à 4,4% au lieu de 8,3% l’année précédente. Et donc, compte tenu de toutes ces évolutions, le secteur primaire a finalement dégagé une valeur ajoutée en repli de 7,1% en 2020 après une baisse de 4,6% en 2019, contribuant encore une fois négativement à la croissance du PIB de -0,9 point.
Secteur primaire :
Contribution de -0,9 point au PIB
Concernant le secteur non agricole au Maroc, les activités les plus touchées par la pandémie sont celles fortement dépendantes de la demande extérieure, notamment en provenance des pays européens. Il s’agit essentiellement du secteur touristique et de ses activités annexes, des industries mécaniques, métallurgiques et électriques (IMME), des industries du textile et habillement, du commerce et du transport. Sous l’effet de la fermeture des frontières, la suspension des déplacements interurbains, la fermeture des établissements touristiques et l’annulation de l’opération Marhaba 2020, l’activité touristique a littéralement plongé en 2020.
Tourisme :
Chute de 55,8% de la valeur ajoutée
Sa valeur ajoutée a connu un effondrement de près de 55,8% en 2020 contre une hausse de 3,7% un an auparavant. Deux autres activités tertiaires ont été également affectées en 2020. Il s’agit, en l’occurrence du secteur du transport et de celui du commerce. Concernant le premier, la valeur ajoutée a enregistré une chute de 25,8% en 2020 après un accroissement de 6,6% en 2019, sous l’effet des arrêts temporaires de ses activités. Le transport aérien, représentant plus de 27% de la valeur ajoutée du secteur, a lui subi l’impact de l’arrêt total de ses activités durant la période du confinement. Le transport ferroviaire a été également touché par la baisse du nombre des voyageurs ferroviaires à cause de la suspension ou la limitation des déplacements entre les villes. Seul le transport maritime a fait mieux puisqu’il a poursuivi sa tendance haussière grâce au redressement des échanges du commerce mondial durant la deuxième moitié de l’année 2020.
Commerce :
Baisse d’activité de 11,4%
Et s’agissant du commerce, ses activités ont reculé de 11,4% en 2020 contre une hausse de 2,4% en 2019. Le commerce de biens d’équipement tels que l’électroménager, mais aussi les loisirs et le mobilier a notamment connu une dégradation aiguë atténuée par le développement du e-commerce. Par contre, le commerce de produits alimentaires et d’hygiène a tiré profit de la crise. Alors que pratiquement tout le monde pensait le contraire, même le secteur des postes et télécommunications n’a pas été épargné par la crise. Affecté par les répercussions de la crise sur les activités des services de la poste, ce secteur aurait reculé de près de 1,3% en 2020 après une faible hausse de 0,3% enregistrée en 2019. Autrement dit, le rebondissement du nombre d’unités consommées du mobile et d’internet, en raison de la conversion vers le télétravail et l’enseignement à distance, n’a pas eu l’effet que d’aucuns pouvaient lui attribuer. Bref, eu égard à toutes ces évolutions, le secteur tertiaire aurait affiché un recul de 6,8% contre une hausse de 3,8% en 2019, contribuant ainsi négativement à la croissance du PIB de -3,5 points.
Secteur tertiaire :
Contribution de -3,5% au PIB
Concernant le secteur secondaire, les activités industrielles ont pratiquement toutes pâti des répercussions négatives de l’arrêt temporaire de l’activité de plusieurs opérateurs industriels et du retrait de leur dynamisme sur le marché national et international. Leur valeur ajoutée s’est ainsi, fortement contractée de 7% en 2020 contre une hausse de 2,8% en 2019. Cette contreperformance est principalement attribuable à la baisse de la valeur ajoutée des IMME de 22,4% en 2020 contre une hausse de 4,7% une année auparavant. L’activité du secteur automobile, qui est fortement corrélée aux carnets de commandes des donneurs d’ordre à l’étranger et qui a absorbé 27% des exportations nationales entre 2010-2019, a été également impactée par la crise à travers l’arrêt partiel de plusieurs unités industrielles.
Textile :
Chute d’activité de 14,1%
Le secteur aéronautique au Maroc, opérant aussi dans une configuration de chaîne de valeurs mondialisée, a été directement touché par les difficultés rencontrées par les différents opérateurs de l’aviation, qui a conduit à l’effondrement de la demande d’avions neufs, ce qui a forcé les grands constructeurs du secteur à réduire la cadence de leur production. Pour leur part, les activités du textile et cuir ont chuté de près de 14,1% en 2020 après une hausse de 3,1% en 2019, souffrant en plus des retombées de la crise, de problèmes structurels, notamment la forte concurrence turque et chinoise et le poids important du secteur informel. Ces faiblesses se seraient aggravées, d’abord par la perturbation des chaînes d’approvisionnement des unités industrielles en intrants provenant de l’Asie, particulièrement de la Chine, et par la chute de la demande extérieure notamment de l’Espagne et de la France, des produits de la confection et de la bonneterie. Toutefois, ces difficultés se seraient atténuées par l’apparition d’une forte demande mondiale et nationale pour les articles du textile liés au domaine médical. À signaler que les secteurs de l’énergie et du Bâtiment et travaux publics (BTP) n’ont pas été épargnés. La valeur ajoutée du secteur énergétique a affiché un repli de près de 4,1% en 2020, suite à la baisse de plusieurs activités industrielles, après un net rebondissement de 13,2% enregistré en 2019. Tandis que pour le BTP, ce repli s’est situé à 9,8% en 2020 (Voir encadré). Bref, le secteur secondaire a fini 2020 avec une valeur ajoutée en baisse de 6,3%, contribuant ainsi négativement à la croissance du PIB de -1,6 point.
Secteur secondaire :
Contribution de -1,6% au PIB
À signaler qu’en face de ces secteurs qui ont payé un lourd tribut en 2020, d’autres ont continué à être résilient, en affichant parfois des performances. C’est notamment les cas des industries extractive, agroalimentaire, chimique et para-chimique, mais également les services de santé et éducation et les services d’administration. En effet, la valeur ajoutée du secteur de l’industrie agroalimentaire, a connu une amélioration en 2020, en enregistrant une modeste croissance de l’ordre de 0,6%, contre une évolution de 1,1% l’année précédente. Ce bon comportement a permis de compenser les pertes à l’export au niveau de ce secteur et ce grâce à la bonne tenue de la demande intérieure, maintenue par les efforts entrepris pour soutenir le pouvoir d’achat.
Chimie-parachimie : +7,6% de croissance
Les industries chimiques et para-chimiques ont fait mieux en 2020. Leur valeur ajoutée a enregistré un accroissement de près de 7,6%, contre 5,6% en 2019. D’une part, la baisse de la demande étrangère adressée aux produits pharmaceutiques aurait été largement compensée par la bonne orientation de la demande locale. D’autre part, la production des engrais chimiques destinés à l’export se serait améliorée profitant du raffermissement des importations brésiliennes, indiennes et européennes ainsi que du repli des exportations des principaux concurrents, notamment la Chine et les États-Unis. De même, les industries extractives ont tiré leur épingle du jeu. Leur valeur ajoutée a progressé de près de 4,4% en 2020 contre 2,4% en 2019. La production du phosphate brut se serait raffermie suite à l’accroissement du volume des expéditions du phosphate et de ses dérivés, malgré les perturbations des prix au niveau du marché international. Toutefois, la production des métaux, notamment celle de zinc, de cobalt et de plomb se serait contractée en 2020, impactée par la fermeture de la majorité des sites miniers et le repli de leur cours à l’échelle internationale. Ceci sans oublier les services de santé et éducation et les services d’administration. Ces services non marchands ont maintenu la croissance de leur valeur ajoutée à 5% en 2020 (Voir encadré).
Le bâtiment sous le double choc de l’offre et de la demande
Le secteur du Bâtiment et Travaux Publics a affiché un repli de sa valeur ajoutée de 9,8% en 2020, après sa légère redynamisation de 1,7% constatée une année auparavant. C’est en particulier la branche du Bâtiment qui a été la plus sévèrement pénalisée par le double choc d’offre et de demande, causé par la crise. Les pertes d’emploi et la réduction des salaires ont entraîné une dégradation du pouvoir d’achat des consommateurs. De plus, l’arrêt des chantiers et la baisse des ventes de logements ont freiné les investissements des promoteurs immobiliers. Face à cette situation, des mesures ont été mises en place pour atténuer ces effets et amorcer la relance de ce secteur. Il s’agit notamment de la réduction de 50% des droits d’enregistrement relatifs à l’acquisition des logements et des terrains destinés à la construction dont la valeur ne dépassant pas 2,5 MDH et leur annulation pour le logement social, la suspension de l’application du référentiel des prix et le report des échéances de crédits.
Les services non marchands ont tenu le coup
En 2020, les services non marchands ont compensé en partie la baisse des services marchands. En effet, la croissance de leur valeur ajoutée a été maintenue à 5%, en raison des charges incompressibles de la masse salariale et des cotisations sociales. De même, les services relatifs à la santé et à l’éducation ont connu un dynamisme avec un accroissement de leur valeur ajoutée de 4,6% en 2020 contre 2,4% enregistré en 2019. En effet, suite aux pressions exercées par la crise de la Covid-19, un effort considérable a été déployé en 2020 pour la consolidation et le renforcement des capacités du système de santé, et l’amélioration de sa qualité.
Aziz Diouf / Les Inspirations Éco