Maroc

Akram Zaoui: “Les relations entre le Maroc et la France sont profondes, et le pragmatisme devrait continuer à dominer”

Akram Zaoui
Spécialiste en relations internationales au Policy center for the New South

Un mois après les élections présidentielles françaises, qui ont consacré Emmanuel Macron président, le Policy center for the new south s’est penché sur les sujets majeurs vers lesquels le quinquennat qui commence sera orienté, les enjeux des prochaines élections législatives, mais aussi sur les éventuels changements à venir, ou pas, dans les relations entre la France, l’Afrique et le Maroc. Entre l’Hexagone et le Royaume, le pragmatisme devrait cependant dominer, déclare Akram Zaoui  Spécialiste en relations internationales au Policy center for the New South. Entretien.  

Comment peut-on caractériser l’actuelle séquence politique française au lendemain de l’élection présidentielle et à l’approche des législatives ?
Cette séquence électorale paraît marquer une accentuation de traits qui existaient déjà dans la scène politique française de la Ve République. On a ainsi une forme de trichotomie, exprimée au premier tour de la présidentielle par les scores réalisés par trois pôles : le pôle libéral, le pôle populaire, et le pôle nationaliste. Ainsi, il y a d’abord une extrême droite, rencontre du désarroi social dans la périphérie de la France, les zones moins densément peuplées, celles frappées de désindustrialisation…, et d’un nationalisme dont les racines plongent profondément dans l’histoire moderne de la France : c’est le Rassemblement national (RN) de Marine Le Pen.

Ensuite, une gauche plus «assumée» que celle du parti socialiste tel qu’il a gouverné sous le mandat de François Hollande, et qui a trouvé une incarnation dans la figure de Jean-Luc Mélenchon. Enfin, ce que l’on pourrait qualifier «d’extrême centre» (Pierre Serna), coagulation de la gauche et de la droite de gouvernement ralliées à une option technocratique et de marché à tendance autoritaire.

Il faut voir cette configuration comme le résultat d’une période marquée, dans un premier temps, par l’effondrement des socialismes du XXe siècle, puis par les résultats mitigés d’une politique ayant pris pour postulats ce que l’on pourrait qualifier de «logiques du marché». Il semble clairement y avoir une France des élites et une France du peuple.

Un chiffre qui l’exprime le mieux au second tour, c’est le nombre de personnes qui ont voté par rejet du candidat opposé plutôt que par adhésion : entre 40% et 50% des voix. Contre Macron, ce chiffre dit bien un rejet de politiques perçues comme favorables aux nantis.

En revanche, contre Le Pen, il exprime une peur de l’extrême droite. En fait, c’est une intersection qui est ici intéressante: la somme de ceux qui ont voté pour faire barrage à Le Pen et de ceux qui ont voté pour Le Pen contre Macron forment une minorité importante des Français, qui rejettent à divers degrés des politiques jugées socialement agressives, si on y ajoute ceux qui ont voté pour Le Pen par adhésion, le nombre de Français qui ont voté par conviction pour Emmanuel Macron, s’il reste relativement important, désigne le nombre d’électeurs qui relèvent de la «France qui gagne».

Le prochain mandat d’Emmanuel Macron marquera-t-il une rupture ou une continuité ?
Les conditions de constitution de la majorité à venir détermineront en grande partie l’action gouvernementale. Beaucoup d’inconnues demeurent (participation aux législatives, résilience des partis traditionnels dans les territoires, chances du Rassemblement national…) mais ces législatives sont incontestablement intéressantes à suivre.

C’est en fonction des rapports de force politique et de son succès aux législatives que l’on pourra déterminer si la promesse du président Macron de «changer» sera ou non suivie d’effets. Mais, quoi qu’il en soit, le prochain quinquennat devrait être marqué par une série de thèmes comme ceux du climat et de l’environnement, la revalorisation des territoires, la réindustrialisation, la revitalisation démocratique des institutions…

Quelle politique étrangère pour Macron durant son deuxième quinquennat, notamment en Afrique ?
La France est pénétrée de l’idée de constituer une puissance avec laquelle il faut compter, mais d’être, par ailleurs, une puissance en déclin, du moins si elle fait cavalier seul. Le rapport avec l’Afrique constitue une particularité pour différentes raisons : l’immigration africaine en France est beaucoup plus significative que dans d’autres pays industrialisés (prégnance de l’immigration caribéenne et indopakistanaise au Royaume-Uni, latino-américaine aux États-Unis, turque et, depuis plus récemment, arabe orientale en Allemagne…).

L’Afrique est donc une question qui est aussi intérieure : à titre d’exemple, l’immigration africaine, très stigmatisée politiquement et largement marginalisée économiquement, avait largement voté pour Jean-Luc Mélenchon au premier tour de la présidentielle. Corollaire, la question du développement de l’Afrique fait consensus.

Au-delà, l’affirmation de la puissance française dans le monde doit passer par une refondation et un approfondissement de ses relations avec l’Afrique, en partant de ses partenariats les plus ancrés (en Afrique du Nord, de l’Ouest et centrale francophones) pour irradier vers d’autres régions (Égypte, Éthiopie, pays anglophones d’Afrique de l’Ouest, de l’Est et australe).

Signalons que les dernières tentatives du président Macron à destination du continent se sont démarquées par une double-approche : implication de l’Europe (par exemple dans le cadre du dialogue d’Union à Union) et des sociétés civiles et écosystèmes entrepreneuriaux d’Afrique.

Quel avenir pour les relations franco-marocaines ?
Il y a une tendance de fond d’affirmation sur un mode nouveau de la souveraineté marocaine à l’international. On a aussi assisté à une diversification des partenaires ou, au moins, à une consolidation et à une volonté de renouvellement de relations existantes, étendues à de nouveaux domaines de coopération.

Un des terrains sur lesquels cela s’est traduit, avec la mise en avant du thème du «gagnant-gagnant», est bien sûr le terrain continental. En prenant tout ceci en considération, il a pu y avoir des frictions ces dernières années avec la France. Une des questions qui va structurellement se poser est, notamment, celle des modalités de la «compétition» entre France et Maroc en Afrique, dans des domaines différents (on peut penser au secteur des banques par exemple).

Cependant, au fond, les relations entre les deux pays sont profondes, et le pragmatisme devrait dominer. La France est le pays où vivent le plus de Marocains résidant à l’étranger (MRE), et où sont établis le plus grand nombre d’étudiants marocains à l’étranger. C’est aussi le premier pays en matière de flux (le tiers) et de stocks d’investissements directs étrangers au Maroc.

Dans la consécution de la pandémie, les discussions portant sur la régionalisation des chaînes de valeur ont aussi vu le dialogue entre le Maroc et la France s’intensifier en matière industrielle. Près du tiers des touristes qui visitent le Maroc chaque année sont français (MRE compris).

Un certain nombre d’autres discussions continueront, par ailleurs, de lier les deux pays : notamment la coopération en matière de renseignement et de migration, voire religieuse avec la réforme en cours de l’organisation de l’islam en France.

Sami Nemli / Les Inspirations ÉCO


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