Agriculture. Rachid Benali : “Nous naviguons aujourd’hui dans le flou total”
Dans cet entretien, Rachid Benali, président de la Confédération marocaine de l’agriculture et du développement rural, lance une alerte sur la situation du secteur agricole qui manque actuellement de visibilité par rapport à la question de l’eau d’irrigation, ce qui compliquera davantage la donne cette saison.
La question de l’eau constitue un enjeu vital pour les filières agricoles étant donné que l’irrigation dans la majorité des périmètres a été suspendue. Quelles perspectives s’offrent au secteur face à cette situation critique ?
Réellement, nous ne disposons d’aucune visibilité pour la question de l’eau d’irrigation. Et, en vérité, nous naviguons aujourd’hui dans le flou total et nous ne savons pas ce qui va se passer. Mais ce qui complique la situation, c’est que nous n’avons pas de réponse aux dernières lettres que nous avons adressées à ce sujet au département de l’eau. Nous espérons avoir une réponse qui pourra nous satisfaire afin de disposer d’une visibilité pour le secteur. Nous aimerions par exemple être situés sur les semences pour la culture des betteraves cette année. Il en est de même pour les oignons et les pommes de terre pour l’année prochaine.
Donc, le secteur agricole est dans l’expectative, parce que cela ne sert à rien de mettre en place une culture avec un démarrage et un programme de plantation, sans avoir d’eau pour l’irrigation. La gestion de l’eau ne relève pas de notre ressort ou de celui du département de l’agriculture. Ce dossier névralgique repose entre les mains du département de l’eau. Donc, pour avoir plus de visibilité nous sommes suspendus à une réponse de ce département.
Le Maroc reçoit plus de 30 milliards de m3 d’eau à partir des barrages dans le cadre d’une année normale. À partir de quelles ressources hydriques le stock stratégique de 3 milliards de m3 d’eau d’irrigation sera-t-il mobilisé pour le secteur agricole ?
Pour la question du stockage, le Maroc recevait en moyenne 15 milliards de m3 avec une capacité de stockage aux alentours de 16 milliards de m3. Il est à noter que ces dernières années, nous avons reçu moins de 5 milliards de m3. Donc, nous sommes loin des chiffres des années normales.
Actuellement, ce que nous recevons par rapport à ce qui est stocké et utilisé est une équation très difficile, voire complexe. La dotation prévue pour l’agriculture est d’environ 2,4 milliards de m3. Maintenant, nous recevons entre 600 millions et 800 millions de m3 et peut-être même beaucoup moins.
Par conséquent, des arbitrages difficiles se font, mais ce qui est faisable aujourd’hui est de mobiliser les endroits où il existe un potentiel, notamment la région de Moulouya avec plus de 200 millions de m3 stockés dans les barrages. Avec cette quantité et même, aujourd’hui, avec les apports de ces derniers jours, nous n’avons toujours pas de visibilité. Jusqu’à présent, il n’y a pas d’eau et nous n’avons pas eu de lâchers, même avec un apport de plus de 30 millions de m3 en quelques jours. Dans cette région, la demande est estimée à 10 millions de m3 que nous n’arrivons toujours pas à avoir.
Face à la recrudescence des phonèmes extrêmes et la fluctuation des prix de plusieurs produits des filières animales et végétales, quel regard portez-vous sur l’actuelle saison agricole, y compris l’export et le marché interne ?
Pour ce qui est de la question du marché en relation avec les fluctuations des prix, la situation est très variable. L’exemple le plus éloquent aujourd’hui est celui de l’oignon. Ce produit est vendu par l’agriculteur à moins de 1 dirham. Sur le marché, il est écoulé à plus de 4 et 8 dirhams.
Au niveau de Rabat, le prix est de 6,95 DH, jeudi dernier, ce qui nous pousse à aborder, une nouvelle fois, la question de la structuration du marché qui souffre de problème des revendeurs, des détaillants et des intermédiaires.
D’autres produits continuent d’avoir les mêmes problèmes de hausse des prix, notamment les viandes rouges et actuellement on ne peut pas faire autrement. Même pour les produits qui sont à un prix dérisoire, aujourd’hui, comme l’oignon, l’agriculteur est déjà perdant. Avec la problématique de l’eau, il sera encore perdant, ce qui affectera la récolte de la prochaine année car l’agriculteur ne dispose d’aucune visibilité et nous n’aurons pas de semences.
En marge du SIAM, 19 contrats-programmes pour le développement et la modernisation des filières de production ont été scellés. Où en est la mise en oeuvre de ces contrats avec l’ensemble des parties signataires ?
Dans le cadre du programme Génération Green, la stratégie a été présentée devant Sa Majesté le Roi, en février 2020. Ce qui est prévu, c’est de mener une évaluation à mi-parcours, c’est-à-dire en 2025. Maintenant, avec le contexte de pandémie, nous avons accusé du retard et les contrats-programmes n’ont été signés qu’en avril 2023. Donc, nous attendons de voir l’évolution des choses.
D’ailleurs, nous allons faire le point incessamment, même si logiquement, on doit attendre 2025. Toutefois, le bilan sera fait avant pour faire le point sur ce qui a été réalisé pour chaque filière. D’emblée, je peux dire que nous sommes très loin, si on se réfère aux chiffres actuels.
En effet, le secteur souffre d’une manière incroyable rien qu’en voyant le nombre d’arbres qui sont arrachés et asséchés complètement. Actuellement le secteur va mal, à l’exception faite pour certaines filières – notamment les fruits rouges – qui s’en sortent plus ou moins bien, et tout le monde partage ce constat.
Actuellement, plusieurs interprofessions rencontrent des difficultés internes. Quel est le rôle de la COMADER en matière de mise à niveau des interprofessions agricoles ?
La COMADER n’intervient pas dans la gestion interne des interprofessions agricoles. Certes, elle peut intervenir sur le plan des dossiers administratifs, notamment le fait que les interprofessions soient en situation régulière. Toutefois, la COMADER n’intervient pas s’il y a des problèmes internes, puisque nous n’avons pas la main sur cette question.
De ce fait, en aucun cas, nous ne pouvons rentrer dans les détails internes des interprofessions. Pour nous, l’essentiel est que les interprofessions disposent de leurs dossiers à jour en matière de tenue des assemblées générales et qu’elles soient en conformité avec les textes mis en vigueur.
Yassine Saber / Les Inspirations ÉCO