Maroc

Agriculture : intégrer les chaînes de valeur mondiales, mais à quel coût?

Le Maroc engrange les fruits de son intégration aux marchés mondiaux. C’est en substance ce que souligne le dernier Outlook agricole publié par la FAO. Mais à force de miser sur l’export, l’agriculture nationale s’écarte, ceci dit, de sa vocation nourricière.

L’agriculture, dans sa forme moderne, n’échappe plus aux arbitrages que dicte l’économie mondiale. C’est en substance le constat entériné par la FAO dans son dernier rapport «OECD-FAO Agricultural Outlook 2025-2034», qui consacre plusieurs développements à l’évolution des exportations africaines, où le Maroc figure en bonne place parmi les pays qui ont su s’imposer sur les marchés internationaux des fruits. Derrière cette performance, saluée par les auteurs du rapport, se joue une montée en gamme du secteur agricole qui n’est pas sans conséquences sur les équilibres internes. Alors que la croissance de la consommation mondiale se déplace vers les économies à revenu intermédiaire, le Royaume tire parti de ses «avantages climatiques et logistiques pour consolider ses positions à l’export».

Les projections du rapport prévoient une augmentation significative de la demande alimentaire dans les pays du Sud, mais alertent en parallèle sur la hausse attendue des émissions agricoles ainsi que sur la tension croissante concernant l’accès à des aliments à haute valeur nutritionnelle. En orientant une part croissante de sa production vers les marchés extérieurs, le Maroc s’inscrit dans une dynamique ambivalente, où les gains de compétitivité s’opèrent parfois au prix des «équilibres territoriaux».

Regain d’activité
Pourtant, les derniers indicateurs de Bank Al-Maghrib (BAM) livrent un tableau conjoncturel plutôt favorable. Dans son récent rapport sur la politique monétaire, BAM confirme l’embellie prévalant actuellement sur le plan macroéconomique. «La valeur ajoutée agricole progresserait de 5% en 2025, portée par une récolte céréalière estimée à 44 millions de quintaux.»

Cette amélioration fait suite à plusieurs années marquées par un stress hydrique aigu. L’institution monétaire note également un rebond des exportations de produits agricoles, contribuant à maintenir le déficit du compte courant autour de 2% du PIB. Mais cette relance masque quelques fragilités structurelles. La croissance demeure essentiellement tirée par les filières exportatrices au détriment des cultures vivrières. Le Royaume importe encore une part importante de ses besoins alimentaires de base, notamment les céréales, pour garantir sa sécurité alimentaire face à la volatilité des marchés mondiaux.

Cette dépendance, observée en particulier lors des flambées de prix provoquées par la guerre en Ukraine ou la volatilité des marchés des engrais, s’inscrit dans un modèle orienté vers l’export de cultures à haute valeur ajoutée.

Comme le souligne l’Outlook agricole 2025-2034 de l’OCDE et de la FAO, le Maroc poursuit cette trajectoire sans rééquilibrage visible en faveur des filières vivrières locales. Une orientation qui, si elle venait à se poursuivre, pourrait accentuer la vulnérabilité du pays face aux chocs extérieurs et à la montée des tensions sur les ressources naturelles.

Souveraineté alimentaire
Au-delà de la seule dimension commerciale, les perspectives à long terme ne sont guère reluisantes. L’agence onusienne en charge des questions agricoles et alimentaires souligne que, dans les pays à faible revenu, l’apport calorique moyen en produits d’origine animale restera largement en deçà des standards recommandés à l’horizon 2034. Cette insuffisance renvoie à une organisation du marché où l’offre locale est souvent captée par les circuits d’export.

Dans ce contexte, le Maroc se trouve face à un dilemme de fond. Poursuivre l’effort de compétitivité à l’international implique de renforcer les infrastructures, de maintenir la stabilité monétaire et d’attirer les capitaux. Mais répondre aux besoins internes suppose, pour sa part, d’investir dans une production mieux répartie, plus résiliente aux aléas climatiques, et moins tournée vers les rendements à l’export.

Au regard du statu quo en vigueur, rien ne permet, à ce stade, de trancher en faveur de l’un ou de l’autre scénario. La trajectoire paraît, à l’évidence, soutenable à court terme. Les réserves en devises se maintiennent à un niveau confortable, les exportations agricoles progressent, et la croissance non agricole se consolide. Mais à moyen terme, il faudra arbitrer entre l’efficacité d’un modèle tourné vers l’export et la nécessité de préserver une forme de souveraineté alimentaire, en conciliant intérêts commerciaux et développement territorial, sans succomber à la tentation de la facilité.

Agriculture, moteur discret de l’emploi industriel

Si la valeur ajoutée agricole reste soumise aux aléas climatiques, son influence s’étend bien au-delà du seul périmètre de la production. Selon Bank Al-Maghrib, la reprise de la croissance non agricole constatée en 2025 s’explique en partie par la vigueur retrouvée du secteur agricole, laquelle stimule des segments connexes tels que l’agro-industrie, le transport rural ou encore les services marchands.

Cette complémentarité, souvent négligée dans les analyses classiques, ressort notamment dans les chiffres de l’emploi. Au premier trimestre 2025, l’économie nationale a enregistré la création nette de 282.000 emplois, dont près d’un tiers dans les services et plus de 80.000 dans l’industrie.

Or, une part significative de cette dynamique tient, indirectement, à la relance de l’activité agricole, qui génère commandes, conditionnements et flux logistiques. Loin d’être un secteur isolé, l’agriculture apparaît ainsi comme un point d’ancrage pour la relance de filières industrielles locales à haute intensité de main-d’œuvre. Une réalité qui redonne tout son sens aux politiques d’intégration territoriale et de transformation locale de la production.

Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ÉCO



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