Abdellatif Maâzouz. “Notre ambition : conjuguer croissance, inclusion et durabilité”

Abdellatif Maâzouz
Président du Conseil de la région Casablanca-Settat
À la tête de la région la plus stratégique du pays, Abdellatif Maâzouz défend une vision volontariste du développement régional et détaille les grands chantiers en cours pour transformer Casablanca-Settat. Entre projets structurants, gouvernance régionale, transition écologique et attractivité économique, le président du Conseil régional dresse un état des lieux ambitieux et dévoile les leviers mobilisés pour hisser la région à la hauteur de ses potentialités.
Quel rôle joue la région Casablanca-Settat dans le développement territorial de la métropole et comment gérez-vous la relation entre la région et la commune de Casablanca ? Où s’arrête l’une et où commence l’autre ?
La région a un rôle central et stratégique. Elle ne doit pas se contenter d’être un simple relais ou un exécutant de décisions prises ailleurs. Sa mission est d’élaborer une vision claire et cohérente pour le territoire, de planifier les grands projets structurants, de mobiliser les ressources et de piloter leur mise en œuvre en collaboration étroite avec les communes, l’État et les autres partenaires.
La loi 11-14 sur la régionalisation avancée nous confère ce cadre, et c’est ce cadre que nous nous efforçons de mettre en pratique au quotidien. Nous ne sommes pas là pour simplement compléter des projets initiés ailleurs, mais pour être des acteurs structurants. Au sein du conseil régional, nous nous appuyons sur cette vision pour conduire des projets structurants à large échelle, tout en soutenant les communes sur des projets de proximité. C’est une erreur courante que de réduire Casablanca à sa seule commune urbaine.
En réalité, Casablanca est une métropole qui dépasse largement ses limites administratives. La région Casablanca-Settat englobe Casablanca, mais aussi Nouaceur, Médiouna, Benslimane, Berrechid, Settat, Mohammedia, et d’autres territoires qui participent à la dynamique métropolitaine. Par exemple, le Grand Stade Hassan II est à Benslimane, donc hors de la commune de Casablanca, mais bien dans la région.
Certaines compétences comme l’éclairage public sont strictement communales, tandis que d’autres, comme les espaces verts, sont gérées conjointement. La société Casa Baia, que la région cofinance, intervient aussi au-delà de Casablanca, notamment à Nouaceur et Médiouna. Cette complémentarité est essentielle, surtout pour des projets structurants où la région joue un rôle clé.
En termes de projets concrets, comment se matérialise ce partage des attributions ?
Nous avons concentré nos efforts sur plusieurs axes prioritaires. En mobilité, nous avons réalisé une nouvelle route entre Casablanca et l’aéroport via Taddart. Nous avons aussi aménagé les trémies de Dar Bouazza pour fluidifier la liaison avec Casablanca Sud.
Il y a également, parmi nos réalisations, les lignes 3 et 4 du tramway, le renouvellement du parc de bus et le lancement du BHNS qui ont profondément transformé le paysage des transports urbains. Mais nous irons encore plus loin avec le projet de Réseau express régional (RER) et de train régional (voir encadré).
D’autres projets majeurs comprennent la construction de deux grands échangeurs (Sidi Maârouf et Zenata), l’aménagement d’une voie côtière fluide entre Oued Cherrat et Mohammedia, ainsi que la création de zones d’activité économique modernes pour soutenir l’emploi et l’investissement.
Vous avez évoqué les zones d’activité économique. Quel rôle jouent-elles dans le développement régional ?
Ces zones sont un levier essentiel pour la création d’emplois et l’attractivité économique. Nous avons plus de 700 hectares (ha) dédiés aux zones industrielles et logistiques, avec deux projets majeurs en cours : Laghdira (250 ha) et Settat (54 ha), qui répondront aux besoins des grandes entreprises et des investisseurs.
Parallèlement, nous développons des zones de proximité, plus petites, destinées aux PME et TPE, comme la zone d’Ahl Loughlam à Sidi Bernoussi (10 ha), qui devrait générer 4.000 emplois directs. Nous mettons un point d’honneur à aménager ces zones selon les normes environnementales les plus strictes, avec des infrastructures modernes, pour créer un cadre attractif et durable.
La pollution est un sujet majeur. Quelles sont les actions engagées en la matière ?
L’environnement est au cœur de nos priorités. Nous travaillons sur plusieurs fronts : réduction des déchets, amélioration de la qualité de l’air, reboisement, gestion de l’eau, et planification territoriale avec le schéma régional d’aménagement. Le projet de la décharge nouvelle génération de Médiouna est emblématique.
Sur un budget total de 18 milliards de dirhams, 80% concerne cette décharge qui transforme les déchets en ressources via le tri, le recyclage et la production d’énergie. Cette nouvelle décharge occupera seulement 40 ha contre 950 auparavant, et elle respecte les normes sanitaires et environnementales les plus exigeantes. L’ancienne décharge de Médiouna ne sera pas seulement réhabilitée : elle est en cours de transformation en colline verte, avec un parc accessible en surface, sans odeurs, preuve par l’exemple du changement de cap environnemental.
Cette plateforme intégrée constitue un investissement inédit à l’échelle nationale. C’est un véritable «éco-campus» des déchets, qui vise à montrer que développement urbain et responsabilité écologique peuvent coexister. Le différentiel de coût n’a pas d’équivalent en termes d’effet sur la santé. En matière de pollution, les normes sont strictes : tolérance zéro dans la plupart des zones, des stations de mesure sont en place, et la qualité de l’air s’améliore progressivement. Je milite pour la publication des bulletins de qualité de l’air, pour sensibiliser et responsabiliser les citoyens.
La pollution est un enjeu de santé majeur, probablement plus grave que le Covid. Cela dit, le Maroc est bien positionné internationalement sur les objectifs de développement durable, et nous faisons partie des pays leaders dans la lutte contre la pollution.
Concernant la problématique de l’eau, nous avons mis en service plusieurs stations de réutilisation des eaux usées, qui irriguent nombre d’espaces verts de Casablanca, et nous développons un vaste programme de stations de dessalement et de déminéralisation pour assurer une ressource potable durable, notamment dans les zones rurales et périurbaines. Plus d’une trentaine sont prévues et la moitié est déjà opérationnelle dans des localités comme Settat, Sidi Bennour et Benslimane. Ce maillage permet de garantir l’accès à l’eau potable malgré le stress hydrique. Beaucoup de gens boivent déjà de l’eau dessalée sans le savoir. Il n’y a aucune différence avec l’eau conventionnelle.
Comment la région répond-elle aux défis du développement rural ?
Même si la majorité de la population est urbaine, la région est majoritairement rurale en superficie. Nous devons donc veiller à réduire les inégalités territoriales. Nous investissons dans la construction et la réhabilitation de routes rurales.
La lutte contre l’exode rural passe par des infrastructures solides. Déjà, 2.000 kilomètres de routes rurales ont été construits depuis le lancement du Plan régional de développement. 1.500 kilomètres supplémentaires sont en cours de réalisation.
L’accès à l’eau, à l’électricité, à l’assainissement et aux services sociaux est aussi au cœur de notre stratégie. Des centres émergents seront aménagés pour structurer l’espace rural autour de pôles intermédiaires, dotés d’équipements de santé, d’éducation et d’emploi.
Quels sont les principaux défis que vous rencontrez dans la gestion régionale ?
La complexité institutionnelle est un défi majeur. La régionalisation avancée est encore en phase de consolidation, et le rôle des communes, des wilayas et des départements ministériels n’est pas toujours clairement délimité. Cela génère parfois des retards et des lourdeurs administratives.
Il faut aussi accélérer la cadence entre la décision politique et le démarrage effectif des projets, lequel est souvent ralenti par les procédures d’appels d’offres, les contrôles et la multiplicité des acteurs. Enfin, le défi financier reste permanent : il faut réussir à mobiliser des ressources complémentaires pour aller au-delà des limites du budget régional.
Nous avons la chance d’avoir une majorité stable au conseil régional, ce qui facilite la prise de décision rapide. Nous avons gagné en efficacité sur les délais d’exécution des projets, même si les procédures préalables (contrôles, visas) restent lourdes et échappent parfois à notre contrôle. Dans le cadre de la régionalisation avancée, nous progressons bien, même si c’est un processus long et complexe.
La région accueillera plusieurs grands événements sportifs, notamment la CAN et la Coupe du monde 2030. Quel impact ces événements auront-ils sur votre stratégie ?
Ces événements constituent un formidable catalyseur pour accélérer la modernisation des infrastructures et valoriser la région à l’échelle internationale. Un comité régional dédié fédère tous les acteurs pour assurer une préparation optimale : mobilité, sécurité, accueil, animation urbaine. Cela crée un effet levier qui profite aussi au développement à long terme, en renforçant l’attractivité touristique, économique et sociale de Casablanca-Settat.
RER, trains régionaux… Casablanca-Settat redessine sa carte de la mobilité
La région Casablanca-Settat s’apprête à vivre une transformation majeure en matière de mobilité urbaine et régionale. À l’initiative de la région elle-même, un projet ambitieux est en cours de développement en partenariat étroit avec l’ONCF. Il repose sur un réseau intégré mêlant Réseau express régional (RER) et trains régionaux. Ceci, dans la continuité des projets structurants de tramways et BHNS (Bus à haut niveau de service).
Dans le détail, le RER reliera Benslimane à Nouaceur en passant par Casablanca et en desservant dix-huit arrêts. Conçu comme un moyen de transport de proximité, ce réseau offrira un service rapide, fiable et régulier, avec un passage toutes les douze minutes, promet Abdellatif Maâzouz. Il se distingue du train régional par sa fréquence élevée et sa vocation purement urbaine et périurbaine.
En parallèle, deux lignes de trains régionaux sont prévues. La première reliera Casablanca à El Jadida à partir d’une nouvelle gare centrale, qui devrait être achevée d’ici 2029. Cette ligne sera exploitée avec une fréquence soutenue et des arrêts réguliers tout au long du parcours. La seconde ligne partira de Casablanca en direction de Settat, en passant notamment par Dar Bouazza, dans une logique similaire à celle du Train navette rapide (TNR) actuel. Selon les zones, la fréquence oscillera entre quinze et trente minutes.
Ce vaste chantier de mobilité représente un investissement global de huit milliards de dirhams, dont cinq milliards et demi seront pris en charge par la région Casablanca-Settat. Celle-ci supporte ainsi la plus grande part du financement, devant Rabat-Salé-Kénitra et Marrakech-Safi, également concernées par l’extension du réseau régional.
Cette ambition ferroviaire s’inscrit dans la continuité des efforts déployés pour moderniser le transport public dans la métropole. Les lignes 3 et 4 du tramway sont opérationnelles, tout comme celle du BHNS, et les nouveaux bus mis en circulation ont déjà contribué à transformer significativement l’expérience des usagers. «À terme, l’objectif est que tout habitant de la région puisse disposer, à moins de dix minutes de chez lui, d’un moyen de transport fiable et accessible», résume le président du Conseil régional de Casablanca Settat.
Hicham Bennani, Mariem Ouazzani et Sanae Raqui / Les Inspirations ÉCO