Les Cahiers des ÉCO

Adhésion du Maroc à la CEDEAO : Une première étape franchie

DR Moustapha Diouf, spécialiste en relations internationales

Adhésion du Maroc à la CEDEAO : Un vrai bouleversement juridique

Dans cet entretien, Moustapha Diouf, magistrat et docteur en relations internationales (droit de l’intégration), donne un aperçu sur les étapes juridiques et techniques de l’adhésion du Maroc à la CEDEAO. 

Les Inspirations ÉCO : Sur le plan juridique, qu’implique l’adhésion du Maroc à la CEDEAO ?
Moustapha Diouf : Il faut d’abord souligner que le traité révisé de la CEDEAO de 1993 ne contient pas de disposition relative à l’adhésion de nouveaux membres. Mais puisque rien ne s’y oppose, la Conférence des chefs d’État et de gouvernement (CCEG), l’institution suprême, peut souverainement y admettre un autre État, comme elle avait déjà octroyé au Maroc le statut d’observateur. Le cas échéant, et comme toute adhésion à une organisation d’intégration, c’est d’abord une soumission totale à ce qu’on appelle l’acquis communautaire (amendé au besoin). Il s’agit de l’ensemble du corpus juridique de l’entité, à la somme des droits et obligations juridiques qui lient déjà les États membres, conformément à la temporalité qui aura été fixée à l’occasion des négociations relatives à ladite adhésion. L’adhésion, c’est également la caducité -en principe- des accords à caractère économique, technique ou encore culturel que le Maroc a signés avec des États membres de la CEDEAO pris individuellement, des États tiers ou d’autres organisations internationales, du moins dans toutes leurs dispositions incompatibles avec le traité révisé de la CEDEAO (article 84).

Quels traités et accords le Maroc doit-il désormais obligatoirement ratifier ?
L’adhésion du Maroc sera une première au niveau de la CEDEAO, où il n’y a pas de procédure définie. Mais dans la pratique, on établit après négociations un traité d’adhésion entre les États membres (pas la communauté) et le candidat à l’adhésion. C’est le cas par exemple au sein de l’Union européenne, de l’UEMOA avec l’accord d’adhésion de la Guinée-Bissau de mars 1997, ou encore, dans une organisation d’intégration sectorielle, le traité d’adhésion de la Guinée à l’OMVS.

Combien et comment les États membres de la CEDEAO cotisent-ils pour participer au budget de fonctionnement de l’institution ?
Les contributions des États membres au budget de la communauté s’opèrent à travers un prélèvement communautaire d’intégration de 0,5 % perçu par les États membres sur les importations en provenance de l’extérieur de la région. Il est recouvré par les administrations nationales des douanes des États membres, et reversé dans un compte de la CEDEAO, ouvert dans les livres de la Banque centrale du pays membre.

Quels sont les organes les plus influents qui pourraient intéresser le Maroc, en tant que membre de la CEDEAO ?
L’organe suprême (CCEG), qui fonctionne pratiquement comme en régime présidentialiste fort, regroupe tous les États membres. Au sein du Conseil des ministres, comme au Parlement communautaire aussi, tous les États membres sont représentés. Quant aux institutions à vocation supranationale (la Commission et la Cour de justice), tous les États sont appelés par rotation à y avoir respectivement leur commissaire et leur magistrat. Est intéressante la Banque d’investissement et de développement de la CEDEAO (BIDC), une sorte de société holding régionale, avec deux filiales spécialisées, à savoir le Fonds régional de développement de la CEDEAO (FRDC), pour appuyer le secteur public, et la Banque régionale d’investissement de la CEDEAO (BRIC) pour accompagner le secteur privé. Sa gouvernance respecte également l’égalité souveraine des États membres.

En termes de droit des affaires, des répercussions sont-elles à attendre pour le Maroc ?
Pas outre mesure à mon avis, pour ce qui est du «droit privé des affaires», car ce droit reste celui qu’il a été pendant que le Maroc était déjà en relations bilatérales avec 13 États membres. C’est-à-dire que 8 États de la CEDEAO, à savoir les États UEMOA, sont dans un droit unifié des affaires avec les États de la zone franc d’Afrique centrale, au sein de l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA). Les États restants ont leur propre droit des affaires, et comme le Maroc, ils gardent le leur tant qu’ils n’intégreront pas l’OHADA. Cela veut dire que la création de ses sociétés commerciales et la gestion de leurs difficultés, ainsi que leur liquidation, le recouvrement des créances, les sûretés, de même que les litiges qui naissent de tout cela et les contrats y afférents resteront soumis à un droit casuel, c’est-à-dire appliqué au cas par cas.

Qu’en est-il du droit public des affaires ou droit public économique ?
Intégrant à maints égards le droit CEDEAO, les règles communautaires de la concurrence (acte additionnel relatif à l’adoption de règles communautaires en matière de concurrence et des modalités de leur mise en œuvre dans l’espace CEDEAO,) et celles relatives à la commande publique (Code des marchés publics CEDEAO), en tout ce qu’elles disposeront, viendront s’imposer à l’ordre juridique marocain, et bouleverseront sans doute certaines pratiques. Les acteurs mettront du temps à les comprendre et à se les approprier. 


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