Politique

Élections législatives : les leçons d’un scrutin inédit

Le RNI,  le PAM et l’Istiqlal rient. Le PJD pleure… Pour le trio gagnant, la victoire est  juste et se présente comme une alternative crédible au PJD, qui a tenu les rênes du gouvernement pendant 10 ans. Du côté de l’USFP, le retour sur le devant de la scène est acté.

Victoire écrasante du Rassemblement national des indépendants aux élections législatives. Sur le plan arithmétique, le RNI a défié tous les pronostics, décrochant 102 sièges ( selon les informations qui circulaient à l’heure où nous mettions sous presse),  au moment où l’on s’attendait à ce que le premier parti ne dépasse pas 85 sièges à cause de la nature du nouveau quotient électoral. Le parti de la colombe, qui a sillonné les quatre coins du Maroc pour définir les priorités de son programme électoral, devient, ainsi, la première force politique au Maroc. Il est parvenu à améliorer spectaculairement son score de 65 sièges par rapport à 2016, soit une augmentation de 175,67 %.

Contrairement aux précédentes législatives lors desquelles il avait perdu des plumes en enregistrant une baisse de 15 sièges par rapport à 2011, le parti de la colombe s’envole, déployant pleinement ses ailes en 2021. Pour les bleus, cette victoire était prévisible en raison de l’action menée par le parti durant les cinq dernières années. Le RNI s’est présenté comme une alternative «crédible» au PJD. Ses arguments ont trouvé écho auprès des électeurs qui étaient nombreux à se rendre aux urnes, enregistrant un taux record. «La forte participation des Marocains aux élections du 8 septembre témoigne de leur aspiration au changement et traduit une prise de conscience quant à l’importance de ces échéances», a estimé le président du RNI, Aziz Akhannouch.

Le parti de la colombe est, ainsi, le grand vainqueur de ces élections. Il sera fortement représenté non seulement dans la Chambre basse, mais aussi dans les conseils communaux et régionaux. Il dépasse de loin le Parti authenticité et modernité, qui a sauvegardé sa deuxième position sur le podium. Le PAM sera représenté à la Chambre des représentants par 87 députés, soit 15 sièges en moins par rapport à 2016. C’était d’ailleurs prévisible, en raison du nouveau quotient électoral qui limite le score des grands partis. Cette fois-ci, le parti du tracteur n’a en effet pas pu décrocher plus d’un siège dans une même circonscription, comme c’était le cas en 2016. Mais ses résultats sont jugés par son chef de file, Abdellatif Ouahbi, «très positifs malgré la période que le PAM a traversée et qui a été marquée par des problèmes et des différends d’ordre organique».

La lampe «grillée»
Ouahbi se félicite  de « la victoire de la démocratie dans le royaume », contrairement au Parti de la justice et du développement qui a essuyé un revers cinglant. Le secrétaire général du PJD, Saad Dine El Otmani,  qui n’est pas parvenu à décrocher un siège dans la circonscription de la mort, à «l’Océan», à Rabat, a pointé  la non-remise des PV dans certains bureaux de vote; ce qui  ne permet pas, selon lui, de confirmer les résultats des élections et de connaître les résultats réels du processus électoral. La chute libre du PJD, qui a perdu 112 sièges, soit une baisse de 861,53 % , conduira-t-elle à l’implosion du parti ? En tout cas, tout porte à le croire. La sortie de l’ancien secrétaire général du parti de la lampe, Abdelilah Benkirane,  remue le couteau dans la plaie encore béante. Après «la douloureuse défaite», il appelle El Otmani à «assumer sa responsabilité en présentant sa démission de la direction du parti».  Les prochains jours s’annoncent très difficiles pour le PJD qui a fait l’objet d’un vote-sanction de la part des électeurs. Son score était une véritable surprise pour les observateurs les plus avertis qui ne s’attendaient pas à ce que son poids électoral soit tant réduit à peau de chagrin. Et même les plus pessimistes au sein de ce parti n’imaginaient pas une si lourde défaite. La débâcle du PJD impactera de plein fouet son avenir. Il ne pourra même pas constituer un groupe parlementaire à la Chambre des représentants. Son poids numérique ne lui permettra pas d’exercer une opposition farouche dans  l’hémicycle, contrairement au Parti de l’Istiqlal qui a considérablement amélioré son positionnement après une régression de 14 sièges  en 2016. Les héritiers de feu Allal El Fassi ont décroché 81 sièges, soit une augmentation de 76,08 %  par rapport aux précédentes législatives. Le secrétaire général du parti de la balance, Nizar Baraka, qui a gagné haut la main dans la circonscription de Larache, semble satisfait du verdict des urnes.

Même satisfecit chez le premier secrétaire de l’Union socialiste des forces populaires, Driss Lachguer, qui jubile de «l’ascension» de sa formation. En effet, le parti de la rose refait surface après une descente aux enfers, en 2011 et 2016. Il vient de décrocher 34 sièges, soit une augmentation de 70 % par rapport aux précédentes législatives. L’USFP, qui a été secoué de plein fouet par des guéguerres intestines, a tenté autant que faire se peut, durant les dernières années, de tourner la page pour mieux appréhender l’avenir.

Il s’est positionné au quatrième rang, suivi du Mouvement populaire qui a remporté 28 sièges aux législatives, soit uniquement un siège supplémentaire par rapport à 2016. Le parti de Mohand Laenser n’est pas, ainsi, parvenu à améliorer son score, comme espéré. Le chef de file du MP  nourrissait l’ambition de faire mieux aux élections du 8 septembre et de retrouver le poids électoral d’avant 2007. Les harakis comptaient beaucoup sur le nouveau quotient électoral qui leur a, certes, permis de maintenir leur position, mais sans pour autant atteindre le score escompté. Le MP est talonné par le Parti du progrès et du socialisme qui est parvenu à décrocher 22 sièges, malgré l’échec cuisant de son secrétaire général. Tout comme El Otmani, Nabil Benabdellah a été battu dans la circonscription de « l’Océan» à Rabat. Le PPS, dont le mariage du lapin et de la carpe lui avait porté l’estocade en 2016, a pu, cette fois-ci, améliorer son positionnement en gagnant 10 sièges supplémentaires, soit une augmentation de 83,33 %. Les progressistes vont enfin pouvoir constituer un groupe parlementaire au sein de la Chambre basse.

Quid des alliances ?
La balle est désormais dans le camp du RNI pour mener les tractations pour la formation de la prochaine coalition gouvernementale. Le président des bleus est très clair en la matière :«Nous sommes prêts à travailler avec confiance et responsabilité avec tous les partis qui partagent avec nous leurs visions et leurs programmes», a-t-il relevé, hier, dans un point de presse. Affichant la mine des grands jours, le patron du RNI a précisé que le fil conducteur est de présenter l’alternative à laquelle aspirent les Marocains. Le programme électoral du parti sera la base des négociations avec les autres partis politiques pour bâtir une majorité forte et homogène, selon Akhannouch qui parle de la nécessité d’opérer une «rupture avec le passé».  Juste après la nomination par le souverain du Chef de gouvernement désigné, les tractations démarreront. Sur le papier, trois partis uniquement pourront constituer la future coalition gouvernementale. Le RNI pourrait opter pour le PAM et l’Istiqlal. Ces formations qui occupent les trois premières marches du podium disposent de 270 députés, soit une majorité confortable. Néanmoins, une question reste pour le moment en suspens : le parti du tracteur sera-t-il écarté des négociations par le parti de la colombe en raison des accusations formulées par Abdellatif Ouahbi à son égard, lors de la campagne électorale? Rien n’est moins sûr. Pour le moment, tout demeure possible. Les indépendants auront le choix de remplacer le PAM par l’USFP, pour composer une majorité confortable de 223 sièges. Le Mouvement populaire et l’Union constitutionnelle pourront aussi renforcer la nouvelle coalition gouvernementale.

Mohamed Boussaid
membre du Bureau politique du RNI

« À travers son programme, le parti de la colombe s’est engagé à ne pas augmenter les impôts. Certes, les ressources de l’État proviennent de cette ressource, mais la gestion efficiente des finances publiques suppose l’identification de nouveaux gisements et marges à l’intérieur du budget de l’État. C’est pourquoi il faut redéfinir les priorités dans le cadre des différents arbitrages qui seront adoptés par le prochain Chef de gouvernement. De ce fait, il serait possible de mettre en application le programme du parti et l’ensemble des engagements et promesses faites à nos électeurs. Dans l’immédiat, il faut opérer un choc rapide afin de marquer les esprits et donner des signaux forts et positifs pour concrétiser l’ensemble des espérances afin que le RNI soit à la hauteur de la confiance des citoyens ».

Chafik El Ouadghiri
porte-parole du RNI

« La première place à l’occasion du triple scrutin électoral n’est pas fortuite. Le RNI a insufflé, depuis cinq ans, une nouvelle dynamique à la scène politique nationale qui a été couronnée par les résultats obtenus hier. Il faut dire aussi que notre parti a assuré le taux de couverture de 81% de l’ensemble des circonscriptions électorales au niveau national. Malgré les tractations, notre parti a pu relever le défi en décrochant la première place à l’issue des élections législatives, régionales et communales. L’enjeu actuel est la mise en œuvre du programme politique et électoral du RNI. Pour rappel, notre formation politique a écouté 300.000 citoyens sous forme de différentes concertations. À la base de ce travail d’écoute, le RNI a pris cinq engagements concrets et réalisables sur terrain.

Législatives : Les quatre premiers partis décrochent 76,96 %  des sièges

Contrairement aux attentes, la Chambre des représentants ne sera pas balkanisée durant la onzième législature. Avant l’annonce des résultats, on s’attendait à ce que le nouveau quotient électoral, basé sur le nombre des inscrits aux listes électorales, permette à plusieurs formations d’accéder à la Chambre basse. D’ailleurs, c’était le principal argument des partisans de ce nouveau mode de calcul qui plaidaient pour la promotion du multipartisme. Les trois premiers partis ont obtenu 68,35 % des sièges de la Chambre des représentants. Ce taux atteint 76,96 %  si on ajoute le quatrième parti. Le RNI a récolté presque le quart des sièges de la Chambre des représentants (25,82  %) et le PAM a eu 22,02 % des sièges suivi de près par l’Istiqlal (20,50 %). Quant à  l’USFP, il  a obtenu 8,6 % des sièges de la première Chambre.
Les «petits partis» ne sont pas parvenus à percer en dépit de l’amendement du quotient électoral. La plupart d’entre-eux ont été éjectés de la course ou sont faiblement représentés.

Jihane Gattioui / Les Inspirations ÉCO



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