Monde

Main d’œuvre en Espagne : des opportunités pour les jeunes Marocains

La crise sanitaire qui a violemment affecté l’Espagne a constitué une opportunité pour les jeunes migrants marocains. Ceux-ci ont pu accéder, pour la première fois, au marché de l’emploi et ont obtenu des titres de séjour. Parcours de vie.

À 06h00 du matin, Bilal, 19 ans, est déjà sur le pied de guerre. Depuis à peine deux mois, ce natif de Nador s’affaire, sous un soleil de plomb dans une ferme agricole située dans la province de Huelva, en compagnie d’une trentaine de jeunes, compatriotes pour la plupart. Bilal est l’un des heureux bénéficiaires du décret promulgué par le gouvernement de coalition espagnol, alors que la pandémie faisait des ravages au sein de la société espagnole. Il s’agissait d’une loi permettant aux ex-mineurs, placés sous tutelle des administrations régionales, de bénéficier d’un titre de séjour et de travail, à condition de répondre à l’appel des champs.

En effet, le secteur agricole espagnol manquant cruellement de bras durant la période de confinement, implorait le gouvernement de lui octroyer cette main-d’œuvre. Ce qui a poussé l’Exécutif espagnol à décréter une mesure exceptionnelle: permettre aux jeunes migrants ayant fraîchement abandonné ces maisons d’accueil de couvrir les besoins de ce secteur en bras. Marginalisés, pointés du doigt, voire stigmatisés à tort souvent, les voilà appelés à la rescousse de l’activité agricole, l’un des piliers de l’économie espagnole. De fait, l’accès des jeunes migrants au marché de l’emploi est une vieille revendication des ONG espagnoles et organismes œuvrant pour les droits de ces jeunes.

Pour les ONG espagnoles, l’adoption de cette mesure n’est que justice rendue, étant donné que ces jeunes devaient bénéficier d’un titre de séjour doublé d’une autorisation de travail, une fois qu’ils atteignent l’âge de 18 ans et quittent les centres où ils étaient accueillis. Le sésame serait un tremplin vers leur intégration et un rempart contre leur marginalisation, n’ont-elles cessé de marteler. Il a fallu qu’une pandémie frappe de plein fouet pour que le gouvernement espagnol écoute leurs doléances, par dépit bien entendu. Les Espagnols ont tous boudé les champs durant la crise sanitaire préférant toucher leurs allocations-chômage.

Pourtant, le cabinet de Pedro Sanchez a même autorisé les chômeurs à garder leurs indemnités tout en percevant un salaire issu de leur travail dans les champs. Que nenni ! La mesure n’a eu aucun effet et les candidats ne se bousculaient pas au portillon des fermes agricoles. C’est de la sorte que l’Exécutif espagnol a fait appel à ce bataillon délaissé. Grâce à ce décret, opportuniste certes, vu qu’il vise à pallier à la rareté de la main-d’œuvre, les jeunes ont eu accès, pour la première fois au marché du travail. Une main-d’œuvre bon marché et prête à suer, pourvu qu’elle obtienne les documents lui ouvrant les portes du marché de l’emploi. «J’effectuais un stage dans une cafétéria dans la perspective de décrocher un contrat et pouvoir par la suite prétendre à un titre de travail. Le confinement a obligé le propriétaire du local à fermer ses portes. Ce décret est notre bouée de sauvetage», raconte Bilal au téléphone. Auparavant, il avait multiplié les stages et les formations : apprenti cuisinier, serveur, etc… Aujourd’hui, il envisage le futur avec optimisme et détermination. De fait, le jeune garçon revient de loin. Deux mois, avant de boucler ses 17 ans, il prend la décision de quitter le foyer familial à Nador et entreprendre cette aventure. Bilal s’est laissé séduire par les chants des sirènes en provenance de l’enclave de Mélilia. «Je broyais du noir après avoir abandonné les études. Je n’avais pas de plan de futur. Mon père est un menuisier de quartier. Il arrivait à peine à joindre les deux bouts et subvenir aux besoins d’une fratrie de huit personnes», confie-t-il.

À Mélilia, Bilal était accueilli dans le centre pour mineurs de l’enclave, dont la gestion est décriée par plusieurs organismes internationaux. «Nous dormions à même le sol, les conditions d’hygiène étaient déplorables. C’était une expérience à oublier», se remémore-t-il. Quelques mois plus tard, il a réussi à embarquer vers Malaga. «J’ai dormi dans la rue, pioché dans les bennes pour me nourrir», se souvient-il. C’est la rencontre d’un jeune compatriote qui chamboulera sa vie. «Il m’avait parlé d’une ONG se trouvant à Jerez de la Frontera et qui vient en aide, d’une manière altruiste aux jeunes. Je n’ai pas hésité une seule seconde et j’ai pu me procurer un billet de bus et m’y suis rendu». Bilal est chaleureusement accueilli par les responsables de l’ONG Voluntarios por un otro mundo» (Des Volontaires pour un autre monde). Son directeur, Michel Bustillo, a fait de la cause de ces enfants sa raison de vivre. L’ange gardien des mineurs migrants a bataillé férocement afin que ceux-ci puissent décrocher une opportunité pour accéder au marché de l’emploi. «Ce sont des jeunes travailleurs, sérieux et ne veulent qu’un avenir meilleur pour eux et pour leur famille», nous a-t-il assuré. Aujourd’hui, Bilal s’estime plus que chanceux. «Je suis bien accueilli, épaulé et soutenu. Je suis redevable à jamais à cette ONG et ses responsables. Je n’oublierai jamais le jour où j’ai débarqué. C’était la veille de l’Aid El Kébir. Michel s’est chargé des provisions pour que nous célébrions dûment cette fête et nous ne manquions de rien. Son geste m’a profondément touché. J’ai senti la chaleur familiale que j’avais perdue en abandonnant ma famille», partage-t-il. Malgré son jeune âge, Bilal porte sur ses frêles épaules le poids de toute la famille. Il fait des économies afin de venir en aide à sa famille et transférer de l’argent vers le Maroc. «Je rêve de me dédier aux métiers de la mer. À la fin de mon contrat, je compte chercher une formation dans ce sens», affirme-t-il, déterminé. avant d’ajouter : «je ne souhaite pas que mon petit frère vive cette expérience. C’est douloureux. Mon rêve est de revenir un jour au Maroc, auprès de ma famille, avoir mon propre business et le faire prospérer».

Amal Baba Ali
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