Monde

Le spectre de la crise économique hante les Marocains d’Espagne

L’Espagne s’apprête à prolonger son confinement, comme l’a laissé entendre le chef de gouvernement Pedro Sanchez, la semaine dernière, devant un Parlement presque vide. Les mesures de confinement ne seront levées que progressivement, et la reprise de l’activité économique se fera doucement. L’intensité du choc est encore méconnaissable, mais une chose est sûre: la pandémie aura un impact majeur sur la vie des travailleurs marocains établis en Espagne.

Durant la période de crise économique, le chômage a sévèrement frappé dans les rangs des Marocains. Malheureusement, comme lors de la dernière crise économique, les Marocains constituent le maillon faible de cette crise. En cause, leur bas niveau de formation. Les Marocains d’Espagne se dirigent vers les services, la construction ainsi que l’agriculture. Cette dernière tire son épingle du jeu en ce moment, mais il est prévu que la consommation des ménages accuse un fort repli à cause de la récession qui se profile à l’horizon.

L’Espagne rejoint le FMI et s’attend aux pires conséquences économiques depuis la Grande Dépression. Toutefois, la contraction des revenus sera plus prononcée auprès des travailleurs marocains. «Nous sommes en train de vivre un remake de la dernière crise économique. Nous n’avons hélas rien appris de cette étape», regrette Mohamed Laghrib, président de l’Association des travailleurs marocains en Espagne (ATIM).

Emplois temporaires
En effet, le chômage a touché 50,7% de la population marocaine active en Espagne et l’on estime que durant la période de 2009-2011, cette catégorie a basculé dans la clandestinité. Comme durant cette époque, les Marocains sont la première catégorie d’affiliés à la Sécurité sociale espagnole. En février, cette dernière recensait 270.623 adhérents d’origine marocaine. À cette catégorie s’ajoutent les naturalisés espagnols. Toutefois, ceux-ci occupent les secteurs dit marginaux, estiment Laghrib.

Pour ce spécialiste de la situation des travailleurs marocains, le facteur de la proximité géographique est à la fois un avantage et un inconvénient pour les Marocains établis sur le sol ibérique. «La grande majorité des travailleurs marocains sont issus des zones rurales. Donc, a priori, tout ce monde se rabat sur ce secteur pour survivre.

Le hic, c’est qu’il s’agit d’emplois temporaires. Une fois la campagne agricole arrivée à son terme, ils rentrent au royaume en attendant la prochaine saison», affirme Laghrib. Or, pour cet acteur associatif, au vu de leurs lacunes en matière de formation, ils devraient mettre à profit ce temps pour acquérir de nouvelles aptitudes afin d’accéder à des emplois moins précaires et mieux rémunérés. «Ce n’est pas l’offre en matière de formation qui manque, loin de là. C’est une question de mentalité», regrette-t-il. Le mode de vie du travailleur marocain le rend vulnérable et il peut basculer d’un jour à l’autre dans la précarité à cause de ses choix peu réfléchis. Ces choix constituent également un obstacle à sa pleine intégration dans sa société d’accueil, renchérit le président de cette organisation associative.

Selon des études réalisées durant la dernière crise économique, comme celle élaborée par le collectif Ioe sur l’impact de la crise économique sur l’immigration marocaine, la pauvreté a touché 40% de la population marocaine présente en Espagne en 2010 malgré les prestations sociales fournies par les services sociaux. «Ces aides sont un droit, certes, mais ce n’est qu’un filet de sécurité que le travailleur ne devrait exploiter qu’en dernier ressort», ajoute Laghrib.

Insuffisance des aides
Pour faire face aux conséquences de la mise en veille de l’activité économique, le gouvernement espagnol a adopté une batterie de mesures pour préserver les ménages, dont le «revenu minimum vital», une aide financière directe versée aux foyers les plus vulnérables. «C’est une aide de 426 euros auxquels s’ajoutent 150 euros pour chaque enfant à charge. Cependant, la somme est insuffisante pour vivre en Espagne.

Dans le cas des ouvriers marocains, la grande majorité loue dans le pays de résidence et acquiert un bien immobilier au Maroc. Une grande partie de cette somme sera donc allouée au paiement du logement», regrette Laghrib. Sur un autre registre, ces perspectives auront des retombées négatives sur le Maroc. L’on s’attend à une baisse des transferts des MRE en provenance d’Espagne. Ces envois commençaient à reprendre des couleurs en 2018 en atteignant 662 millions d’euros. Les transferts ne seront pas les seuls touchés. Les MRE «ravigotent» l’économie du pays tout au long de l’année, surtout ceux des pays proches comme l’Espagne ou l’Italie, estime notre source.

«Ils s’y rendent plusieurs fois par an, dépensent, effectuent des travaux dans leurs logements, etc. C’est une bouffée d’air frais pour l’économie du pays», souligne l’acteur associatif.

«Il faut prioriser les formations et sensibiliser la communauté marocaine à cet enjeu. Une formation est plus porteuse qu’une aide ponctuelle en cas de pétrin. Les MRE d’Espagne ont un lien affectif très solide avec leur pays et remplissent le rôle social que l’État devrait assumer. D’où l’intérêt du Maroc à contribuer activement à cette prise de conscience auprès du collectif marocain car, in fine, c’est notre pays qui en récoltera les fruits», exhorte notre interlocuteur.



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