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Interview: Mohamed Tajeddine Houssaini décrypte le monde après le Covid-19

La pandémie de coronavirus est en train de remodeler les relations internationales. Le nouvel équilibre qui se dessine sera en faveur de la Chine. La crise actuelle va accélérer ce processus enclenché il y a quelques années. Le Maroc est appelé à anticiper ce changement afin de jouer un rôle prépondérant au niveau régional. Le point avec Mohamed Tajeddine Houssaini, professeur de droit international et avocat près la Cour de cassation.

Quel regard portez-vous sur les relations internationales en ce contexte inédit de pandémie de coronavirus ?
La pandémie aura certainement des effets très graves sur les relations internationales, de manière générale, pour la simple raison que ces relations sont basées sur le principe de la mondialisation. Celle-ci a transformé le monde entier en un village planétaire qui est devenu sensible à tout mouvement dans chacun de ses endroits et qui vit au rythme d’une relation d’interaction entre toutes les économies et toutes les sociétés de la communauté internationale. Force est de constater que cette relation est devenue aujourd’hui beaucoup plus forte que lors du vingtième siècle. Les effets d’une maladie comme le coronavirus ne peuvent pas rester limités aux frontières d’un seul pays ou de quelques pays. La mondialisation de la maladie est devenue un autre phénomène lié à la mondialisation. Ainsi, les impacts les plus importants ne vont pas être limités au niveau médical et sanitaire; ils vont aussi toucher les plans économique, technologique, social et même politique.

Concrètement, quels sont les principaux impacts sur les relations internationales ?
Sur le plan politique, le monde va vivre une nouvelle étape dans l’équilibre des forces mondiales. Jusqu’à quelques années en arrière, on a vécu sous le système unipolaire; les États-Unis avaient la position de leadership aux niveaux économique, technologique et même militaire. Une année après l’autre, cette situation a commencé à changer et plusieurs analystes ont constaté que le monde est adopté un autre système, multipolaire cette fois. Avec la pandémie de coronavirus, les données vont changer. Certains pays sont en effet sortis victorieux de cette situation: la Chine et la Corée du Sud.

Va-t-on assister à un nouveau positionnement de la Chine sur l’échiquier mondial ?
C’est sûr, et ce pour plusieurs raisons. Sur le plan économique, les États-Unis sont endettés envers la Chine. À cela s’ajoute une donnée importante: le transfert des technologies est dominé, depuis ces dernières années, par la Chine. On constate aujourd’hui un autre phénomène: la Chine a été capable de maîtriser le fléau et de continuer avec une politique bien étudiée et bien préparée. Elle a pu éradiquer le mal dans son épicentre et commence à aider d’autres pays. Je me demande si les États-Unis eux-mêmes vont lui demander un soutien en matériel de respiration, masques…

Que signifie cette situation, sur le plan des relations internationales ?
Sur le plan politique, on va arriver à une nouvelle étape de confrontation entre les États-Unis et la Chine. Une question reste posée: cette confrontation, se fera-t-elle, comme le disent certains, par une troisième guerre mondiale ou juste par la domination qui a commencé à avoir d’autres phases en dehors de la guerre dans le domaine sportif, médiatique, sanitaire… Ce sont des domaines d’influence qui commencent à apparaître et qui dépasseront à l’avenir le cadre militaire de la domination. Je pense que la Chine est appelée, à l’avenir, à jouer un rôle très important sur les plans politique, économique, technologique et même sur le plan social. En effet, les autres sociétés commencent à constater que la Chine est le grand frère qui apporte de l’aide dans les moments difficiles. C’est un élément clé dans la transformation de la communauté internationale, aujourd’hui basée sur une interaction très forte des médias et l’échange rapide des informations. À titre d’exemple, le citoyen marocain lambda, qui va voir sur son téléphone que des jeunes Chinois distribuent des masques à la population, que le ministre des Affaires étrangères marocain a demandé de l’aide à la Chine et qu’un avion marocain est allé récupérer les équipements nécessaires constatera que ce pays va prendre une nouvelle position au niveau de la communauté internationale.

Le changement de structure des forces est-il donc inéluctable, après la crise du Covid-19 ?
Oui, cette structure sera en faveur de la Chine. J’ai présenté, il y a douze ans, un rapport à l’Académie du royaume sur le statut de l’équilibre des forces. J’avais bien souligné que la Chine risquait de prendre une position de supériorité par rapport aux États-Unis dans un nouveau système multipolaire. D’ailleurs, j’ai été critiqué par nombre d’analystes et des membres de l’Académie du royaume qui estimaient qu’il était très tôt pour se prononcer sur la question et que les États-Unis allaient continuer à maintenir leur position. Mais maintenant, on constate qu’on va arriver effectivement à ce résultat.

Certains experts s’attendent à l’éclatement de l’Union européenne…
C’est aussi mon point de vue. Cet éclatement ne date pas d’aujourd’hui, mais il a déjà commencé avec la politique engagée par la Grande-Bretagne (Brexit) qui a déboussolé la politique de l’Union européenne. Des voix s’élèvent dans ce sens en Italie par exemple et dans d’autres pays d’Europe de l’Est qui n’ont pas eu l’occasion de s’intégrer complètement au sein de l’UE. L’Allemagne et la France sont les deux pays qui continuent à protéger l’Union européenne. Mais avec ce qui se passe actuellement avec la pandémie de coronavirus, je pense que les choses vont changer. En Italie, le drapeau italien est levé à côté du drapeau chinois au lieu de celui de l’UE. L’arrivée de l’extrême droite dans plusieurs pays européens et les relations de déstabilisation poussées par les nouvelles superpuissances vont influencer le vieux continent pour arriver, peut-être, à l’éclatement ou à l’affaiblissement du rôle stratégique de l’Union européenne dans les affaires importantes de la communauté internationale. Par exemple, les Européens lançaient, à un certain moment, beaucoup d’initiatives pour régler la question du Moyen-Orient. Aujourd’hui, malgré leurs efforts concernant les questions syrienne, libyenne et palestinienne, on ne constate qu’un échec global.

Qu’est-ce qui se passera pour le Maroc ?
Le Maroc ne joue pas un rôle déterminant dans ces relations au niveau global. Sur le plan sécuritaire, le Maroc occupe une position stratégique vis-à-vis notamment du Moyen-Orient, et de l’Afrique subsaharienne. Après le retour au sein de l’Union africaine, son rôle en Afrique va être plus important puisqu’il est le deuxième investisseur africain en Afrique après l’Afrique du Sud et le premier investisseur en Afrique de l’Ouest. Certaines initiatives visaient à élargir cette capacité du Maroc par l’intégration à la CEDEAO, mais cette tentative n’a pas réussi jusque-là. Si jamais le Maroc devient membre de la CEDEAO, il va complètement changer la donne dans la région. Il va pousser les autres pays d’Afrique du Nord, notamment la Tunisie et l’Algérie, à s’intégrer dans cette même communauté. Cela va apporter beaucoup de changements dans la région. Le Maroc n’est, en effet, pas un acteur en soi, mais il est considéré comme une plateforme de relations stratégiques entre l’Afrique subsaharienne, les pays européens et américains et même la Chine.

Le Maroc doit-il anticiper ce changement d’équilibre des forces w?
L’équilibre des forces n’est pas uniquement d’ordre mondial mais aussi régional. Un certain nombre de pays en dehors de la communauté arabe et africaine ont commencé à jouer ce rôle. C’est le cas de la Turquie, de l’Iran, d’Israël, de l’Inde… Les pays émergents ont commencé à jouer ce rôle. Le Maroc a la capacité de le faire aussi. Mais il doit jouer ce rôle à partir d’aujourd’hui pour donner des résultats dans un avenir proche.


Un équilibre basé sur la terreur

On constate depuis longtemps que la Chine est en train de progresser sur la scène internationale. Même sur le plan économique, la Nation la plus endettée envers la Chine est les États-Unis, qui continue à avoir cette supériorité stratégique car ayant un système d’armement nucléaire qui ne peut équivaloir que celui de la Russie, l’ancienne Union soviétique. Il faut dire que l’équilibre des forces nucléaires n’est pas basé sur le nombre ou la quantité mais plutôt sur l’équilibre de la terreur. «La sensation de cet équilibre de terreur a poussé les deux puissances à faire marche arrière et à geler leur armement nucléaire pour faire vivre la communauté internationale sous cet esprit de terreur», affirme le professeur Mohamed Tajeddine Houssaini.


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