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France : le gouvernement français face au casse-tête de la restitution des biens coloniaux

Attention, terrain miné. Promise par Emmanuel Macron, la restitution par la France de biens culturels africains spoliés vient de connaître un accroc au Parlement et menace de virer au casse-tête autour de la question ultra-sensible de la colonisation.

Pour mettre en musique l’engagement présidentiel de 2017, la ministre de la Culture, Rachida Dati, espérait soumettre au Sénat début avril un texte charnière : un projet de loi-cadre permettant de déroger au principe d’inaliénabilité des collections publiques par décret, afin de pouvoir rendre des pièces entrées illicitement en possession des musées français sans avoir à chaque fois à demander l’autorisation au législateur. Une loi spécifique de ce type a par exemple été adoptée quand le gouvernement a répondu favorablement à une demande de restitution de 26 oeuvres au Bénin en 2020. Au moins 90.000 objets d’art d’Afrique sub-saharienne se trouvent actuellement dans les collections publiques en France.

Obstacles au Sénat
Au Sénat, dominé par la droite, un consensus semble se dégager pour éviter ces «lois de circonstance» mais le calendrier dicté par la ministre a fait des mécontents. Des sénateurs, déplorant de ne pas avoir eu accès au projet de loi, ont obtenu que le gouvernement retire le texte de l’ordre du jour.

«On n’y arrivera pas à marche forcée», résume Max Brisson (Les Républicains, droite). Aucune nouvelle date d’examen n’a été fixée. Même sans majorité absolue au Parlement, l’Exécutif peut se targuer d’avoir déjà fait voter en 2023 deux lois-cadres sur la restitution des restes humains et des biens des Juifs spoliés pendant l’Occupation nazie. Mais pour le sénateur communiste Pierre Ouzoulias, le texte sur les biens coloniaux présente «de toute évidence» une difficulté particulière.

«Il renvoie à l’impensé de l’État français sur les crimes de la colonisation», déclare-t-il.

La sénatrice centriste Catherine Morin-Desailly, membre de la commission culture, est sur une autre ligne. «Il n’y aucune raison de rentrer dans une logique d’auto-flagellation. On est dans la reconstruction d’un dialogue et dans la reconnaissance de la légitimité de certaines demandes s’agissant de biens mal acquis», juge-t-elle. Rachida Dati, elle, le martèle: son projet de loi ne sera «pas un texte de repentance», a-t-elle déclaré mi-mars.

Une affaire de contexte
Révélé par Le Monde, l’avis du Conseil d’État sur ce texte pourrait toutefois compliquer la donne. Tout en rendant un avis favorable, la plus haute juridiction administrative française a estimé que la restitution de biens issus de legs et de donations devait obéir à un «intérêt général supérieur» semblable à celui identifié s’agissant des biens spoliés par les nazis. Selon Le Monde, l’objectif du texte de renforcer la coopération culturelle avec les anciennes colonies ne serait donc pas suffisant aux yeux du Conseil d’État pour justifier une entorse à l’inaliénabilité des collections publiques.

«Ce que semble dire cet avis, c’est que le gouvernement doit établir le caractère illicite des spoliations pendant la colonisation. La restitution dans ce cas serait alors une forme de réparation», avance le sénateur Ouzoulias.

Ce n’est toutefois pas l’intention du gouvernement ou de la majorité sénatoriale, qui défend une approche au cas par cas. «Il faut un vrai travail d’objectivation sur la provenance des biens africains, serein et pacifié», dit Mme Morin-Desailly. Max Brisson plaide lui aussi pour la création d’une instance indépendante à même d’éclairer sur «la manière dont (l’oeuvre) est entrée dans les collections publiques».

Du côté du ministère, on promet une «procédure très encadrée» d’examen des demandes de restitution et on assure que le périmètre des collections concernées est «encore en cours de réflexion». Un autre facteur complique encore l’équation. Du Mali au Niger en passant par le Burkina Faso, plusieurs anciennes colonies sont désormais dirigées par des régimes hostiles à la France et l’idée de faciliter des restitutions vers ces pays pourrait se révéler problématique.

«Le contexte actuel en Afrique pousse à adopter une position moins volontariste parce que certains éventuels pays demandeurs (de restitutions, NDLR) sont dans une démarche de rupture avec la France», souligne Erick Cakpo, chercheur à l’université de Lorraine. «On a l’impression de jouer le match retour de la colonisation».

Sami Nemli Avec Agence / Les Inspirations ÉCO



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