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Céréales : la Russie dessine les nouvelles routes du blé

Le premier exportateur mondial de blé conforte sa position dominante en mer Noire. Alors que la Russie était importatrice nette de blé il y a 25 ans, après l’effondrement du bloc soviétique, elle s’est hissée depuis 2016 au premier rang des exportateurs.

Récoltes exceptionnelles, prix agressifs : la Russie, premier exportateur mondial de blé, conforte sa position dominante en mer Noire et tend à redessiner les routes de la céréale. «La Russie seule assure un quart des exportations mondiales de blé, et détient un stock conséquent», relève Sébastien Abis, auteur de «Géopolitique du blé» et chercheur associé à l’Institut français de relations internationales et stratégiques (IRIS). La guerre en Ukraine a ouvert de nouvelles voies, comme les routes fluviales du Danube. Celles-ci permettent à Kiev de continuer à exporter des grains en dépit de la fin mi-juillet de l’accord céréalier de la mer Noire, que la Turquie cherche toujours à relancer : elle prépare «un nouvel ensemble de propositions en consultation avec l’ONU», a encore dit lundi son président Recep Tayyip Erdogan après une rencontre avec Vladimir Poutine. Mais la guerre a surtout assis la domination russe sur le commerce mondial de blé. Les voies fluviales restent «fragiles», régulièrement bombardées. Le corridor maritime «a permis de sortir près de 33 millions de tonnes de produits agricoles du pays» en un an, mais «n’a pas aidé l’Ukraine à rebondir en termes de production agricole, en raison de la guerre elle-même» qui a amputé d’un quart ses terres arables, rappelle l’économiste Joseph Glauber, chercheur à l’International Food Policy Research Institute (IFPRI) à Washington. En 2023-24, les prévisions de consommation sont supérieures de 20 millions de tonnes à celles de la production mondiale de blé, qui s’annonce moins abondante que l’année précédente, notamment du fait d’aléas climatiques au Canada et en Australie.

Dans ce contexte, «le monde espère que 45 millions de tonnes de blé russe vont arriver sur le marché», souligne David Laborde, directeur de la division Economie de l’agroalimentaire de l’Organisation onusienne pour l’agriculture et l’alimentation (FAO). Cette domination russe a une histoire : «Il y a 55 ans, la moitié du blé exporté dans le monde venait des États-Unis. Au cours des cinquante dernières années, on a vu une diversification du marché mondial», rappelle-t-il. L’hégémonie américaine a été progressivement remise en question «par les exportations d’Europe de l’Ouest – qui se relevait de la Deuxième Guerre mondiale – puis par des pays comme l’Argentine et l’Australie et, à partir des années 2000, par l’émergence du pôle de la mer Noire», poursuit-il.

Alors que la Russie était importatrice nette de blé il y a 25 ans, après l’effondrement du bloc soviétique, elle s’est hissée en 2016 au premier rang des exportateurs. Le secteur agricole est devenu le 3e poste commercial du pays, derrière l’énergie et les métaux/minerais, mais devant l’armement : «La Russie a réarmé son agriculture», résume Sébastien Abis.

La guerre exacerbe la situation
Avec la guerre, «tout s’est accéléré», souligne le chercheur. «La Russie céréalière a russifié sa diplomatie du blé: on n’est plus dans les règles du marché.» Quand l’accord céréalier de la mer Noire prend fin, Vladimir Poutine promet ainsi des livraisons gratuites à six pays africains (confirmées lundi mais représentant moins de 1% des exportations russes) et des tarifs préférentiels pour l’Égypte, pays ami. Il maintient des prix bas pour garder un avantage concurrentiel. Moscou «dessine de nouvelles cartes, à la fois stratégiquement parce qu’il ne joue pas avec les mêmes outils [que les autres acteurs du marché], mais aussi en s’appuyant sur le fait que la Russie est la seule à produire plus et à exporter plus. Le seul pays qui faisait le match avec la Russie, c’était l’Ukraine», souligne Sébastien Abis.

Cette hégémonie pèse lourd pour des pays comme l’Egypte et la Turquie, de loin les deux premiers importateurs de blé russe: la première importe 80% de son blé de mer Noire, la seconde le transforme en farine réexportée ensuite vers le Moyen-Orient, l’Afrique ou l’Asie, relève David Laborde.

Les pays plus dépendants, souligne-t-il, sont ceux qui consomment le plus de pain, en Afrique du Nord mais aussi au Sri Lanka, au Bangladesh ou au Pakistan.

Sami Nemli avec agences / Les Inspirations ÉCO


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