Le combat d’un père pour sa famille
«Mon fils ma bataille» aurait pu être un autre titre pour le second long métrage de Guillaume Senez «Nos Batailles» présenté à la Semaine de la critique, au festival de Cannes, mais le réalisateur franco-belge est trop subtil pour cela. Il braque sa caméra sur un Romain Duris saisissant et plonge dans le monde du travail avec une précision déconcertante tout en peignant la vie d’un père abandonné par sa femme du jour au lendemain. Poignant et juste.
Le prolétariat. Les travailleurs. Selon Marx, il s’agit de la classe opposée aux capitalistes. Guillaume Senez a su poser un regard bienveillant sur cette classe moyenne qui travaille sans répit pour boucler les fins de mois, a su mettre en lumière la dureté du quotidien d’un ouvrier sans pour autant tomber dans le misérabilisme. Olivier est père de deux enfants, il gère son équipe, travaille beaucoup, rentre tard pour retrouver sa femme et ses deux enfants souvent déjà au lit. Tout semble normal au premier abord : le père se tue à la tâche pour joindre les deux bouts et payer les factures, il est même bon dans ce qu’il fait, ses équipes le respectent. Il travaille minutieusement jusqu’au jour où tout bascule. Olivier rentre à la maison, sa femme n’est plus là. Elle l’a quitté. Elle était au bord de la dépression et il n’a rien vu venir. Résultat : il doit s’occuper de ses deux enfants tout en continuant à être l’ouvrier modèle qu’il est. La caméra toujours bien posée, les plans serrés sur ses acteurs pour nous donner le frisson, Guillaume Senez filme un drame social comme on filmerait un documentaire tout en faisant du cinéma, du bon cinéma. Il est fin, ses personnages ne sont pas clichés. Au contraire, ils ont de la profondeur, ils sont multidimensionnels. On rit, on pleure, on vit dans ce film. Il capte des bouts de vie de tous les jours, le jeu n’est presque pas nécessaire. Sûrement parce que les acteurs sont bluffants de sincérité et que les personnages sont écrits tout en délicatesse. Tous les personnages comptent, il n’y a pas de petits rôles pour le grand écran. Aux côtés de Duris, quatre femmes dont les batailles sont aussi différentes que nécessaires : Lucie Debay est touchante en femme dépressive qui n’a pas d’autre solution que de partir, Laure Calamy, lumineuse en collègue syndicaliste amoureuse qui lutte tous les jours, Dominique Valadié en mère profonde et Laetitia Dosch parfaite en sœur présente et solaire malgré tout.
Une superbe interprétation
Il enchaîne les rôles tel un boulimique, il est à la fois juste et constant et il porte souvent les films dans lesquels il joue sur ses épaules, même les navets. Lors de la semaine de la critique de Cannes, on le découvre autrement. Celui qu’on pensait connaître réussit à surprendre, à émouvoir encore. Romain Duris est bluffant dans «Nos batailles», ce drame social signé Guillaume Senez. Jamais l’expression «chef de famille» n’aura eu plus de sens. Le réalisateur filme un Romain Duris subtil en dévoilant le quotidien d’un père et d’un ouvrier. Il rappelle ô combien ce n’est pas facile de tenir une maison, de réveiller les petits, les préparer, tout organiser. Un travail à part entière que les hommes ont tendance à oublier et que des millions de femmes se coltinent tous les jours en plus de leur travail. Un clin d’œil tout en finesse de la part du réalisateur servi par un acteur qui se met dans la peau du personnage comme si Olivier et lui ne faisaient qu’un. Le film est aéré, rythmé malgré des lenteurs qu’on apprivoise parce qu’elles sont nécessaires. Une fresque sociale à la fois dure et aérienne, telle une chanson de Balavoine pour rester dans le même registre car pour Duris et Senez, ce qui peut nous sauver, c’est l’amour !