Un système spécial de bail difficile à élaborer
La nouvelle loi 49-16 sur le bail commercial ayant exclu de son champ les locaux loués au sein de centres commerciaux, c’est le Dahir des obligations et des contrats qui s’applique. Combler ce vide juridique est un véritable casse-tête puisque les tribunaux traitent ce type de contentieux de manière incohérente.
Adapter le système judiciaire et législatif à la réalité de l’économie». Voilà l’objectif que se donne Mohamed Aujjar lors de la prochaine législature. Le ministre de la Justice a, en effet, affirmé lors d’une rencontre organisée avec les chefs d’entreprises qu’une série de texte étaient en voie d’adoption, afin «d’améliorer le climat des affaires». Parmi ces textes, celui concernant la gestion des «centres commerciaux et grandes surfaces». La nouvelle loi 49-16 sur le bail commercial ayant exclu de son champ les locaux loués au sein de centres commerciaux, un nouveau système de bail est prévu spécialement pour ces zones. Actuellement, c’est le Dahir des obligations et des contrats, donc le droit civil commun, qui est en vigueur. Mais bien que cela permette une grande liberté contractuelle, les délais de procédures et le traitement des litiges demeurent objet de vide juridique. Et combler ce vide n’est pas de tout repos, selon la direction des affaires civiles du ministère. En effet, le traitement judiciaire du contentieux entre les grandes surfaces et centres commerciaux et leurs locataires est disparate, et le concept de «clientèle propre» n’est pas encore réellement défini. Le contact direct avec le public est en effet un élément central de ce rapport. «Ce critère implique que le preneur d’un bail commercial soit en mesure de développer sa propre clientèle, en lien avec le local qu’il loue. C’est d’ailleurs ce qui justifie la protection apportée par la loi au bailleur. Quelle que soit la qualification donnée par les parties à leur convention, le juge peut revenir sur celle-ci et appliquer les règles spécifiques aux baux commerciaux lorsque les critères propres à ce type de bail sont rencontrés», indique Ahmed Taouh, avocat à la Cour. Dans leurs analyses, elles évaluent dans quelle mesure le commerce du preneur est en contact direct avec le public et dans quelle mesure le preneur développe sa propre clientèle. Et si les tribunaux et Cours d’appel tranchent différemment, un semblant de cohérence apparait chez la juridiction suprême, à savoir la Cour de cassation, qui a donné un de règle en 2014. L’affaire concernait un magasin de vente de souliers situé au sein d’un supermarché. Et si les magistrats ont considéré que «le fait qu’un tel commerce soit en contact avec le public ne fait aucun doute», la Cour a néanmoins rappelé au juge qu’il se doit d’évaluer dans quelle mesure le commerçant développe sa clientèle propre et «ne peut se limiter à des suppositions mais sur des éléments factuels comme le caractère fixe et permanent de l’espace loué, l’accès à l’espace commercial ou encore le caractère autonome de l’activité». En l’espèce, la Cour a reproché au juge du fond de n’avoir pas examiné si, «eu égard aux circonstances particulières et aux modalités d’exploitation, le magasin avait la possibilité de se constituer une clientèle propre clairement distincte de celle de la grande surface». Il s’agit donc là d’une analyse très concrète, laissée à l’appréciation souveraine du juge du fond, qui peut mener à l’application des règles (très contraignantes) propres aux baux commerciaux. Pour les franchises, il ne sera donc désormais plus question de «clientèle partagée» entre le franchiseur et le franchisé.
La Cour de cassation ayant consacré le principe d’une clientèle propre au franchisé, car c’est lui qui «assume le risque d’une telle entreprise» Autant dire que l’élaboration de ce nouveau texte est un véritable casse-tête, où il va devoir se pencher sur «les plus petits des détails». Un certain consensus a néanmoins été trouvé au niveau de la conception du champ d’application. Le nouveau statut sera ainsi applicable, nonobstant la qualification des parties données au contrat, à tout local stable et permanent, disposant d’une clientèle personnelle et régulière et jouissant d’une autonomie de gestion. Le critère de stabilité du local sera également pris en compte pour l’application de la future loi, et impose que le locataire puisse jouir du même local pendant toute la durée de son contrat, ce qui exclut que le bailleur puisse unilatéralement modifier l’assiette du bail tant dans sa superficie que son emplacement ou encore sa délimitation, sous réserve toutefois de la fraude, si la clause de «mobilité» du contrat n’est destinée qu’à éluder l’application du statut.