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Transport logistique : le goulot d’étranglement

Élément indispensable de la chaîne de valeur logistique, le secteur du transport au Maroc compte environ 85.000 entreprises, dont 35.000 inactives, et 60% des entreprises de transport ayant moins de cinq camions. Le parc de camions est vieillissant, avec des véhicules effectuant en moyenne 7.000 à 8.000 km par mois, contre 15.000 à 18.000 km en Europe. Les ports, comme Tanger Med, connaissent des délais de passage de 24 à 48 heures, affectant la compétitivité. La fragmentation du marché entrave le développement du secteur. Cependant, des solutions existent.

La conférence-débat sur la logistique organisée par le groupe Horizon Press était l’occasion de jeter toute la lumière sur le secteur de la logistique de transport au Maroc. Une branche d’activité qui rencontre plusieurs défis structurels et opérationnels entravant son développement et nuisant à la compétitivité du pays.

Parmi les problèmes majeurs figurent la fragmentation du marché, l’inefficacité des infrastructures, la vétusté du parc de transport, ainsi que des difficultés administratives et réglementaires. Les intervenants sont là encore anonymes : ces problématiques interconnectées requièrent une révision profonde de la manière dont le secteur fonctionne et est organisé.

Un secteur atomisé
L’un des défis les plus importants du secteur est la fragmentation excessive du marché. Le Maroc compte près de 85.000 entreprises de transport. Pourtant, 35.000 de ces entreprises ne sont pas en activité, rappelle le juriste et spécialiste de la logistique, Najib Benhaddou.

«Cette situation illustre l’atomisation d’un secteur où une grande partie des entreprises est sous-capitalisée et dépourvue des ressources nécessaires pour se moderniser», ajoute-t-il.

De plus, une proportion importante des entreprises de transport dispose d’un parc de véhicules de faible taille. Près de 60% des entreprises de transport possèdent moins de cinq véhicules selon les estimations les plus heureuses. Un tel éclatement empêche la création d’acteurs suffisamment solides pour opérer à une échelle significative et répondre efficacement à la demande du marché. Les petites entreprises sont souvent incapables d’investir dans la modernisation de leur flotte ou d’optimiser leur gestion. Par conséquent, cela entraîne une baisse de la qualité du service et des prix peu compétitifs.

«Il faut encourager des rapprochements d’entreprises et créer des acteurs beaucoup plus solides financièrement avec une taille critique minimum. En attendant, un camion qui opère à 20 ou 30% de sa capacité ne pourra jamais être rentable. D’où le besoin d’avoir aujourd’hui des plateformes qui permettent de faire de la mutualisation et la massification des flux de manière à ce que le camion parte à 80 ou 90 % de sa capacité», recommande Hakim Belmâachi, président du directoire de Disway.

La délicate équation de la gestion du parc
Un autre aspect clé du problème réside dans l’inefficacité de la gestion même des véhicules. Alors qu’un camion européen peut parcourir entre 15.000 et 18.000 kilomètres par mois, un camion marocain réalise difficilement 7.000 à 8.000 kilomètres sur la même période.

«Et quand c’est le cas, on parle de prouesse à notre échelle», remarque le président de la Commission logistique et foncier à la CGEM.

Cette faible utilisation des camions empêche d’amortir efficacement les coûts liés à l’achat et à l’entretien des véhicules. Le renouvellement du parc, bien qu’encouragé par des subventions, a échoué à transformer véritablement le secteur. Les entreprises qui ont bénéficié de ces aides n’ont pas vu de changements significatifs dans la manière dont elles gèrent leurs opérations, et les mentalités ne se sont pas adaptées à un contexte de plus en plus compétitif. L’absence d’une vraie stratégie de gestion et d’optimisation de la flotte dans un environnement de plus en plus exigeant laisse les entreprises dans une situation précaire, incapables de rivaliser avec des acteurs plus structurés.

Infrastructures : de l’urgence d’une montée en charges
Les infrastructures logistiques du Maroc, en particulier les ports, représentent un autre facteur limitant pour le secteur. Le port de Tanger Med, bien que l’un des plus importants du pays, souffre de retards chroniques qui affectent la chaîne logistique.

En moyenne, un camion peut passer entre 24 et 48 heures au sein du port avant de pouvoir en sortir, ce qui n’est pas seulement inefficace mais coûteux. Ces délais sont bien supérieurs à ceux observés dans d’autres ports internationaux, ce qui désavantage le Maroc dans la compétition mondiale. Les raisons de ces délais sont multiples : une gestion sous-optimale des flux de marchandises, des inefficacités dans les processus douaniers, et une infrastructure mal adaptée aux besoins du marché.

Les contrôles douaniers, bien qu’essentiels pour la sécurité et la régulation des échanges, sont souvent sources de retards, notamment lorsqu’un camion transportant des produits périssables doit être déchargé pour un contrôle physique. Ce type de procédure entraîne des pertes de qualité sur la marchandise et des retards dans la livraison, ce qui affecte directement la réputation du secteur du transport marocain.

«Le port est par essence un point de transit et non de stockage ou de stationnement. Quand il est bloqué, on peut imaginer tous les dangers, comme le vol, l’incendie, l’intrusion de clandestins par exemple. C’est intenable», commente Benhaddou.

Le défi de l’informel
Un autre problème majeur du secteur du transport au Maroc est la présence d’un marché parallèle informel. Ce marché informel, où les prix sont souvent bien inférieurs à ceux du secteur, crée une distorsion de concurrence.

«Ce phénomène est particulièrement problématique pour les entreprises qui œuvrent dans le formel et qui respectent les réglementations en matière de sécurité, de qualité et de formation. Ce marché informel exerce une pression sur les prix, qui sont parfois trop bas pour permettre aux entreprises de transport d’assurer un service de qualité tout en générant des bénéfices suffisants pour pérenniser leurs activités. Les entreprises formelles sont alors confrontées à une concurrence déloyale, ce qui ralentit le développement du secteur dans son ensemble. Pour résoudre les problèmes structurels du secteur, une approche intégrée de la logistique, qui combine transport, stockage, fret et gestion des douanes sous une même entité, serait bénéfique.

De plus en plus d’entreprises optent pour des services « end-to-end » (de bout en bout), où un même opérateur prend en charge toute la chaîne logistique, de l’entreposage à la livraison. C’est le cas de Building & Logistic Services.

«On essaie toujours de se mettre à la place de nos clients qui sont des industriels. Ce que nous proposons, c’est une logique de One stop shop. Pour nous, la logistique et le transport, c’est le même métier, parce qu’à un moment donné, il faut stocker, il faut charger, décharger, livrer… On a fini aussi par intégrer le fret et le transit pour que le client puisse éviter de gérer tous ces tracas. Prendre séparément un transporteur, un logisticien pour stocker, un transitaire pour dédouaner, un transporteur international pour acheminer la marchandise, cela fait beaucoup d’intervenants et entraîne une pénalisante déperdition de valeur sur la chaîne logistique. C’est important d’y pallier et c’est aussi une partie de notre stratégie de driver l’externalisation», explique Anass Moutaoukil, directeur général de BLS.

Cette approche permet non seulement de réduire le nombre d’intervenants dans la chaîne, mais aussi d’améliorer l’efficacité et de minimiser les pertes. Une telle organisation contribuerait à réduire la fragmentation des acteurs et à favoriser une gestion plus fluide et plus cohérente du secteur. Le réforme du secteur du transport lié à la logistique passe également par là.

Le digital comme levier

Pour répondre à ces défis, l’adoption de nouvelles technologies et la digitalisation du secteur sont des pistes incontournables. En effet, la digitalisation permettrait d’optimiser la gestion des flux logistiques et des camions, notamment en facilitant la mutualisation des trajets et en maximisant les capacités de transport.

Des plateformes logistiques en ligne, permettant de coordonner l’offre et la demande de transport, seraient un outil précieux pour réduire la fragmentation du secteur. Ces plateformes pourraient aussi favoriser la rationalisation des itinéraires, réduisant ainsi les coûts et l’impact environnemental.

Par ailleurs, une gestion plus efficace des entrepôts et des dépôts, avec des processus de déchargement et de chargement plus rapides, pourrait considérablement diminuer les temps d’attente et améliorer la rentabilité des camions. Des infrastructures logistiques modernes, mieux organisées et dotées de technologies avancées, permettraient d’augmenter la productivité et de réduire les délais de livraison.

La taxe carbone, on en parle ?

La professionnalisation du transport et de la logistique passe par la mise en place de standards modernes. Un des défis majeurs, mis en avant dans les échanges, concerne la taxe carbone, qui entrera en vigueur en 2026. Celle-ci aura un impact direct sur les logisticiens, notamment en ce qui concerne la transition énergétique nécessaire pour ne pas être pénalisés sur les marchés internationaux.

Les acteurs du secteur devront répondre à des exigences strictes : utilisation d’énergies renouvelables dans les plateformes logistiques, passage à des véhicules non polluants (notamment électriques) pour le transport, et respect des nouvelles normes écologiques imposées par l’Europe. Ces évolutions sont inévitables, et pour rester compétitifs sur la scène mondiale, il est essentiel d’anticiper ces changements et de se conformer aux nouveaux standards, conclut-on à l’issue de la table ronde.

D’autres aspects réglementaires, comme ceux relatifs au transport de matières dangereuses ou au transport frigorifique, devront aussi être rapidement adaptés, en accompagnant les entreprises par une sensibilisation et des contrôles stricts. Le respect de ces normes ne sera pas seulement une question de conformité, mais également de survie dans un environnement économique globalisé.

Ilyas Bellarbi / Les Inspirations ÉCO



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