Transmission monétaire : le crédit en retrait malgré l’abondance de liquidités

L’abondance de liquidités dans l’économie ne se traduit pas automatiquement par un surcroît de financement pour les entreprises et les ménages. Ce décalage soulève des questions sur l’efficacité des mécanismes de transmission monétaire.
L’économie enregistre une progression marquée de la masse monétaire sans que cela ne se traduise par un emballement du crédit. En mai 2025, l’agrégat M3 s’est accru de 7,8% en glissement annuel, soit une nette accélération par rapport au mois précédent.
Pourtant, le crédit bancaire au secteur non financier ralentit, ne progressant que de 3,4% contre 4,2% un mois plus tôt. L’abondance de liquidités ne se traduit pas automatiquement par un surcroît de financement pour les entreprises et les ménages. Un décalage qui soulève des questions sur l’efficacité des mécanismes de transmission monétaire.
Cette évolution, détaillée dans le rapport mensuel de Bank Al-Maghrib, s’explique par plusieurs facteurs. Le ralentissement du crédit bancaire résulte principalement du net repli des financements accordés au secteur public, passés de +7,3% en avril à -0,4% en mai.
Ce repli provient en grande partie de la décélération des prêts accordés aux entreprises publiques, dont la progression chute à 0,6% après un pic de 10,5%! Le secteur privé, lui, maintient une croissance modérée. Les crédits aux sociétés non financières progressent de 2,8%, après 2,3% enregistré courant avril. Les prêts aux ménages marquent une légère inflexion à 2,4%, contre 2,6% précédemment. La dynamique reste donc contenue, sans signal de redémarrage vigoureux.
Le crédit immo stagne
Dans le détail des types de crédits, les tendances apparaissent plus nuancées. Les prêts à l’équipement accélèrent légèrement (+11,8% après +11,3%), soutenant l’investissement productif. À l’inverse, les crédits immobiliers stagnent (+3,2%), et les prêts à la consommation progressent timidement (+2,5%).
Les facilités de trésorerie, quant à elles, reculent de 2% après une hausse de 2,1% le mois précédent, indiquant une prudence accrue des entreprises vis-à-vis de leurs besoins de financement immédiat. Les créances en souffrance poursuivent leur lente dérive, avec une hausse annuelle de 4,6%. Leur part dans le total des crédits reste stable à 8,8 %, niveau jugé élevé et qui traduit la persistance de poches de vulnérabilité, notamment chez les petits emprunteurs.
Du côté des ressources, l’économie continue de capter massivement de la liquidité. La monnaie fiduciaire, autrement dit les billets en circulation, a progressé de près de 9% sur un an. Dans le même temps, les dépôts à vue ont bondi de plus de 10%, tirés par les entreprises (+13,7%) mais aussi par les ménages (+9,3%), qui privilégient les solutions immédiatement mobilisables.
En revanche, l’épargne longue marque le pas : les comptes d’épargne progressent à peine (+2,3%) et les dépôts à terme se replient même de 3,9% chez les particuliers, là où les entreprises les renforcent nettement (+25,4%). Cette divergence reflète des arbitrages différenciés face aux taux d’intérêt, mais aussi une prudence accrue des particuliers.
OPCVM, actifs attractifs
Les placements dans les titres d’OPCVM monétaires, bien qu’en léger ralentissement, continuent d’attirer (+13,9%), illustrant une demande soutenue pour des produits liquides à faible risque. Les sociétés privées y demeurent majoritaires, mais les ménages renforcent progressivement leur position (+14,4%).
Enfin, sur le plan des contreparties monétaires, le rapport note un affaiblissement de la contraction des créances nettes sur l’État (-0,9% après -3,4%), tandis que les avoirs officiels de réserve progressent de 8,4%, confirmant la solidité du socle externe.
Ce tableau d’ensemble laisse apparaître une économie bien pourvue en liquidités, mais dont les canaux de financement restent bridés. Entre un sentiment de prudence largement partagé chez les emprunteurs, les réallocations de portefeuille et des tensions persistantes sur la qualité des encours, autant de freins qui continuent d’entraver un véritable redémarrage du financement bancaire.
Les ménages de plus en plus friands de supports liquides
Souvent relégués au second plan dans les analyses macroéconomiques, les ménages jouent pourtant un rôle de plus en plus déterminant dans la stabilité du système monétaire. En mai, leurs dépôts à vue ont progressé de 9,3%, traduisant probablement un réflexe de prudence dans un contexte de taux jugés peu incitatifs.
À l’inverse, leurs dépôts à terme reculent de 3,9%, signe d’un désintérêt croissant pour des produits considérés comme peu rémunérateurs. Cela dit, ils sont de plus en plus friands de supports plus liquides. D’après les dernières statistiques monétaires de BAM relatives au mois de mai 2025, «les ménages ont renforcé leurs placements en titres d’OPCVM monétaires, avec une progression annuelle de 14,4%».
Ce basculement vers des placements liquides et peu exposés au risque reflète une recomposition discrète mais réelle des comportements d’épargne. Loin des projecteurs, les choix des ménages contribuent ainsi à orienter les flux monétaires avec un poids désormais comparable à celui des instruments d’action publique.
Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ÉCO