Transition énergétique : l’aviation peut-elle réellement éviter le clash climatique ?

Porté par un impératif climatique, le carburant d’aviation durable (SAF) connaît une croissance rapide, mais reste marginal face au kérosène. Dans son dernier rapport, le BCG estime que le Maroc, fort de ses atouts énergétiques et géographiques, pourrait jouer un rôle clé dans cette transition.
Dans l’industrie aérienne, chaque litre de kérosène brûlé rappelle à quel point le ciel reste encore un territoire dominé par les énergies fossiles. Face à l’urgence climatique, le carburant d’aviation durable, ou SAF, s’impose comme une promesse technique autant que politique.
Pourtant, cette promesse ne décolle pas. Comble du paradoxe, alors que les capacités de production ont bondi de 1.150% en trois ans, le SAF ne représente encore que 0,3% du kérosène consommé dans le monde. C’est en substance ce que révèle le Boston Consulting Group dans son dernier rapport, intitulé “Sustainable Aviation Fuels Need a Faster Takeoff”, lequel souligne que malgré une croissance fulgurante de la production, cette filière, toujours en phase embryonnaire, peine à changer d’échelle.
Le coût reste le principal obstacle à lever, soulignent les auteurs du rapport. Produire un SAF compétitif, notamment les e-fuels à base d’hydrogène vert et de CO₂ capté, «nécessite des investissements lourds et une chaîne logistique sécurisée».
Et pour cause, le prix à la tonne demeure nettement supérieur à celui du kérosène classique, et cet écart ne devrait pas se résorber avant plusieurs années. Ils observent qu’«en l’absence de demande, les projets peinent à trouver des financements ; en l’absence de projets, les économies d’échelle restent hors de portée». Un cercle vicieux que même les premières obligations européennes, via le règlement ReFuelEU, ne parviennent pas encore à briser, selon le rapport.
Le Boston Consulting Group, qui a interrogé plus de 500 dirigeants du secteur aérien, dans le cadre de cette étude publiée en avril 2025, constate que «deux tiers des répondants adoptent une posture attentiste». La majorité, ajoutent-ils, «ne se projette pas comme des leaders du marché des SAF d’ici 2030».
Cette prudence, écrivent-ils, s’explique par «la faiblesse du signal-prix et l’absence d’incitations suffisamment robustes», ce qui freine l’investissement et «fragilise les perspectives de production».
Les auteurs notent aussi un écart important entre ambition affichée et capacité réelle : «80% des acteurs interrogés se disent confiants dans leur capacité à atteindre les objectifs de 2030», mais «seuls 14% se déclarent prêts à affronter les obstacles à venir».
Industrie fragmentée
L’analyse évoque une industrie «fragmentée, sans chef de file désigné». Elle relève que «les équipementiers tirent l’écosystème vers le haut, tandis que les compagnies aériennes, davantage contraintes, peinent à suivre».
Dans ce contexte, rares sont les consortiums structurés capables de mutualiser les risques et de faire émerger une offre industrielle à grande échelle. Le rapport appelle à une action collective structurée. Il recommande «d’agréger la demande, de fixer des standards contractuels, de structurer l’offre industrielle et de financer l’innovation post-2030». Quatre leviers qu’il juge indissociables, mêlant «engagements privés et régulations publiques». Mais pour avancer, l’industrie doit miser sur les synergies opérationnelles et l’émergence de leaders sur l’ensemble de la chaîne.
En ce sens, les avionneurs et les énergéticiens sont explicitement désignés comme les mieux placés pour assumer ce rôle. Dans cette optique, le Royaume affiche des perspectives prometteuses. Le Royaume, rappellent les auteurs du rapport, bénéficie d’«un gisement renouvelable exceptionnel, d’infrastructures aéroportuaires matures et d’une proximité immédiate avec l’Europe». Autant d’atouts qui, selon eux, «pourraient faire du Maroc un fournisseur régional de référence en SAF».
Pour y parvenir, ils préconisent «la mise en place d’une coalition d’acteurs publics et privés autour d’une feuille de route ambitieuse, le lancement de projets pilotes adossés aux hubs logistiques du pays, ainsi que la création d’un cadre incitatif, incluant tarification carbone et contrats d’achat garantis».
«Miser sur le SAF aujourd’hui, c’est investir dans la souveraineté énergétique du pays, dans sa croissance verte, et dans la création d’emplois qualifiés pour demain», déclare Émile Detry, associé de BCG Casablanca.
Le rapport insiste également sur l’importance du calendrier. L’Union européenne impose désormais un quota de SAF dans les opérations aériennes. Les premiers acteurs à se positionner bénéficieront d’un avantage compétitif décisif. Ils préviennent toutefois que «la montée en puissance ne sera pas linéaire». Les chaînes industrielles sont complexes, les prix de l’énergie restent volatils et l’inertie des acteurs pourrait ralentir la dynamique.
Ayoub Ibnoulfassih / Les Inspirations ÉCO