Éco-Business

Textile et habillement : une baisse des chiffres à l’export qui interroge

Face à une concurrence mondiale exacerbée, le secteur textile-habillement marocain affiche une résilience mesurée en 2025. Entre croissance modeste vers l’UE (+7%), dépendance à l’Espagne, et déficit structurel avec la Turquie, les derniers chiffres disponibles révèlent l’urgence d’une transformation axée sur la valeur ajoutée et la diversification stratégique.

Alors que la concurrence mondiale redessine la carte du textile, le Maroc défend sa 8e place dans le Top 10 des bases de sourcing de l’UE avec une croissance de +7% en 2025. Un équilibre précaire qui exige désormais une mutation stratégique vers la valeur ajoutée et la diversification.

En effet, le secteur textile-habillement marocain navigue, cette année 2025, dans une phase de transformation accélérée, tiraillé entre ambitions de croissance, pression concurrentielle mondiale et impératifs de durabilité.

L’analyse des dernières données disponibles – issues d’Eurostat et de l’Office des changes – et des actions récentes de l’AMITH révèle une réalité marquée par une résilience certaine mais aussi d’importants défis structurels. Comme l’exprime Anass El Ansari, président de l’AMITH, «le mois de juin 2025 écoulé a été marqué par des avancées significatives pour le secteur, renforçant la dynamique de transformation et de rayonnement». Décryptons ce que disent véritablement les chiffres et les initiatives.

Stabilité relative dans un contexte de concurrence acharnée
Le positionnement mondial du textile marocain dans les importations de l’UE à fin avril 2025 révèle une stabilité précaire face à une concurrence exacerbée. Le Maroc conserve sa 8e place (881,7 M€), derrière les géants asiatiques – la Chine (7,88 MM€, +24% vs 2024) et le Bangladesh (7,54 MM€, +25%) – et des challengers dynamiques comme le Cambodge, dont les exportations bondissent de 45% depuis 2023.

Si la croissance marocaine reste positive (+7% vs 2024), elle est nettement distancée par les performances à deux chiffres des principaux concurrents (Pakistan +25%, Inde +22%). Une modeste progression qui reflète une compétitivité sous tension, minée par les accords préférentiels et les coûts ultra-bas de rivaux structurés.

Paradoxalement, la Turquie, 3e fournisseur européen (2,91 MM€), subit un recul significatif (-4% vs 2024, -15% vs 2023), offrant une fenêtre stratégique que l’AMITH tente d’exploiter via sa récente mission B2B «franc succès» pour séduire des acheteurs turcs. Ce contexte confirme l’urgence d’une différenciation par la valeur ajoutée plutôt que par les coûts, dans un marché où la compétition se joue désormais sur l’agilité et la montée en gamme.

Exportations marocaines : une géographie et une offre en mutation
Les exportations marocaines affichent une géographie et une offre en mutation contrastée. L’Espagne demeure le pilier incontournable (526,1 M€ en avril 2025, +13% vs 2024), confirmée par les données nationales (6,576 MMDH à fin mars, malgré une baisse de 3% en glissement annuel). Une dépendance stratégique qui souligne sa volatilité, d’autant que les autres marchés traditionnels fléchissent : la France recule en valeur (-4% en dirham), le Benelux recule (-17% en dirham) et l’Italie régresse (-14% en dirham).

Seuls l’Allemagne (+24% en euro) et le Portugal (+27% en euro) tirent leur épingle du jeu. Une diversification qui reste tout de même embryonnaire, comme en témoignent les contre-performances au Royaume-Uni (-51% en dirhams) et aux États-Unis (-11%), renforçant la pertinence des missions ciblées.

Sur le plan produit, les articles à forte intensité main-d’œuvre (tee-shirt +2%, robe +3%) résistent mieux que les segments en crise (pantalon -11%, pullover -17%). Une dynamique qui reflète une adaptation partielle aux demandes du marché, tandis que les données consolidées du textile-cuir confirment une tendance baissière persistante (-2,4% à fin mai), plus marquée pour la bonneterie (-3,1%) que pour les vêtements confectionnés (-2,1%). L’enjeu est clair : transformer l’offre pour compenser l’érosion des débouchés traditionnels.

Rencontre avec Hugo Boss : symbolique d’une stratégie de montée en gamme
La rencontre du 18 juin 2025 entre la délégation de l’AMITH, menée par son vice-président El Bahraoui Aladdine, et le CEO de Hugo Boss à Metzingen, incarne la stratégie de montée en gamme que le secteur textile marocain entend accélérer.

Alors que la marque allemande «produit déjà une partie de ses collections au Maroc», elle exprime désormais une «volonté claire de renforcer sa présence industrielle» dans le Royaume, ciblant prioritairement le segment Homme tout en explorant le potentiel du segment Femme. Une ambition qui s’accompagne d’exigences structurantes : Hugo Boss recherche des partenaires capables de répondre à ses «standards élevés de qualité, de traçabilité et de performance», soulignant la nécessité d’une transformation qualitative de l’offre marocaine.

Pour l’AMITH, cette démarche illustre sa mission proactive de «connecter les marques mondiales aux talents, au savoir-faire et aux infrastructures du Maroc textile». L’association s’engage ainsi à «faciliter l’identification de partenaires industriels qualifiés», privilégiant des entreprises «structurées» capables de bâtir des «relations industrielles solides et durables, fondées sur la confiance mutuelle».

Au-delà du volume, ce partenariat symbolise la transition du modèle marocain vers une valeur ajoutée certifiée, alignée sur les attentes des marchés premium et renforçant l’attractivité du Royaume comme hub de production compétitif et fiable dans les chaînes d’approvisionnement mondialisées.

Ce que révèlent les chiffres et les actions
L’analyse croisée des données et des initiatives sectorielles révèle quatre enseignements structurants pour le textile-habillement marocain.

Premièrement, le secteur affiche une résilience relative en maintenant sa 8e place chez les fournisseurs de l’UE et sa croissance modeste (+7% vers l’UE), notamment grâce à sa dépendance stratégique à l’Espagne (+13% en valeur).

Toutefois, cette stabilité camoufle des fragilités persistantes : une compétitivité distancée par les géants asiatiques (croissance 3 à 5 fois supérieure), un recul alarmant sur des marchés historiques (France -1%, Benelux -41%, Italie -4%), et l’érosion de segments produits clés (pantalon -11%, pullover -17%). Une asymétrie qui expose la vulnérabilité d’un modèle encore trop concentré géographiquement et insuffisamment différencié.

Deuxièmement, l’impératif de valeur ajoutée et de durabilité s’impose comme une évidence stratégique. La stagnation des volumes globaux (-8% pour l’habillement à fin mars) et le partenariat ciblé avec Hugo Boss – exigeant «qualité, traçabilité et performance» – soulignent la nécessité d’une montée en gamme.

L’engagement de l’AMITH dans l’événement «Textile marocain & décarbonation» et son insistance sur les «standards élevés» confirment que l’avenir du secteur réside dans la transition vers une compétitivité qualitative, où responsabilité environnementale et excellence opérationnelle deviennent des leviers face à la concurrence par les coûts.

Troisièmement, la diversification et le rééquilibrage commercial s’avèrent cruciaux. La dépendance excessive à l’Espagne (53% des exportations UE) et le déficit abyssal avec la Turquie (3 milliards USD) exigent des corrections structurelles. Les négociations pour réviser l’ALE avec la Turquie – ciblant le sourcing local et l’élargissement des exportations marocaines – ainsi que les partenariats en matière de formation (entre autres avec LaSalle) illustrent une réponse coordonnée à ces enjeux. L’objectif de porter les échanges bilatéraux à 5 milliards USD sous le signe de la «réciprocité» témoigne d’une volonté de transformer les déséquilibres en opportunités.

Enfin, les actions conjuguées de l’AMITH et des pouvoirs publics révèlent une politique commerciale proactive et ciblée. Les missions B2B, les rencontres stratégiques et les mesures correctives (droits de douane sur les textiles turcs) démontrent une approche offensive pour «positionner le Maroc comme partenaire fiable et compétitif», selon les mots d’Anass El Ansari. Une dynamique qui, alliant défense des intérêts industriels et projection internationale, esquisse une feuille de route claire : bâtir une industrie résiliente par la valeur, l’équilibre commercial et l’intégration dans les chaînes globales exigeantes – dépassant définitivement le paradigme de la compétition par les seuls coûts.

Quid du partenariat Maroc-Turquie dans tout ça ?
Le déficit commercial marocain avec la Turquie, avoisinant 3 milliards de dollars, constitue une vulnérabilité systémique qui est en fait l’un des principaux contributeurs au déséquilibre de la balance commerciale du Royaume. Ce déséquilibre, cristallisé par l’Accord de Libre-Échange (ALE) entré en vigueur en 2006, frappe particulièrement le secteur textile où les importations massives de tissus turcs ont longtemps érodé la compétitivité locale.

Face à cette asymétrie, le Maroc a adopté une posture défensive dès 2020, instaurant des droits de douane de 90% sur certains produits textiles turcs et des mesures antidumping sur des biens électroménagers. La 6e session de la commission mixte (qui a eu lieu à Ankara, en juin 2025) marque un tournant stratégique visant à «protéger la production locale» et à poser «les bases d’un nouveau partenariat économique, plus équilibré».

Quatre piliers structurent cette révision : la diversification des exportations marocaines vers l’agriculture et l’agro-industrie, l’incitation au sourcing local pour les enseignes turques implantées (exemple BIM), la révision des clauses de sauvegarde de l’ALE, et la création d’un Forum d’investissement maroco-turc doublé d’un mécanisme de concertation technique.

L’objectif affiché – porter les échanges à 5 milliards de dollars via «réciprocité et complémentarité» – traduit une volonté de transformer un déséquilibre historique en coopération industrielle mutuellement bénéfique, sans toutefois sacrifier les intérêts du tissu productif national.

Une transformation sous tension

Disons que les chiffres du textile-habillement marocain à mi-2025 dessinent un secteur en pleine mutation, confronté à la dure réalité de la concurrence globale mais résolu à se réinventer. Si la dépendance à l’Espagne et les déséquilibres commerciaux (notamment avec la Turquie) demeurent des vulnérabilités majeures, les actions menées – de la recherche de partenariats qualitatifs à la renégociation d’accords commerciaux et à la promotion de la durabilité – tracent une voie vers une industrie plus résiliente, plus valorisée et mieux intégrée dans les chaînes de valeur mondiales exigeantes.

Le défi, immense, est de transformer cette ambition en une croissance soutenue et équilibrée. La réussite passe par la concrétisation rapide des axes stratégiques identifiés : diversification des marchés, montée en gamme effective, résolution des déséquilibres commerciaux et ancrage dans la durabilité. L’avenir du secteur se joue sur cette capacité à conjuguer performance économique et valeur stratégique.

Bilal Cherraji / Les Inspirations ÉCO



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