Éco-BusinessTable ronde

Stratégies RH : développement des compétences, un levier de fidélisation

Le développement des compétences est devenu un enjeu stratégique autant qu’un impératif opérationnel. Il s’impose à tous les niveaux, avec des approches innovantes, intégrées et collaboratives. Plus qu’un levier de fidélisation, il s’affirme comme un pilier fondamental de résilience, d’attractivité et de compétitivité pour les organisations au Maroc.

Longtemps cantonnée aux grandes structures, la dynamique du développement des compétences s’impose aujourd’hui comme un pilier central des politiques RH au Maroc, toutes tailles d’entreprises confondues. Le contexte économique mouvant, les mutations technologiques accélérées et les aspirations changeantes des collaborateurs ont repositionné la formation, le mentoring et le talent management comme des outils incontournables non seulement de performance, mais aussi de fidélisation.

«Ce n’est plus un luxe», affirme Rachid Bakkar, directeur des Ressources humaines chez inwi.

Selon lui, la formation et le développement personnel sont désormais indissociables de la croissance de l’entreprise.

«Ce qui se faisait il y a trois ans ne se fait plus. Certaines technologies ont disparu, d’autres émergent à grande vitesse. L’intelligence artificielle, par exemple, bouleverse profondément nos façons de faire. Si l’on ne prend pas ce train, les conséquences seront visibles, pour l’entreprise comme pour le pays», alerte-t-il.

Ce constat, largement partagé, consacre le développement des compétences comme une exigence vitale. Et il ne s’agit plus uniquement de formations académiques classiques, mais de dispositifs plus immersifs, flexibles et adaptatifs. Fedoua Ikkez, directrice des Ressources humaines chez Ciments du Maroc, élargit la définition du learning.

«Ce n’est pas uniquement la formation comme on l’a connue il y a 20 ans. Pour les jeunes, ce serait même ennuyeux. Il faut innover: des assignments à l’étranger, des projets transversaux, du mentoring, du transfert d’expertise», explique-t-elle.

Elle insiste également sur le rôle central du training on the job, véritable pierre angulaire du développement par la pratique. La formation seule n’est pas suffisante. Elle doit s’inscrire dans un plan de carrière avec une vision d’évolution, une perspective. C’est là que la motivation du collaborateur trouve sa force.

Le talent management : de l’identification à l’accompagnement personnalisé
Le talent management est un autre levier majeur, comme le souligne Mourad El Gour, directeur du Capital humain Afrique chez Teleperformance.

Pour lui, «la détection des hauts potentiels permet d’anticiper les besoins futurs en leadership, de préparer des successions, de former sur les compétences rares».

Son entreprise a initié une démarche inédite dans ce sens : la formation de 15 collaborateurs volontaires au coaching certifié ICF, qu’ils pratiquent en parallèle de leurs fonctions. Cela permet d’offrir aux salariés un espace de réflexion sur leur parcours, parfois même sur leur vie.

«On a déjà constaté des résultats très positifs, visibles dans l’engagement et la transformation des coachés», atteste-t-il.

L’université, un partenaire stratégique
L’ouverture vers le monde académique est également un signal fort de l’évolution du rôle des RH. «Nous avons co-créé un centre de coaching et d’orientation avec l’Université Hassan II», poursuit Mourad El Gour.

«Aujourd’hui, les universités s’adaptent aux exigences des entreprises, elles ont des KPI liés à l’employabilité. C’est une opportunité majeure de co-construire des parcours ciblés», éclaire-t-il.

Ce partenariat entreprise-université témoigne d’une volonté commune de réduire l’écart entre la formation initiale et les besoins du marché. Il offre un levier supplémentaire pour façonner en amont des talents adaptés, agiles et rapidement opérationnels. Dans tous ces dispositifs, le collaborateur est néanmoins, et restera, l’acteur principal de son développement.

Fedoua Ikkez rappelle une vérité essentielle: «Le premier acteur dans la gestion de carrière, c’est le collaborateur. Son engagement, son ambition, son envie d’avancer, voilà ce qui détermine la réussite du plan de développement».

Ce contrat tripartite entre entreprise, RH et collaborateur repositionne l’humain au centre, dans une logique d’engagement mutuel et de co-construction de trajectoires professionnelles.

Rachid Bakkar
Directeur des Ressources humaines à inwi

«Le rythme effréné des innovations technologiques impose de réinventer constamment les modèles de développement des compétences. Ceux qui hésitent à sauter dans le train de l’intelligence artificielle risquent de se retrouver hors compétition.»

Fedoua Ikkez
Directrice des Ressources humaines à Ciments du Maroc

«La formation est un contrat tripartite qui repose sur l’implication de trois acteurs : l’entreprise, le manager et surtout le collaborateur. Ce dernier est au cœur du dispositif. C’est son envie d’apprendre, son ambition de progresser et sa volonté de contribuer au succès de l’entreprise qui donnent toute sa force au processus. Notre rôle est de soutenir cette dynamique en offrant les moyens, l’environnement et les opportunités nécessaires pour transformer cette ambition individuelle en réussite collective.»

Mourad El Gour
Directeur du Capital humain Afrique – Teleperformance

«Investir dans le développement des compétences, même pour une PME, n’est pas une dépense mais un investissement. Le retour sur investissement est évident lorsque l’on calcule le coût d’un poste vacant ou des compétences manquantes sur le long terme.»

Raouia Zaroual
Directrice Capital humain chez Les Eaux minérales d’Oulmès

«La gestion des talents n’est pas simplement une question de compétences, mais de valeurs partagées et de vision commune. La fidélisation passe par l’alignement des aspirations des collaborateurs avec les objectifs stratégiques de l’entreprise.»

Yasmine Joutel
Finance director Northern & Western Africa à JTI

«Dans un environnement professionnel dynamique, les employés doivent sentir qu’ils sont soutenus et que leur développement est au cœur des priorités de l’entreprise. C’est ce qui crée un véritable engagement et permet à l’entreprise de se distinguer sur le marché.»

Inclusion, encore du chemin

L’inclusion des personnes en situation de handicap dans le monde professionnel demeure un parcours du combattant pour les entreprises marocaines. Non pas par manque de volonté, mais du fait d’une série d’obstacles structurels, culturels et institutionnels encore trop peu adressés.

Chez Les Eaux Minérales d’Oulmès, Raouia Zaroual, directrice du Capital humain, décrit un engagement profond mais difficile. «Nous avons entamé le chantier de l’inclusion l’année dernière, en partenariat avec la coopération internationale. Nous avons dû investir pour adapter nos lignes de production, répondre aux exigences de sécurité, garantir l’accessibilité… Ce sont des investissements conséquents, mais nécessaires», relate-t-elle.

L’entreprise a commencé par intégrer des personnes sourdes-muettes, formé ses équipes à la langue des signes, et mis en place des parcours d’accompagnement spécifiques. Pourtant, même avec cette infrastructure humaine et matérielle, le véritable défi demeure le sourcing.

«Ce public n’a pas l’habitude d’être approché par l’entreprise. Ils sont eux-mêmes craintifs, hésitants. Il faut casser cette barrière psychologique, et cela prend du temps. Pourtant, on reçoit des profils formés, diplômés… mais ils ne se projettent pas dans l’entreprise. Et aujourd’hui, leur seul horizon reste la fonction publique», regrette-t-elle.

Rachid Bakkar, DRH chez inwi, abonde dans le même sens en évoquant les «angles morts» d’une inclusion souvent improvisée. Il partage une expérience révélatrice.

«On a recruté une personne non-voyante. On avait anticipé les boutons d’ascenseur en braille, mais pas l’absence de signalisation audio à chaque étage. Il ne savait jamais où il se trouvait. Ce sont des détails invisibles pour la majorité, mais essentiels pour une personne aveugle», indique le responsable.

Il évoque également les difficultés logistiques dans les exercices d’évacuation ou la gestion des mobilités verticales : «Si une personne à mobilité réduite est au sixième étage, comment l’évacuer ? Il faut des protocoles spécifiques, du matériel, des équipes formées. Mais tout cela est trop souvent pensé après coup.»

Ces témoignages mettent en lumière un fait : les entreprises les plus engagées dans l’inclusion se heurtent à un manque d’accompagnement institutionnel et à l’absence de vision systémique. L’État, soulignent les deux DRH, a un rôle déterminant à jouer, non pas en imposant des quotas, mais en construisant une stratégie nationale inclusive.

L’enjeu dépasse la simple responsabilité sociale. Il touche à l’équité et à la justice sociale, mais aussi au gaspillage de compétences. «C’est triste de voir des diplômés rester en marge alors qu’ils ont les capacités. Ce n’est pas un problème de compétence, c’est un problème de système», conclut Raouia Zaroual.

Parité, égalité : une question de société

La question de la diversité de genre n’est plus aujourd’hui une simple tendance, mais un véritable levier stratégique pour les entreprises marocaines. Portées par des dynamiques internes et des pressions sociétales croissantes, les DRH s’engagent dans une réflexion de fond sur l’inclusion réelle des femmes, bien au-delà des chiffres de parité.

Comme le souligne Rachid Bakkar, DRH d’inwi, l’entreprise ne peut plus se permettre d’ignorer les forces vives que lui offre la diversité du marché. Il rappelle que la diversité ne se limite pas au genre, mais englobe également les origines, les parcours académiques, les nationalités, et les régions.

«Aujourd’hui, dans certaines multinationales, il est devenu impératif d’avoir des conseils d’administration et des comités de direction véritablement multiculturels et mixtes», insiste-t-il.

Fedoua Ikkez, DRH de Ciments du Maroc, appelle à dépasser l’approche statistique de la diversité. Pour elle, «le vrai sujet n’est pas d’avoir un ratio hommes-femmes à l’entrée, mais d’assurer une égalité de traitement tout au long du parcours professionnel».

Pour cela, l’entreprise a mis en place des indicateurs précis : évolution salariale, mobilité, promotions… Est-ce que les courbes d’évolution hommes-femmes suivent la même tendance ? Ce n’est pas encore le cas. Mais l’objectif est clair : faire converger ces courbes.

Pour Yasmine Joutel, directrice financière Northern & Western Africa chez JTI, il ne suffit pas d’intégrer les femmes, il faut aussi les pousser à franchir certaines barrières structurelles.

«Chez JTI, nous avons mis en place des programmes de sponsorship pour les femmes techniquement prêtes à évoluer. Ce n’est ni du coaching, ni du mentoring. Il s’agit de créer un véritable appui stratégique à travers un sponsor qui ouvre des portes, qui parle d’elles, qui facilite leur accès à des fonctions de leadership», témoigne-t-elle.

Mais la question de la féminisation ne concerne pas uniquement les instances de gouvernance. Elle touche également les fonctions opérationnelles, longtemps considérées comme incompatibles avec la présence féminine.

Raouia Zaroual, directrice Capital humain chez Les Eaux Minérales d’Oulmès, relate : «On s’est donné comme mission de féminiser notre front line. Aujourd’hui, des femmes conduisent des camions, des semi-remorques, occupent des fonctions commerciales à moto. C’est une révolution silencieuse».

Une révolution qui oblige aussi à déconstruire les biais internes. «Ce sont nos propres process qui, inconsciemment, orientaient les femmes vers les circuits les plus faciles. On pensait les protéger, mais on les limitait».

Même constat du côté de Rachid Bakkar, qui cite l’exemple d’un port marocain ayant intégré des femmes dockers avec succès.

«Personne n’aurait imaginé une femme docker, et pourtant, les résultats ont été excellents. Il faut accepter de forcer les recrutements au départ pour créer les conditions de cette diversité», explique-t-il.

Finalement, comme le résume Fedoua Ikkez, «l’entreprise est le miroir de la société» L’émergence de femmes dans des métiers de terrain, autrefois impensables, comme conductrices de bus ou policières, montre bien que les lignes bougent. C’est la société qui évolue, et l’entreprise suit le mouvement.

Ilyas Bellarbi / Les Inspirations ÉCO



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