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Rémunération des administrateurs : la fiscalité des jetons de présence, talon d’Achille des entreprises

Selon plusieurs analystes, le régime fiscal actuel des jetons de présence manque de cohérence et d’équité, ce qui nuit à la clarté et à la compétitivité du cadre réglementaire marocain pour les entreprises. Pour ces derniers, une réforme s’impose pour aligner la fiscalité des jetons de présence sur leur réalité économique et juridique, et assurer une neutralité fiscale quel que soit le lieu de résidence du bénéficiaire. Détails. 

Au Maroc, la période de juillet est marquée par une effervescence autour des assemblées générales annuelles des entreprises. En effet, la fin de l’exercice comptable pour la plupart des entreprises au Maroc est fixée au 31 décembre. Les comptes doivent donc être arrêtés dans les trois premiers mois qui suivent, soit avant fin mars. Une fois les comptes annuels arrêtés, les sociétés disposent ensuite d’un délai légal de 6 mois pour tenir leur assemblée générale ordinaire annuelle et approuver les comptes.

Ce délai de 6 mois après la clôture des comptes amène donc la majorité des AG annuelles à se tenir durant les mois de juin et juillet. Nous sommes donc en plein dans la période de pointe des assemblées générales annuelles. Une période chargée pour les dirigeants, commissaires aux comptes, investisseurs et actionnaires qui doivent assister à ces réunions pour voter les résolutions. C’est lors de ces réunions cruciales que les actionnaires votent notamment pour la rémunération des administrateurs, sous forme de jetons de présence.

Or, un traitement fiscal différencié s’applique selon la résidence du bénéficiaire, soulevant des interrogations. Comme le souligne Khalil Mekouar, expert-comptable et commissaire aux comptes, «pour une personne non résidente, ces jetons sont traités comme des produits des actions et parts sociales, avec un taux d’imposition de 13,75%. En revanche, lorsqu’ils sont attribués à un résident, ils sont considérés comme des revenus salariaux et soumis à un taux de 30%». Une disparité qui interpelle les professionnels.

Attractivité ou distorsion fiscale ?
Pour certains, cette différenciation vise à «concilier l’attraction des compétences étrangères et la fiscalité domestique». Un argument d’attractivité que nuance Khalil Mekouar : «Si c’était vraiment pour un souci d’attractivité, il fallait inclure les jetons de présence dans l’article 15 du CGI (taux de 10%)».

Au-delà de l’attractivité, c’est la cohérence même du dispositif fiscal qui est remise en cause. Comme le relève Khalil Mekouar, «d’un point de vue juridique et comptable, les jetons de présence ne sont pas des prélèvements sur les bénéfices, mais une charge d’exploitation». Leur assimilation à des «produits des actions» pour les non-résidents semble donc discutable.

Il faut dire que le point soulevé par Khalil Mekouar concernant l’incohérence du traitement fiscal des jetons de présence pour les non-résidents est en effet crucial et soulève plusieurs problématiques. Tout d’abord, du point de vue juridique et comptable, les jetons de présence sont considérés comme une charge d’exploitation décidée par l’assemblée générale sur proposition du conseil d’administration. Ils ne constituent donc pas un prélèvement sur les bénéfices de l’entreprise.

Dès lors, les assimiler fiscalement à des «produits des actions et parts sociales» pour les non-résidents semble contraire à leur nature juridique et économique réelle. Une qualification fiscale qui crée une distorsion par rapport aux conventions fiscales internationales. Comme le souligne une source à la DGI ayant requis l’anonymat, les conventions de non double imposition suivant le modèle OCDE traitent les jetons de présence comme des «revenus distincts» dans un article dédié (article 16 «tantièmes»), sans les inclure dans la catégorie des dividendes. Le Code général des impôts marocain entre donc en contradiction avec ces standards internationaux.

En plus de cette incohérence juridique, le traitement fiscal actuel soulève des questions d’équité. Pourquoi appliquer un régime dérogatoire aux non-résidents pour une rémunération qui, par nature, est liée à l’exercice d’un mandat d’administrateur et non à une participation au capital ? Cette différenciation fiscale ne se justifie pas au regard de la substance économique des jetons de présence. L’argument avancé de l’attractivité des compétences étrangères apparaît donc discutable. Comme le fait remarquer Khalil Mekouar, s’il s’agissait réellement de cet objectif, un taux réduit uniforme de 10% aurait pu être appliqué, conformément à l’article 15 du CGI régissant les revenus non commerciaux perçus par les non-résidents.

Gouvernance et diversité des conseils d’administration
L’enjeu dépasse la simple fiscalité. Pour Yassine Boukouttaya, auditeur, «il serait bénéfique d’harmoniser le traitement fiscal des jetons de présence, indépendamment du lieu de résidence». Une position que partage notre interlocuteur au sein de la DGI la DGI, relevant que «les conventions de non double imposition traitent les jetons de présence comme des revenus distincts».

Au-delà de l’équité fiscale, c’est la qualité de la gouvernance d’entreprise qui est en jeu. Une fiscalité attractive pourrait permettre d’attirer des profils internationaux aux compétences diversifiées. Mais une distorsion fiscale injustifiée pourrait aussi dissuader certains talents étrangers. Une fiscalité harmonisée et équitable, comme le préconisent Yassine Boukouttaya et notre source au sein de la DGI, est en effet un prérequis pour une gouvernance d’entreprise saine et efficace.

Les conseils d’administration jouent un rôle clé dans le pilotage stratégique, le contrôle de la gestion et la protection des intérêts des actionnaires. Leur composition et leur diversité sont donc primordiales. Or, un régime fiscal discriminant selon le lieu de résidence peut dissuader certains profils de talent d’intégrer les conseils d’administration marocains. Une surcharge fiscale injustifiée pénalise leur rémunération globale et peut être perçue comme un frein à leur mobilité internationale.

À l’inverse, un cadre fiscal compétitif et équitable permet d’attirer plus facilement des administrateurs étrangers aux compétences diversifiées et à l’expérience internationale.

«Cette diversité des profils et des parcours au sein des conseils est un gage de performance pour les entreprises. Elle permet d’enrichir les débats stratégiques, d’apporter des visions nouvelles, de partager les meilleures pratiques de gouvernance issues d’autres pays ou secteurs. C’est un facteur clé de création de valeur sur le long terme», nous explique un analyste.

De plus, la présence d’administrateurs étrangers peut renforcer la crédibilité et la visibilité des entreprises marocaines à l’international. Cela facilite leur développement à l’export et leur accès aux marchés de capitaux internationaux. Enfin, au-delà de l’attractivité des talents, la qualité de la gouvernance d’entreprise impacte la confiance des investisseurs et l’image du Maroc comme place d’affaires compétitive. Un traitement fiscal cohérent et équitable des jetons de présence participe à cette crédibilité vis-à-vis des partenaires économiques internationaux.

Transparence et responsabilité
La question des jetons de présence soulève également des enjeux de transparence. Leur montant doit être approuvé par les actionnaires, garants de la bonne gestion de l’entreprise. Une rémunération équitable et transparente des administrateurs, qu’ils soient résidents ou non, est gage de responsabilité et de confiance des investisseurs.

La transparence est en effet cruciale sur ce sujet sensible. Les actionnaires, en tant que propriétaires de l’entreprise, ont le droit légitime d’être informés et de se prononcer sur la rémunération versée aux administrateurs qu’ils ont mandatés pour défendre leurs intérêts. C’est pourquoi les textes prévoient que le montant global des jetons de présence doit être approuvé chaque année par l’assemblée générale des actionnaires.

Cette exigence de transparence et d’approbation par les actionnaires est un contrepoids essentiel pour s’assurer que les jetons de présence demeurent une rémunération équitable, en phase avec la performance de l’entreprise et le travail effectif fourni par les administrateurs. Elle responsabilise les conseils d’administration vis-à-vis des actionnaires.

Cependant, pour que cette transparence soit pleinement effective, encore faut-il que les règles fiscales encadrant les jetons de présence soient claires, cohérentes et équitables, quel que soit le lieu de résidence de l’administrateur. Un régime fiscal différencié et peu lisible nuit à la compréhension des actionnaires et alimente les suspicions de traitement préférentiel. Une rémunération transparente et perçue comme équitable, au contraire, renforce la confiance des investisseurs dans la gouvernance de l’entreprise. C’est un signal fort de responsabilité et d’alignement des intérêts des administrateurs avec ceux des actionnaires.

Le Maroc pénalise-t-il ses ambitions ?

Si l’objectif d’attirer des talents internationaux au sein des conseils d’administration est légitime, les moyens actuellement mis en œuvre par la fiscalité des jetons de présence semblent discutables. Ainsi, comme le soulignent les analyses, une réforme s’impose pour assurer une cohérence, une équité et une compétitivité renforcée du cadre fiscal et réglementaire entourant la gouvernance des entreprises marocaines. Une fiscalité claire, neutre et attractive sur les jetons de présence, combinée à l’exigence de transparence, permettrait certainement de concilier les enjeux d’attractivité des compétences, de responsabilité vis-à-vis des actionnaires et de crédibilité sur la scène économique internationale. L’enjeu étant de conforter le Maroc comme hub régional.

Bilal Cherraji / Les Inspirations ÉCO

 


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