Public-Privé : Comment évoluent les salaires au Maroc ?

L’évolution des niveaux de salaires au Maroc demeure faible. Analyse de la situation du marché du travail à partir des données de BAM, l’OIT et du HCP.
C’est une mauvaise nouvelle pour les fonctionnaires du secteur public. L’évolution des salaires dans la fonction publique est négative depuis les deux dernières années. Alors que dans le secteur privé, les salaires ont connu une évolution très modérée de 0,5% en 2016, dans la fonction publique la décélération continue avec un recul de 1,4%. Globalement, l’évolution des salaires sur les deux marchés du travail est restée faible en 2016. Ces constats ont été présentés par le dernier rapport de Bank Al-Maghrib (BAM). «Le salaire moyen dans le secteur privé, calculé sur la base des données de la CNSS, a enregistré un accroissement de 0,5% au lieu de 1,3% en termes réels», note BAM. Dans le secteur public, l’évolution était plus faible en termes réels avec une baisse de 1,4% après une première de 1%. Ces évolutions se confirment par divers rapports nationaux et internationaux.
Inégalités et salaires
L’Organisation internationale du travail (OIT) publiait en février 2017 son rapport bi-annuel sur les salaires. Ce rapport indique l’évolution des salaires réels au Maroc qui était de 1,5% en 2015, en deçà de l’évolution des salaires dans le monde, évaluée à 1,7%. Sur le plan qualitatif, les conclusions de ce rapport sont alarmantes sur les inégalités salariales au travail dans le monde et se vérifient sur le marché de l’emploi marocain. L’OIT alerte contre «la stagnation des salaires moyens et le déclin de la part du travail». Cette tendance a des conséquences socio-économiques. Du côté social, «le découplage entre la croissance économique et celle des salaires implique que les travailleurs et leur famille vont estimer ne pas recevoir une part équitable des fruits du progrès économique, ce qui alimentera leur frustration», note l’OIT. Du côté économique, «la faiblesse de la croissance des salaires pèsera sur la consommation des ménages, donc sur la demande globale, surtout si les salaires stagnent en même temps dans plusieurs grandes économies», ajoute l’OIT dans son rapport de référence.
Le HCP : «Un travail précaire et peu protégé»
Les constats de l’OIT ont été confirmés par les conclusions du HCP sur la situation du marché du travail en 2016. Le HCP avait observé sur le marché du travail «un mode précaire d’insertion», ce qui se traduit par 20,5% des actifs occupés exerçant un emploi non rémunéré (travail agricole, occasionnel ou saisonnier). Quatre actifs occupés sur dix (4.325.000 personnes) travaillent plus de 48 heures par semaine au niveau national. Le marché du travail demeure également «peu organisé et faiblement protégé». Près des deux tiers des salariés (3.093.000 personnes) ne disposent pas de contrat qui formalise leur relation avec leur employeur, dont 716.000 dans le secteur des BTP (89,7% de l’emploi total dans ce secteur). 96,6% des actifs occupés ne sont pas affiliés à une organisation syndicale ou professionnelle. Dans le même chapitre, 8.344.000 actifs occupés (78,4%) ne bénéficient pas d’une couverture médicale au niveau national, 3.507.000 dans les villes (64,6%) et 4.838.000 dans la campagne (92,8%). La perception des actifs occupés sur l’emploi n’est pas satisfaisante. Près d’un actif occupé sur cinq (2.278.000 personnes) n’est pas satisfait de son emploi et exprime le désir d’en changer. Ils sont 35,1% parmi les actifs occupés qui travaillent dans le secteur des BTP (366.000 personnes). 71% d’entre-eux évoquent le niveau de rémunération, 9,4% des conditions de travail peu favorables, 9,1% l’instabilité de l’emploi et 5,1% l’inadéquation de l’emploi d’avec la formation reçue. Pour pallier à ces dysfonctionnements, l’OIT recommande de mener «des politiques salariales qui s’inscrivent dans la durée pour prévenir la stagnation des salaires, élever le niveau de rémunération des millions de travailleurs pauvres que l’on dénombre dans le monde, assurer une répartition équitable, réduire les inégalités excessives de salaires et de revenus, et conforter la consommation en tant que pilier d’économies viables». Au niveau des mesures, l’OIT propose de réguler les hauts salaires, s’attaquer aux inégalités entre catégories de travailleurs, y compris entre femmes et hommes (voir encadré) et poursuivre une politique fiscale favorable aux salariés.
Inégalités homme/femme sur le marché du travail
Le taux d’activité des femmes n’a pas dépassé 23,6% en 2016, niveau inférieur de 47,2 points de pourcentage à celui des hommes. Cet écart s’élève à 49,7 points dans les villes et à 43 points en milieu rural. En dix-sept ans, il ne s’est atténué que très légèrement avec une baisse de 1,8 point au niveau national, de 2,1 points en milieu urbain et de 1,6 point en zones rurales. Cette forte disparité concerne toutes les catégories d’âge et plus particulièrement les 25-44 ans pour lesquelles l’écart dépasse 60 points. Par niveau de qualification, cette différence ressort relativement moins élevée pour les actifs ayant un diplôme de niveau supérieur, soit 22,2 points contre 45,9 points pour les détenteurs de diplôme de niveau moyen et 56,1 points pour les sans diplômes.
«Le discours sur la hausse de la masse salariale est trompeur»
Ali Lotfi
Secrétaire général de l’Organisation démocratique du travail (ODT)
Les Inspirations ÉCO : Le rapport annuel de Bank Al-Maghrib indique une baisse des salaires dans le secteur public. Qu’en pensez-vous ?
Ali Lotfi : C’est une conséquence logique de la traversée du désert que les fonctionnaires et l’ensemble des salariés ont vécu avec le gouvernement Benkirane. Aucun centime n’a été ajouté aux salaires des fonctionnaires durant son mandat. Au contraire, les salaires des fonctionnaires a même baissé à cause de la hausse des cotisations suite à la réforme paramétrique des retraites.
Pourtant BAM note une hausse des salaires dans le secteur privé…
La hausse du SMIG dans le privé était juste l’application d’accords signés par le gouvernement Abbas El Fassi en 2011. C’est une simple mise à jour. Dans le secteur, il n’y a pas eu de hausses décidées par le gouvernement sortant. Certes, des secteurs organisés ont signé de nouvelles conventions collectives avec leurs salariés, mais ils restent rares dans une économie dominée par les PME et les TPE, où la simple application du Code du travail n’est pas toujours en vigueur.
Les différents gouvernements visent à réduire le poids de la masse salariale dans le budget. Etes-vous d’accord ?
Le discours récurrent sur la hausse continue de la masse salariale par rapport au budget de l’État est trompeur. Chaque année, on répète le chiffre de 110 milliards DH. Ce chiffre doit être analysé de près. Le non-dit dans ce discours, c’est la composition réelle de la masse salariale. Le gouvernement affirme que les salaires dans le public et le privé sont plus importants que dans d’autres pays de la région. Or, c’est faux. Il faut savoir que l’essentiel des salariés dans la fonction publique touche 3.000 DH, alors qu’une autre grande partie se situe dans les échelles 9 et 11, touchant des salaires entre 5.000 et 9.000 DH. Ces deux catégories ne disposent pas de primes et autres avantages. À l’opposée, les hauts salaires (directeurs d’établissements publics et directeurs centraux) s’accaparent une bonne partie de cette masse salariale alors que les fonctionnaires intermédiaires se trouvent fustigés comme un fardeau pour l’État. Et pour couronner le tout, on retrouve au Maroc 90.000 fonctionnaires fantômes. Nous appelons à mettre fin à ces inégalités salariales.