Présidence de la CGEM : La candidature de Marrakchi décryptée
À quelques jours du scrutin final, l’industriel change de communication et hausse le ton vis à vis de son concurrent.
«…Je suis un entrepreneur, ce qui n’est pas le cas de mon concurrent». Pour prôner sa légitimité dans la lutte pour la présidence de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM), Hakim Marrakchi ne prend pas des pincettes. Pour autant, l’actuel président de la commission internationale au sein du syndicat patronal ne veut pas entrer dans un combat de coqs avec Salaheddine Mezouar, ancien ministre et membre du Rassemblement national des indépendants (RNI), que les médias ont vite fait de considérer comme «ultra-favori».
Aujourd’hui, cet ancien banquier méconnu du grand public le dit fermement: La connaissance du terrain, des difficultés quotidiennes des entrepreneurs et des conflits avec l’administration, ainsi que l’expertise technique, sont de son côté. «Pour défendre l’intérêt des entreprises, je crois avoir un meilleur CV. Il est vrai que le candidat d’en face a été ministre de l’Industrie, mais globalement, on peut objectivement dire que son mandat était un échec». Autant dire qu’à quelques jours du scrutin final, Marrakchi ne fait plus dans la dentelle et compte appuyer là où ça fait mal. Un changement de communication qui ne s’explique pas seulement par l’arrivée proche de l’échéance électorale. En effet, l’homme a clairement changé de statut. D’outsider aux allures sympathiques face à un Mezouar, pour qui, le terrain semblait déjà balisé, il est devenu, au fil du temps, un candidat sérieux à la victoire finale.
À la question du pourquoi, il répond: «C’est relativement simple. On a du contenu, un programme sérieux. On s’inscrit dans la vision indiquée par sa Majesté, à savoir la recherche d’un nouveau modèle de développement. Il ne faut pas oublier qu’il y a une base derrière nous et une équipe pétrie d’expertise et de talents, qui a permis de sortir avec une conception nouvelle de la CGEM et un programme sérieux pour l’entreprise». En effet, alors que beaucoup au sein du syndicat patronal sont dans une logique de concession dans le cadre du dialogue social, Marrakchi lui, s’en tient à l’essentiel: «Baisser le coût du travail pour libérer l’entreprise». Une approche libérale classique, endémique au patronat, mais, qui a le mérite de l’audace dans un climat social tendu où les tenants de «l’entrepreneur roi» font profil bas. Il détaille d’ailleurs pour Les Inspirations ÉCO son programme, de la politique fiscale à la stratégie africaine des opérateurs, en passant par le nouveau rôle que veut jouer la CGEM dans le cadre de l’élaboration des politiques publiques…
Hakim Marrakchi : «Il ne faut plus taxer le travail, mais le revenu»
Les Inspirations ÉCO : Au-delà des mesures que vous comptez prendre en faveur de l’entreprise, votre programme parle d’une conception nouvelle de la CGEM. En quoi cela consiste-t-il ?
Hakim Marrakchi : Aujourd’hui, la création d’entreprises est entravée par des vicissitudes administratives et réglementaires que nous voulons lever. Le rôle du patronat est donc de faciliter la création de richesses et être proactif. On doit anticiper les changements et les évolutions. La CGEM doit disposer de plus d’expertise pour anticiper les changements. Ainsi, cette nouvelle conception est assez simple, les fédérations sectorielles vont organiser les métiers et la CGEM s’occupera de la surveillance des marchés.
Dans un climat social tendu, vous n’hésitez pas à parler de «baisse du coût du travail». Un slogan assez difficile à assumer dans le contexte actuel…
Il faut être clair : quand je parle de réduction du coût du travail, je ne parle pas de baisser les salaires. C’est un concept qui réunit à la fois la rémunération nette mais également l’impôt, les frais de transport, de santé, de l’éducation… En réalité, il ne s’agit pas de supprimer un quelconque acquis social, mais de mettre en place un nouveau système de solidarité où l’entreprise ne comble plus les défaillances de l’État. Il ne faut pas s’ôter de l’esprit que le rôle premier de l’entreprise est de créer de la richesse, mais si le coût de cette production dépasse le revenu éventuel, l’entreprise cesse d’exister. Et le constat est limpide: On ne crée pas assez de richesses au Maroc. On a 30% d’investissement et une productivité nulle. Et l’amélioration de la production représente seulement 1/6 de la croissance. Sachant que dans les pays développés et émergents, cet indicateur représente plus d’une moyenne de 4% du PIB !
Donc si vous ne comptez pas couper dans les charges sociales, comment orienter la fiscalité actuelle ?
C’est simple. Il ne faut plus taxer le travail et la production. Cela voudrait dire qu’on préfère que le produit vienne de Dubaï, Shanghai ou d’ailleurs. Il faut taxer le revenu. Toutes les entreprises, quels que soient leurs poids, et qui font face à la concurrence dans le marché international, ont des charges supplémentaires par rapport à la compétition. Une des raisons pour lesquelles les liquidations grimpent à une vitesse vertigineuse, alors que la tendance mondiale est à l’inverse. C’est révélateur d’un malaise profond vécu par les entrepreneurs que je côtoie au quotidien.
Si votre colistière Assia Benhida vient des services, vous, vous êtes un industriel. Une position que vous considérez comme un atout de poids pour votre candidature. Pourquoi ?
Parce que l’industrie est dans un état de délitement qui la rapproche de la crise cardiaque. On a un pourcentage de participation à la création de valeur de moins 13%, malgré un plan très ambitieux de l’actuel ministre, qu’il faut soutenir pour arriver à remplir les objectifs qu’il a fixés. En réalité, depuis que le Maroc a signé les accords de l’OMC à Marrakech, il n’y a pas eu d’évolution voulue au niveau réglementaire. Ainsi, les structures qui sont en marge de la loi ont pu évoluer au détriment de l’entreprise organisée. Raison pour laquelle aujourd’hui, les fédérations doivent travailler sur une meilleure réglementation des corps de métier, afin de «normaliser» l’économie au maximum et permettre aux opérateurs respectueux de la loi et qui paient leurs impôts, de tirer leur épingle de jeu; plutôt que d’être dans une lutte interminable contre l’informel.
Qu’il y ait plus de création d’entreprises, veut dire aussi qu’il y ait moins de défaillances. La réforme du Livre V du code de commerce a été adoptée, pourtant la formule en l’état était très critiquée par les professionnels…
La loi est passée, elle doit donc être appliquée. Néanmoins, les décrets d’application doivent mettre en place quelques filtres, parce qu’il y va de la responsabilité de l’entrepreneur et de la valeur de ses engagements. Il y a donc un danger et la CGEM demeure alertée quant aux différentes évolutions de ce dossier. Il ne faut pas non plus mettre en péril plusieurs entreprises pour en sauver une.
«Il n’y a pas de doctrine de commerce extérieur»
Le fait que le Maroc soit déficitaire dans quasiment tous ses accords de libre-échange, ainsi que les démarches de défense qu’il active, sont dus, selon Marrakchi à «une absence de doctrine de commerce extérieur». «Le plus grand accord que nous ayons est celui avec l’Union européenne, et c’est le moins déficitaire, mais nous donnons des avantages aux Européens qui grèvent notre compétitivité et cela n’a rien à voir avec l’Europe. Nos matières premières qu’on achète en Asie sont taxées à l’entrée. Nos investissements, lorsque nous achetons des équipements en Chine, sont taxés parce que nous voulons donner une prime aux pays fournisseurs avec qui nous avons signé des ALE». Mais le candidat ne souhaite pas pour autant être taxé de protectionnisme. «Je ne demande pas de protection, mais quand on expose nos entreprises au marché international, elles ne doivent pas être déjà grevées par la réglementation internationale». Inspiré, il tente même la métaphore: «Un match de football doit commencer par un 0-0 au coup d’envoi, la concurrence internationale aussi…».