Prélèvements sur salaires : la Covid-19 impose sa loi
Le prélèvement sur salaire était connu comme une sanction disciplinaire par le dahir du 23 octobre 1948. L’employeur pouvait effectuer des prélèvements sur salaire pour imposer le respect de son règlement de travail au sein de son entreprise. Cette mesure disciplinaire n’existe plus après le dahir n° 1-03-194 du 11 septembre 2003 portant promulgation de la loi n°65-99 relative au Code du travail. À la faveur de la Covid-19 et des dérèglements qu’elle génère, ces cas se posent souvent devant les juristes. Le point avec Abdelghani Nkaira, avocat agréé à la Cour de cassation.
La Covid-19 et les perturbations qu’elle génère favorisent la multiplication des litiges dans les rapports professionnels. L’une des pratiques les plus dénoncées est le prélèvement sur salaire. «De plus en plus de salariés nous sollicitent pour des questions sur les retenues de salaire sans consentement», relève Abdelghani Nkaira, avocat agréé à la Cour de cassation. Que dit le droit du travail marocain sur le sujet ? Le législateur a choisi de renforcer la protection du salaire par plusieurs dispositifs juridiques, dont le fait d’informer l’employé de la date de la paye. «Tout employeur est tenu d’indiquer par affiche les date, jour, heure et lieu de chaque paye et le cas échéant, du versement des acomptes. L’affiche doit être apposée de façon apparente et conservée en bon état de lisibilité (Article 368)», explique l’expert. Le droit du travail interdit aussi la compensation : aucune compensation ne s’opère au profit des employeurs entre le montant des salaires dus par eux à leurs salariés et les sommes qui seraient dues à ces salariés pour fournitures diverses, quelle qu’en soit la nature (article 385). En exception de la règle définie à l’article 357 du Code des obligations et des contrats, en cas de redressement ou liquidation, le salarié bénéficie du principe de priorité qui fait que les salaires sont payés en priorité, en cas de redressement ou liquidation judiciaire de leur employeur.
Le prélèvement sur salaire sous forme de solidarité
Néanmoins, certains employeurs se considèrent libres de diminuer les salaires, sans demander l’accord de leurs salariés. Ceux-ci imposent à ces derniers une réduction sous forme de solidarité. Hors, «il est strictement interdit de toucher aux salaires des employés sans leur accord. Il ne suffit pas de déclarer unilatéralement que le prélèvement est une solidarité avec l’entreprise, mais il faut que l’employeur ait l’autorisation expresse du salarié. Même l’accord du délégué du personnel ne suffit pas pour prendre cette décision à la place du salarié, et encore personne ne peut l’obliger à se désister d’une partie de son salaire», explique Me Nkaira. À l’inverse de l’employeur du privé, l’État bénéficie de la loi n° 2.20.292 portant promulgation des dispositions relatives à l’état d’urgence sanitaire et les modalités de sa proclamation. «Cette loi permet à l’État de prendre des mesures financières. C’est ainsi qu’il a pu justifier sa décision de prélèvement obligatoire sur les salaires des fonctionnaires. La décision de prélever trois jours sur le salaire net des fonctionnaires de l’État, des collectivités territoriales et des établissements publics, est basé sur l’article 40 de la Constitution, de l’article 5 du décret-loi n° 2.20.292», explique-t-il.
Le harcèlement et le prélèvement sur salaire
Pour l’avocat, le salarié n’est considéré comme associé ou partenaire que dans les périodes de baisse d’activité. Seul le comportement de l’employeur dans les périodes normales peut expliquer la décision du salarié dans les périodes creuses, d’accepter de se désister de son salaire. «Lorsque les employés ne reçoivent pas de récompense, comment se permettre de prendre une part de leur salaire, sans baisse des heures de travail?», interroge l’expert. Toujours selon l’avocat, un nombre important de salariés souffrent du harcèlement moral sur leur lieu de travail. «Plusieurs continuent d’être harcelés même si tout le monde vit dans la peur qui accompagne cette pandémie. À cela, s’ajoutent les prélèvements de salaire, les dégradations, demandes de rendre les voitures de fonction, des mises au placard et des discriminations dans l’application du télétravail. Certains employeurs rappellent sans cesse au salarié que nul n’est indispensable, ce qui crée un environnement d’insécurité permanent, au lieu de rassurer leur collaborateurs», fait valoir l’avocat.
Le prélèvement est interdit
Quand l’employeur procède à des retenues sur salaire non justifiées, tout en maintenant les mêmes heures de travail, il rend toute une part de travail non payée et non reconnue. Le Code des obligations et des contrats a été le premier texte de loi au Maroc à considérer le salaire comme la contrepartie du travail. Son article 723 dispose : « Le louage de services ou de travail est un contrat par lequel l’une des parties s’engage, moyennant un prix que l’autre partie s’oblige à lui payer, à fournir à cette dernière ses services personnels pour un certain temps ou à accomplir un fait déterminé. Le louage d’ouvrage est celui par lequel une personne s’engage à exécuter un ouvrage déterminé, moyennant un prix que l’autre partie s’engage à lui payer. Le contrat est, dans les deux cas, parfait par le consentement des parties.» Ainsi, les employeurs ont une obligation de payer le salaire qui correspond au travail effectué par le salarié. C’est de ce rapport que naît la nécessité de la protection du salaire, en tant qu’élément essentiel du contrat de travail, soutient l’avocat. Les employeurs qui touchent au salaire enfreignent l’article 230 du DOC, qui a confirmé la règle de droit «le contrat est la loi des parties», ou dans sa version latine «pacta sunt servanda» . Les conventions tiennent lieu de lois à l’égard des parties, ainsi qu’à l’égard du juge et du législateur. C’est l’effet de sécurité juridique et de sécurité économique, ce qui veut dire qu’une fois face à un accord de libre volonté, le contrat ne peut plus être modifié que suite à un nouvel accord de libre volonté. Le contrat s’impose aux personnes qui ont donné leur consentement et qui se sont engagées dans le contrat à verser le salaire défini. Ces dernières doivent respecter les obligations auxquelles elles sont tenues, faute de quoi le salarié serait en droit de demander une exécution forcée du contrat et d’engager une action pour demander la résolution du contrat et des réparations du préjudice selon la loi en vigueur en droit de travail. Le salaire étant un élément essentiel du contrat, il ne peut être modifié en défaveur du salarié qu’avec son consentement, explique notre expert, et ce, même si cette modification vise le prélèvement sur salaire pour une période provisoire. Et de préciser : «Toute atteinte au salaire est un acte illégal considéré comme un licenciement abusif, ce qui permet au salarié de réclamer les indemnités prévues en cas de licenciement abusif»
Des pistes de solutions pour faire face aux difficultés
La presse s’est fait le relais d’un certain nombre de pénuries de matières premières, qui dans certains cas provoque une baisse d’activité chez les entreprises. Pour faire face à cette période critique, l’entreprise dispose des solutions juridiques fixées par la loi, notamment la réduction des heures de travail, la planification de congés, le licenciement économique. Il existe aussi des solutions auprès des banques qui proposent des montages financiers personnalisés aux entreprises. La loi 25-20 a instauré des mesures exceptionnelles en faveur des employeurs et adhérents à la CNSS, ainsi que des employés déclarés impactés par les conséquences de la pandémie de la Covid-19, dans la mesure du possible, étant donné que les ressources de l’Etat ont leurs limites.
Modeste Kouame / Les Inspirations Éco