Plateformes de réserves de première nécessité : le Maroc mise sur l’économie du risque

À travers la création de douze plateformes régionales de réserves de première nécessité, le Maroc ne se contente pas de prévenir les catastrophes, il engage une mutation économique profonde. Derrière les entrepôts et les stocks stratégiques, c’est tout un écosystème industriel, technologique et logistique qui se met en place, dessinant les contours d’une économie de la résilience, appelée à devenir un avantage comparatif à l’échelle africaine.
Au Maroc, la prévention des catastrophes naturelles se mue en levier économique. Avec le lancement de douze plateformes régionales de réserves de première nécessité, le Royaume ne se contente plus de parer au risque : il redessine son économie en profondeur.
Si le séisme dévastateur d’Al-Haouz, en septembre 2023, a marqué les esprits, c’est moins par l’ampleur de ses dégâts que par le sursaut institutionnel qu’il a provoqué. Sous l’impulsion du Roi Mohammed VI, l’État a choisi d’agir en amont, en anticipant plutôt qu’en réparant. Pour cela, il injecte sept milliards de dirhams dans un maillage territorial inédit.
Dans cette enveloppe, 2 MMDH seront consacrés à la construction et 5 MMDH à l’acquisition des produits et équipements. Le projet va bien au-delà de l’urgence humanitaire : il agit comme un moteur de transformation industrielle, logistique et technologique.
Une chaîne de valeur qui irrigue l’économie locale
Derrière les entrepôts et les stocks de secours, se cache un écosystème en formation. Avec 36 entrepôts répartis sur 240 hectares dans les 12 régions, les besoins en construction, équipements, maintenance et logistique dessinent une chaîne de valeur mobilisant des dizaines d’entreprises marocaines.
Du bétonneur au fabricant de tentes, du fournisseur de matériel médical au développeur de solutions numériques, c’est tout le tissu économique qui bénéficiera de commandes publiques stratégiques. Mais l’enjeu ne s’arrête pas aux commandes. Les plateformes reposent sur un dispositif digitalisé et unifié, garantissant des délais d’intervention moyens de six heures. Un défi logistique qui oblige le Maroc à renforcer ses compétences en gestion de flux, traçabilité, intelligence artificielle et cybersécurité.
En inscrivant ces plateformes dans une vision à long terme, c’est une logique de résilience de l’économie qui prédomine. Une démarche qui, selon plusieurs économistes, pourrait devenir un avantage comparatif dans un monde exposé à l’instabilité climatique.
«Le Maroc devient l’un des premiers pays d’Afrique à institutionnaliser l’économie de la résilience, c’est-à-dire à faire de la prévention et de la gestion des risques un secteur structuré de l’économie», commente un économiste spécialisé en politiques publiques.
Cette orientation pourrait d’ailleurs séduire les investisseurs internationaux soucieux d’intégrer les critères ESG (environnement, social, gouvernance) dans leurs choix. Outre la prévention, cette stratégie permet de limiter l’impact économique des sinistres, car le risque a un coût réel. Mais comme le pays ne dispose pas encore d’institutions ou d’instituts spécialisés dans la prévention des risques, certains experts recommandent d’intégrer cette spécialité dans les cursus universitaires. Toutefois, sur le plan organisationnel, des inquiétudes persistent.
«Comme beaucoup d’initiatives impulsées par le Roi, celle-ci se veut pionnière et stratégique, mais l’exécution soulève des inquiétudes, à l’image d’autres chantiers dont les effets n’ont pas toujours été à la hauteur des ambitions affichées. L’autre défi réside dans la pédagogie, car cette initiative implique aussi une mobilisation de la société civile», prévient l’économiste.
Le gain pourrait également se manifester au niveau des produits périssables, dont les pertes se chiffrent en tonnes, faute de structures de conservation. À terme, certains observateurs estiment que le Maroc pourrait exporter son modèle, notamment vers des pays africains particulièrement exposés aux risques climatiques ou géopolitiques.
Des stocks stratégiques pour une résilience optimale
Ce sont bien des stocks stratégiques qui se dessinent : des produits et équipements spécifiquement pensés pour garantir, en cas de catastrophe, une intervention rapide et une prise en charge efficace des populations sinistrées. Des abris d’urgence à la restauration collective, en passant par l’accès à l’eau potable, à l’électricité et aux soins médicaux, tout a été prévu pour répondre aux besoins essentiels dès les premières heures. Mais l’ambition ne s’arrête pas là.
Ces plateformes visent aussi à renforcer les capacités nationales de sauvetage, grâce à des stocks d’équipements spécialisés pour faire face aux inondations, aux séismes, aux glissements de terrain, aux coulées de boue, et même aux risques chimiques, industriels ou radiologiques.
Une infrastructure conçue pour déployer des moyens lourds et adaptés, capable de basculer en mode «crise» à tout moment, selon une logique de résilience totale. En somme, derrière des entrepôts aux allures fonctionnelles se dessine une mutation discrète mais profonde, celle d’un pays qui transforme ses vulnérabilités en opportunités et qui pourrait bien redéfinir son rôle économique à l’échelle régionale.
Maryem Ouazzani / Les Inspirations ÉCO