Perspectives économiques : des voyants au vert mais un déficit qui plonge

L’économie marocaine affiche des perspectives de croissance prometteuses pour 2025-2026, portées par une demande intérieure stimulée par l’investissement et la consommation des ménages. Cet optimisme est cependant tempéré par des défis structurels, notamment le creusement du déficit commercial dû à la forte hausse des importations. De plus, la faible efficacité de l’investissement, malgré son niveau élevé, constitue une vulnérabilité majeure, interrogeant la capacité du Maroc à générer une croissance durable et soutenue.
C’est un vent d’optimisme qui souffle sur l’économie marocaine malgré le contexte d’incertitude marqué par le ralentissement mondial, les tensions commerciales et la persistance de défis structurels. Dans la foulée des différentes notes et revues de croissance émises par le HCP, BAM et d’autres institutions, les perspectives économiques pour les années 2025 et 2026 – inclues dans le Budget économique exploratoire du HCP sont prometteuses, même s’il ne s’agit pour l’heure que de prévisions. De quoi donner du tonus au moral des acteurs économiques et ménages puisque le Budget économique exploratoire pour 2026 dresse le portrait d’une économie marocaine en pleine reprise en projetant une croissance de l’ordre de 4,4% en 2025 et de 4% en 2026.
La croissance de l’économie mondiale devrait ralentir en 2025 et 2026, sous l’effet combiné de la montée des tensions commerciales, du durcissement des politiques protectionnistes, du maintien du climat d’incertitude et de la décélération prévue de la croissance économique chez les principaux partenaires commerciaux du Maroc. Cependant, l’économie nationale devrait maintenir son dynamisme en 2025 et 2026, soutenue par le redressement attendu des activités agricoles et par la consolidation des performances des activités non agricoles.
«L’économie marocaine commence graduellement à trouver sa vitesse de croisière avec un taux de croissance entre 4% et 5% » explique l’économiste Mohamed Jadri.
Tout en souhaitant que l’appareil économique garde la même cadence dans les années à venir, l’expert a rappelé que «le Nouveau modèle de développement (NMD) a insisté sur l’atteinte d’un premier taux intermédiaire de 3% à 5% pour aller vers des taux plus élevés (5% à 7%) dans les années à venir, d’ici 2035, pour doubler le PIB».
La demande intérieure booste la trajectoire de la croissance
Néanmoins, c’est la dynamique de la demande intérieure qui continue d’ancrer la trajectoire de la croissance, et ce, en tirant profit de l’amélioration des revenus et de la poursuite des efforts en matière d’investissement. La demande intérieure, qui confirme sa vigueur en tant que principal moteur de la croissance économique, y contribue à hauteur de 8,5 points (contre 4,3 points un an avant), sous l’effet de l’augmentation de la consommation des ménages (+4,4%), de celle des administrations publiques (+5,2%) et surtout de l’investissement (+17,5%).
À cet égard, la consommation des ménages devrait enregistrer une croissance de 3,6% en 2025 et de 3,4% en 2026, contribuant ainsi à la croissance de près de 2,1 points en 2025 et 2026 après 1,9 point en 2024. Elle devrait bénéficier de l’amélioration des revenus agricoles, de la revalorisation salariale actée dans le cadre du dialogue social, de l’atténuation des tensions inflationnistes, ainsi que de la poursuite des aides sociales directes.
«L’économie marocaine a montré une certaine résilience, essentiellement grâce à la demande intérieure des ménages, déclenchée par une série de facteurs. Premièrement, les efforts menés par le gouvernement et par la Banque centrale pour minimiser le taux d’inflation et le contenir entre 1% et 2%, après l’envolée à 6,6% en 2022 et 6,1% en 2023. Deuxièmement, le fruit du dialogue social et les différentes augmentations de salaires qui ont contribué à cette dynamique».
En ajoutant, «d’une part, la revalorisation de l’impôt sur le revenu qui a accordé une augmentation de salaire de manière indirecte pour les classes moyennes. Grosso modo, ces catégories ont bénéficié d’une augmentation allant de 1.000 à 2.000 DH, ce qui a permis de booster la croissance de l’économie marocaine. D’autre part, l’aide sociale directe de l’État, entre 500 et 900 DH, qui concerne quatre millions de ménages».
Pour l’économiste, «ces milliards de dirhams sont injectés dans l’économie nationale à travers la consommation des services et des produits, ce qui a permis une amélioration des revenus et du pouvoir d’achat avec une répercussion directe sur la hausse de la demande intérieure, celui-ci demeurant à l’heure actuelle le principal moteur de croissance de l’économie du pays».
Pour Jadri, «avec les autres augmentations de salaire prévues à partir de la fin du mois, la demande intérieure va jouer un rôle primordial durant les deux prochaines années pour atteindre des taux de croissance de 4% à 6% dans les années à venir».
Le creusement du déficit commercial interpelle
Cependant, derrière ces chiffres encourageants, notamment la baisse du déficit budgétaire confortée par l’amélioration des recettes fiscales (3,6% du PIB en 2025 et près de 3,4% en 2026), se cachent des défis structurels persistants. Ils tempèrent de facto l’optimisme et appellent à la vigilance. C’est le cas, notamment, du creusement du déficit commercial qui devrait connaître une aggravation, passant de 19,1% en 2024 à 19,8% du PIB en 2025, et 20,1% en 2026.
De même, le déficit en ressources devrait s’établir aux alentours de 11% du PIB en 2025 et 2026. Aussi, le déficit du compte courant devrait s’aggraver, atteignant 1,8% du PIB en 2025 et 1,9% en 2026, en tenant compte d’un ralentissement du rythme d’évolution des transferts des MRE. Ce sont les principaux points de vulnérabilité mis en lumière par le rapport puisque la vigueur de la demande intérieure, si bénéfique pour la croissance, a un revers : elle «aspire» les importations de biens d’équipement et de consommation qui devraient croître plus vite que les exportations, bridées par un environnement mondial instable.
En conséquence, la contribution de la demande extérieure nette à la croissance restera négative (-1,4 point en 2025). Le déficit commercial devrait, quant à lui, se creuser pour atteindre 20,1% du PIB en 2026, et le déficit du compte courant plongerait à -1,9% du PIB, soulignant une dépendance accrue au financement extérieur pour soutenir le niveau d’investissement national.
Le coefficient marginal du capital soulève des interrogations
L’investissement brut devrait consolider sa reprise, favorisée par la dynamique du processus de mise à niveau des infrastructures, par la poursuite de l’exécution de la nouvelle Charte de l’investissement, ainsi que par l’amélioration des conditions de financement.
Dans ce sillage, l’investissement devrait afficher une progression de 9,8% en 2025 et de 7,2% en 2026 après 10,9% en 2024, contribuant à la croissance économique de 3 points et 2,3 points, respectivement, en 2025 et 2026. Ce niveau d’investissement brut devrait représenter 31,2% du PIB en 2025 et 31,6% en 2026, induisant à un creusement du besoin de financement qui devrait atteindre de 1,8% du PIB en 2025 et 1,9% du PIB en 2026 après 1,2% en 2024.
Toutefois, l’autre vulnérabilité de l’économie marocaine est la question de la question de la formation brute de capital fixe (FBCF ) à la croissance économique, laquelle est passée de 1,7 point durant la période 2000-2009 à seulement 0,9 point entre 2010 et 2019.
En effet, bien que le taux de la FBCF au Maroc ait affiché des niveaux relativement comparables à la moyenne des pays à revenu similaire, la faiblesse persistante du rendement de cet investissement, approché par l’indicateur ICOR (coefficient marginal du capital) soulève des interrogations, selon le rapport citant la Banque mondiale, quant à son efficacité et à sa capacité réelle à générer une croissance soutenue et durable.
En effet, le rendement de l’investissement de l’économie nationale s’est significativement détérioré au cours de la période 2010-2019, durant laquelle il a enregistré un ICOR moyen de 12,5 (11,8 entre 2010 et 2023), un niveau largement supérieur à celui des pays à revenu intermédiaire. En comparaison, l’ICOR est demeuré relativement stable, autour de cinq points, pour les pays de la tranche inférieure, et s’est établi à 6,3% pour ceux de la tranche supérieure.
Rendement de l’investissement : une amélioration entre 2021-2024
Cette dégradation s’explique par le fait que malgré une amélioration du taux d’investissement au Maroc durant cette période, la performance économique ne s’est pas renforcée en proportion. En effet, le taux de croissance économique moyen s’est limité à 3,5%, contre 5,5% en moyenne pour les pays à revenu intermédiaire.
Aussi, sur la période 2000-2009, la croissance moyenne de l’économie nationale s’est établie à 4,9% pour un taux d’investissement moyen avoisinant 26,1% du PIB, ce qui correspond à un rendement moyen (ICOR) de 6,1. Un tel niveau témoigne d’une efficacité relativement plus faible selon le rapport que celle observée au niveau des pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure et supérieure qui affichaient, sur la même période, un rendement moyen plus favorable respectivement de 4,9 et de 4,7.
Par ailleurs, cette baisse traduit un affaiblissement de l’impact de l’investissement sur la dynamique de croissance. Toutefois, une amélioration a été observée sur la période 2021-2024, avec une contribution remontant à 1,2 point, portée par une accélération du rythme d’évolution de la FBCF, en lien avec le processus d’investissement massif engagé au cours des dernières années.
Yassine Saber / Les Inspirations ÉCO