Mohamed Rahj : “Avec l’été, les prix augmentent en suivant la forte demande”

Mohamed Rahj
Economiste et fiscaliste
À l’heure où l’inflation peine à reculer, voilà que l’été vient avec son lot habituel de hausse des prix, notamment des produits alimentaires et de loisirs. L’économiste et fiscaliste Mohamed Rahj explique les facteurs qui renchérissent le coût de la vie durant la saison estivale, tout en tirant la sonnette d’alarme sur l’inflation rampante qui menace la classe moyenne.
Comment expliquez-vous que, pendant l’été, les prix de consommation de plusieurs produits augmentent et dans de nombreux secteurs ?
Comme vous le savez, l’été est, par excellence, la saison de haute consommation. Cela s’explique par le fait que plusieurs occasions et cérémonies de mariages et de retrouvailles familiales ont lieu durant cette période de l’année. Et si l’on applique le principe de la loi de l’offre et de la demande, c’est évident que les prix suivent la forte demande.
Les conditions climatiques et météorologiques sont également un phénomène à prendre en compte. Comme vous l’avez constaté, récemment, un nouveau pic de consommation électrique a été enregistré le 30 juin dernier au Maroc, avec près de 8 gigawatts heures d’électricité consommés en une seule journée, soit une hausse de 5% par rapport au pic enregistré une année auparavant.
Donc, c’est tout un ensemble de facteurs conjoncturels, et d’autres structurels, qui peuvent expliquer une certaine hausse du coût de la vie durant ces mois de l’année.
Sur le plan touristique, et cela devient une habitude, les Marocains se plaignent aussi de la cherté de faire du tourisme au Maroc, par rapport à certains pays voisins ?
Vous touchez là à un vrai problème. Vous êtes probablement au courant que, ces derniers jours, une campagne de boycott commence à émerger sur certaines destinations touristiques marocaines, de la part des clients marocains eux-mêmes.
Actuellement, plusieurs vidéos circulent sur internet, où des visiteurs marocains se plaignent de cette cherté du tourisme interne. Dans une destination balnéaire, comme Saïdia par exemple, certains loueurs ont encore du mal à trouver des clients, en raison de la cherté des offres hôtelières et mêmes des appartements privés et autres résidences de vacances.
Ce n’est pas concevable qu’à l’heure où le tourisme national réalise des performances inédites, l’on peine à trouver de la place pour le tourisme domestique, qui est un véritable soutien pour le secteur dans sa globalité. Donc, je pense que ce rythme doit être freiné, car, finalement, une grande partie des Marocains qui peuvent aller voir ailleurs ne se gênent plus, en raison, entre autres, d’une offre plus compétitive.
Est-ce que cela s’explique par des pratiques mercantiles ou plutôt par l’incapacité des autorités à intervenir pour éviter que cette situation ne se répète chaque année ?
Il faut dire que c’est les deux à la fois. Le commerçant marocain aime profiter de ces situations pour augmenter ses marges et se faire beaucoup d’argent. Et cela à tous les niveaux. Durant l’été, même le vendeur de sandwichs à la plage trouve le moyen d’augmenter le prix de son sandwich. C’est un réflexe mercantile qui, hélas, se fait au détriment du consommateur final.
D’autre part, comme vous le soulignez, à juste titre d’ailleurs, l’État se montre incapable d’intervenir ou préfère ne pas se sentir concerné, alors que cela affecte les capacités financières des citoyens.
Actuellement, le coût de la vie est tel que moins de 1% des ménages marocains parvient à épargner. Même au niveau de la classe moyenne supérieure, on sent que ça devient de plus en plus difficile de joindre les deux bouts, tant les dépenses liées à la consommation explosent.
Les chiffres de l’IPC publiés par le HCP font état d’un maintien de l’inflation. Comment voyez-vous la situation évoluer dans le court et moyen terme ?
Personnellement, je ne pense pas que le gouvernement pourra arrêter ce cycle infernal de l’inflation dans le court terme. Je crains fort que l’on se sente impuissant face à la hausse continue des prix et au maintien d’une inflation qui trouve encore la force nécessaire pour affecter de plus en plus le pouvoir d’achat des ménages.
L’État ne peut pas maîtriser l’inflation, et cette inflation est, là, rampante. La classe moyenne, comme je viens de le dire, est en train de s’effriter. La logique suivie actuellement ne permet nullement de faire reculer cette inflation. Et il est regrettable que les chiffres mis en avant par le gouvernement ne soient pas forcément illustratifs du vécu réel de la population.
Heureusement que le HCP et Bank Al-Maghrib sont là pour donner une version parfois différente. Je pense qu’il faut changer de fusil d’épaule, car, à ce rythme, encore une fois, la classe moyenne ne pourra plus tenir elle aussi.
Abdellah Benahmed / Les Inspirations ÉCO