Maroc 2030 : le capital-investissement trace sa voie

À l’occasion de sa 11e Conférence annuelle, l’AMIC a dressé un état des lieux stratégique d’un secteur en pleine accélération. Alors que le capital-investissement célèbre ses 25 ans de structuration au Maroc, il s’impose désormais comme un levier décisif au service de la souveraineté économique, de l’inclusion et de la transformation industrielle. Entre consolidation des pratiques, montée en puissance des acteurs locaux et mobilisation autour du Fonds Mohammed VI pour l’investissement, l’heure est venue pour l’industrie de changer d’échelle.
Sous les lustres de la 11e Conférence annuelle de l’AMIC, les chiffres tombent, les constats s’affinent et une ambition s’affiche sans détour, celle de faire du private equity un levier décisif de l’émergence économique.
Placée cette année sous le signe de la transformation, cette édition a rassemblé près de 300 professionnels, investisseurs, régulateurs, entrepreneurs et partenaires stratégiques. Un rendez-vous à forte charge symbolique, qui marque à la fois un quart de siècle d’existence pour l’AMIC et un tournant stratégique pour le secteur du capital-investissement au Maroc.
Un secteur arrivé à maturité… ou presque
Le chemin parcouru depuis la création de l’AMIC en 1999 est considérable. Jadis embryonnaire, le capital-investissement s’est structuré au fil des réformes, des crises et des cycles économiques. L’industrie revendique aujourd’hui 33 membres actifs, 29 membres associés, plus de 320 entreprises accompagnées, et des montants cumulés levés dépassant les 30 milliards de dirhams (MMDH) sur 25 ans.
Le président de l’AMIC, Hassan Laaziri, a rappelé, lors de la séance inaugurale, que «le capital-investissement a permis d’accompagner près d’un tiers des sociétés cotées à la Bourse de Casablanca. Cela montre la profondeur de son impact économique».
Au-delà des chiffres, c’est une vision qui s’impose, celle d’un secteur capable non seulement de financer, mais surtout de transformer l’entreprise marocaine. Loin du simple apport en capital, le private equity s’affirme comme un levier de création de valeur, de structuration et d’accompagnement stratégique.
Un alignement conjoncturel favorable
L’étude stratégique «The New Transformative Path to 2030», dévoilée par L’AMIC en partenariat avec Strategy& à cette occasion, dresse un diagnostic lucide et volontariste. Le Maroc dispose aujourd’hui d’un alignement sans précédent de leviers économiques, politiques et sectoriels pour faire du capital-investissement un pilier du financement de la croissance.
D’un côté, le Nouveau modèle de développement prévoit de porter à deux tiers la part de l’investissement privé. De l’autre, les dynamiques de réindustrialisation, de transition énergétique, de digitalisation et de montée en puissance de l’export — notamment via les PME — ouvrent des besoins de financement massifs et différenciés.
Comme l’a souligné Jonathan Le Henry, associé chez Strategy&, «le Royaume bénéficie d’un momentum unique. À condition de le structurer, le capital-investissement peut devenir une colonne vertébrale de la souveraineté économique marocaine».
2024, année de bascule pour l’industrie
L’année écoulée a confirmé la vitalité du secteur. Les levées de fonds ont atteint un sommet de 3,9 MMDH. Au total, 13,8 milliards ont été levés entre 2018 et 2024, soit une progression de 50% par rapport à la période précédente. À cela s’ajoutent un triplement des montants investis ou réinvestis, une accélération du rythme des désinvestissements, et un doublement du nombre de sociétés de gestion (passées de 20 en 2014 à plus de 40 aujourd’hui). Ces chiffres traduisent une réelle dynamique de professionnalisation et de consolidation.
Pour Nasser Seddiqi, directeur du pôle Métiers à l’Autorité marocaine du marché des capitaux (AMMC), «l’année 2024 a été celle de tous les records. Mais au-delà des chiffres, c’est un tournant stratégique. Le capital-investissement est devenu un pilier du financement de l’économie. Il est temps que tout l’écosystème se mobilise pour en démultiplier l’impact.»
L’effet démultiplicateur du Fonds Mohammed VI
L’élément catalyseur de cette mutation reste le Fonds Mohammed VI pour l’Investissement. En s’engageant sur plusieurs compartiments spécialisés, notamment sur les segments intermédiaires sous-adressés, ce fonds public vise un effet de levier estimé à trois.
À l’horizon 2027, il pourrait ainsi mobiliser plus de 18 milliards supplémentaires, réorientant le paysage du capital-investissement national. Ce soutien public est stratégique. Sur les quinze dernières années, le secteur n’avait levé «que» 15 milliards.
L’injection à venir représente donc une rupture de rythme. Elle doit cependant être accompagnée d’un élargissement de la base d’investisseurs, en particulier institutionnels locaux et family offices, et d’une diversification des instruments (dettes privées, fonds mezzanine, restructuring…).
Des déséquilibres persistants à corriger
Malgré les progrès enregistrés, plusieurs signaux d’alerte subsistent. Les opérations minoritaires représentent désormais 94% de la valeur totale des deals (contre 59% entre 2006 et 2011), limitant la capacité d’influence des investisseurs sur la gouvernance. Surtout, le segment des tickets intermédiaires (entre 20 et 100 MDH), primordial pour les PME en croiss
ance, reste marginalisé. L’étude Strategy& pointe également des freins réglementaires et fiscaux toujours présents : TVA sur les frais de gestion, fiscalité groupe absente, faiblesse de la place secondaire, restrictions sur les univers d’investissement des OPCC… Autre point à signaler, la dépendance encore forte aux bailleurs internationaux (DFI), malgré une tendance à l’équilibrage.
L’implication des assureurs, caisses de retraite ou banques marocaines reste en deçà du potentiel, bridée par un manque de mécanismes incitatifs et une perception du risque encore élevée.
Un vecteur d’impact économique et social
Le capital-investissement s’impose aujourd’hui comme un véritable levier d’intérêt général, bien au-delà de sa fonction initiale de recherche de rendement. Son impact s’étend à des dimensions structurantes pour l’économie marocaine : il participe à la consolidation de filières industrielles stratégiques, favorise l’émergence de champions régionaux capables de rayonner à l’international, et accélère l’adoption des normes environnementales, sociales et de gouvernance (ESG).
En soutenant les entreprises dans leur croissance, il contribue également à la création d’emplois qualifiés et à une meilleure inclusion économique des territoires, en apportant du capital là où le financement classique fait souvent défaut.
Laaziri résume cette ambition ainsi : «Le private equity doit accompagner la mue du pays : bâtir des entreprises plus compétitives, plus responsables et plus ouvertes sur le monde. Notre vision, c’est un capital-investissement au service de la souveraineté économique et de l’inclusion.»
En 2025, le capital-investissement est entré dans une nouvelle ère. Ni marginal, ni pleinement mature, il se situe à un moment charnière. Pour qu’il devienne un moteur systémique du développement, il faudra non seulement des capitaux, mais aussi un récit partagé, un engagement durable, et une architecture cohérente d’incitations.
L’AMIC, en fédérant les acteurs et en donnant de la visibilité à l’ensemble de l’écosystème, entend jouer ce rôle d’aiguillon stratégique. Un quart de siècle après sa naissance, le capital-investissement marocain aborde son deuxième cycle avec des ambitions renforcées. Loin d’être un simple rouage financier, il s’impose comme une réponse stratégique aux défis d’une croissance inclusive, souveraine et durable. Le prochain défi sera de traduire cette vision en résultats tangibles. Le cap est fixé, l’heure est à l’exécution !
Hassan Laaziri
Président de l’AMIC
«Aujourd’hui, une nouvelle phase s’ouvre pour notre industrie, marquée par l’activation du Fonds Mohammed VI pour l’investissement. Grâce à ce levier, ce sont près de 18 milliards de dirhams supplémentaires qui devraient être mobilisés sur les deux prochaines années, soit davantage que les 15 milliards levés sur les 15 dernières années. Ces ressources serviront à financer des entreprises ambitieuses, porteuses de projets de croissance interne ou externe, à améliorer leur compétitivité, à structurer et consolider des secteurs encore fragmentés, et à favoriser leur internationalisation.»
Jonathan Le Henry
Partner chez Strategy&, Head de la région Maghreb
«L’étude que nous avons menée avec l’AMIC confirme la vitalité du capital-investissement au Maroc. En deux générations de fonds, les montants levés et investis ont été multipliés par trois. Cela démontre non seulement l’intérêt croissant pour cette classe d’actifs, mais aussi la capacité réelle du marché à absorber et déployer efficacement ces capitaux. Le capital-investissement doit désormais être reconnu comme un levier de transformation stratégique. Ce n’est pas uniquement un outil de financement, mais un moteur de croissance, d’internationalisation et de compétitivité pour les entreprises marocaines, à l’heure où le pays se prépare aux grandes échéances de 2030.»
Trois leviers pour un changement d’échelle
Pour dépasser le plafond de verre, l’AMIC et Strategy& proposent une feuille de route articulée autour de trois axes structurants :
1. Enclencher un cercle vertueux local : en portant à 70% la part des investisseurs marocains dans les levées, en mobilisant les family offices et en structurant l’épargne longue.
2. Renforcer l’attractivité du Maroc : à travers un meilleur cadre réglementaire, une visibilité accrue à l’international et la promotion de stratégies d’internationalisation des entreprises marocaines accompagnées.
3. Institutionnaliser le dialogue public-privé : avec l’AMIC comme plateforme d’interaction permanente entre autorités, régulateurs et acteurs privés, pour faire évoluer le cadre fiscal, juridique et prudentiel.
Sanae Raqui / Les Inspirations ÉCO