Lutte contre la spoliation foncière : Comment aller plus vite ?

Bien du chemin a été parcouru depuis 2016 pour contrer la spoliation foncière mais il reste encore à renforcer l’arsenal juridique, à veiller à la bonne exécution des lois et à élargir la digitalisation, selon le président du Conseil national de l’ordre des notaires Abdellatif Yagou qui appelle les Marocains à être vigilants.
Les Inspirations ÉCO : Peut-on parler d’un phénomène de spoliation foncière ?
Abdellatif Yagou : On ne peut pas parler d’un phénomène car les critères ne sont pas réunis. Il s’agit de quelques cas uniquement répondant aux critères. Lors de la première réunion de la commission en charge du dossier, il était question d’analyser la situation et de connaître comment les infractions sont commises. Il a été constaté que les cas sont limités d’après les statistiques du ministère de la Justice qui s’est basé sur les affaires soumises aux tribunaux, lesquelles ne dépassent pas 57 (soit des plaintes, soit des jugements ou des arrêts).
La société civile annonce l’existence d’autres cas…
Il se pourrait qu’il y ait d’autres dossiers qui n’ont pas encore atterri devant la justice. La société civile signale l’existence d’autres cas. Il faut déterminer si ces dossiers répondent aux critères de la spoliation mais je tiens à souligner qu’on ne peut pas parler d’un phénomène à l’heure actuelle. Et l’on espère que le nombre des cas constatés n’augmentera pas.
Mais les mesures prises par la commission restent insuffisantes pour pallier la problématique …
Elles doivent encore être renforcées. Certaines sont préventives comme des notes-circulaires entre les acteurs concernés (le ministère de la Justice, le parquet, les tribunaux) pour rester vigilant et protéger la propriété et la propriété immobilière. Quelques dispositions ont connu des modifications. Il s’agit, à titre d’exemple de l’article 2 qui a été déjà adopté sur le droit réel, lequel a exigé la forme authentique en matière de procurations et également du projet d’amendement de l’article 2 sur le droit réel qui est considéré comme portant atteinte à la propriété.
Doit-on supprimer ou amender ce fameux article 2 ?
L’Ordre national des notaires a demandé l’amendement de la loi. Nous avons demandé la suppression du paragraphe 2 de cet article pour permettre la protection aussi bien du propriétaire initial que de l’acquéreur de bonne foi. Nous avons également demandé un fonds de garantie qui va indemniser les victimes de spoliation. La publicité foncière au Maroc est basée sur la protection de la propriété et la force probante des inscriptions qu’il ne faut pas toucher sinon les dispositions légales dans leur ensemble seront bafouées.
L’indemnisation doit-elle être dédiée aux propriétaires initiaux ou aux acquéreurs de bonne foi ?
La protection de la propriété concerne le propriétaire initial. Le fonds de garantie devra être destiné pour indemniser les acheteurs de bonne foi victime d’un faux utilisé pour s’approprier cette propriété. Il est par ailleurs proposé de ne pas limiter uniquement l’indemnisation aux acheteurs de bonne foi, mais de l’étendre au propriétaire initial quand il est impossible de restituer le bien qui a été spolié. C’est la conservation foncière qui va s’occuper de ce fameux fonds.
Faut-il se contenter de l’amendement du volet législatif ?
Il s’agit d’un tout. Le renforcement de la sécurité s’impose. La nouvelle carte nationale annoncée pour bientôt vise à répondre aux critères internationaux de sécurité pour éviter la falsification. Les spoliateurs utilisent plusieurs moyens : la carte d’identité nationale, des procurations falsifiées, des actes falsifiés…L’amendement de l’article 4 du Code des droits réels vise à mettre fin à la problématique de la falsification des actes en identifiant la personne ayant émis cet acte alors qu’auparavant ces documents étaient légalisés devant les autorités sans connaître celui qui les avaient établis. À cela s’ajoutent les actes émanant de l’extérieur qui sont soumis maintenant à une procédure de vérification. En outre, il faut une bonne organisation de l’état civil. Le besoin de la digitalisation complète se fait sentir pour donner aux notaires l’accès à certaines informations en vue de les vérifier. Nous avons aussi demandé de doter les notaires de moyens leur permettant de vérifier l’identité de personnes qui comparaissent devant eux. Par ailleurs, nous avons demandé la mise en place d’un registre central électronique à l’échelon national pour publier tous les actes qui ne sont pas soumis à la publicité foncière. Un professionnel est obligé de se renseigner pour l’établissement d’un acte afin de s’entourer de toutes les mesures de sécurité. À la conservation foncière, on ne trouve pas certains éléments comme les jugements pour prodigalité ou les cas de personnes atteints de démence constatée par voie de justice dont les documents sont chez les personnes ayant la tutelle. Le registre doit aussi comporter tous les actes de mariage. Le Code de la famille permet en effet aux mariés de gérer les biens qui sont acquis pendant le mariage. On peut élargir l’idée et publier tous les actes de manière à contrecarrer la problématique de la spoliation.
Quid des nouveaux services de la conservation foncière ?
La conservation foncière nous a étonné en brûlant beaucoup d’étapes. La consultation en ligne des titres fonciers permet d’instaurer la transparence. Nous avons signé une convention avec la conservation foncière et nous sommes en train de mettre en place un interfaçage entre le système «Tawtik» et la conservation foncière afin d’organiser les échanges. C’est un autre moyen pour barrer la route à toute tentative de spoliation. En effet, plus on a accès à l’information, plus on est à l’abri de ce phénomène. La digitalisation est un moyen efficace.
Ne faut-il pas renforcer la déontologie au sein de la profession ?
Au sein du métier, les textes sont déjà là. La déontologie n’est pas suffisante à elle seule. Je tiens à souligner que le phénomène de la spoliation ne provient pas des notaires. Jusqu’à présent, aucun document n’a été falsifié par un notaire marocain. La majorité des cas sont soit des actes sous seing privé ou des actes de notoriété falsifiés sur des notaires à l’étranger (français, italiens …).