Loi sur les délais de paiement : les coûts cachés de la conformité pour les TPE marocaines
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La Loi 69-21 impose aux TPE marocaines une conformité exigeante, générant des coûts sous-estimés : révision des contrats, frais juridiques, digitalisation, gestion de trésorerie et formation. De quoi alourdir leur budget. Décryptage des postes de dépenses.
Les entreprises nouvellement soumises à la loi sur les délais de paiement ont-elles idée des coûts cachés qui les attendent pour une conformité sans faille ? Depuis le 1er janvier 2025, donc très récemment, les TPE réalisant un chiffre d’affaires (CA) entre 2 et 10 millions de dirhams sont soumises à la Loi 69-21 sur les délais de paiement. Si les obligations légales sont claires – limitation des délais à 120 jours, facturation digitalisée, déclarations renforcées –, les coûts indirects et investissements requis pour s’y conformer restent souvent sous-estimés.
Lhaj Boulanouar, expert-comptable et commissaire aux comptes, alerte dans une récente publication : «depuis le 1er janvier 2025, la Loi 69-21 s’applique également aux TPE ayant un chiffre d’affaires compris entre 2 et 10 millions DH, et impose de nouvelles règles strictes concernant les délais de paiement, notamment la généralisation de l’application de la loi à toutes les factures, quel que soit leur montant».
De nouvelles règles qui peuvent impacter leurs opérations financières, «mais une bonne préparation est essentielle pour réussir cette transition et assurer leur conformité».
Autrement dit, une bonne préparation est essentielle, mais elle exige une analyse fine des impacts financiers et opérationnels, notamment pour les TPE aux ressources limitées.
Mise à jour des contrats commerciaux
La révision des contrats pour intégrer les délais de paiement légaux semble simple, mais elle cache des coûts multiples, notamment ceux relatifs à l’externalisation juridique et de renégociation.
En effet, les TPE dépourvues d’un service juridique interne devront recourir à des avocats ou consultants pour gérer leurs besoins en la matière. Un contrat standardisé coûte entre 3.000 et 10.000 DH, selon sa complexité.
D’autres source vont même au-delà. À cela s’ajoute le fait que les partenaires commerciaux pourraient exiger des ajustements (pénalités de retard, modalités de livraison), entraînant des frais de médiation ou des pertes de clientèle en cas de désaccord.
«Les clauses relatives aux paiements doivent être mises à jour et sans ambiguïté, sous peine de litiges coûteux», souligne l’expert-comptable.
Digitalisation et automatisation, un investissement incontournable
La facturation digitalisée et le suivi automatisé des paiements sont obligatoires, mais leur mise en place génère des dépenses, notamment relatives au coût initial des logiciels, à la formation des équipes et à la maintenance technique. Le coût d’un logiciel de comptabilité dépend de facteurs tels que la taille de l’entreprise, les fonctionnalités incluses et le modèle de tarification.
Certains logiciels offrent un modèle SaaS avec une facturation mensuelle ou annuelle, tandis que d’autres proposent des licences perpétuelles avec un coût initial et des frais supplémentaires pour les mises à jour et le support. Venons au coût initial des logiciels. Les solutions certifiées (comptabilité, gestion de trésorerie) coûtent entre 5.000 et 30.000 DH/an, selon les fonctionnalités, voire plus.
Pour ce qui est de la formation des équipes, si l’on part sur la base d’un salaire moyen journalier de 200 DH, et si former un employé à un nouveau logiciel nécessite 2 à 5 jours de travail, cela pourrait revenir à un coût moyen de 2.000 à 5.000 DH par personne (salaires + formation). Pour ce qui est de la maintenance et de l’assistance technique, les coûts peuvent varier en fonction des fournisseurs de logiciels et des modèles de licence.
Pour certains logiciels, les licences incluent des mises à jour et un service d’assistance technique, mais le coût exact n’est pas évident à spécifier. D’autres fournisseurs mentionnent que les licences annuelles comprennent toutes les mises à jour et l’assistance technique pendant la période de maintenance, mais ne précisent pas non plus un pourcentage spécifique.
Les licences annuelles, souvent basées sur un tarif d’abonnement, incluent généralement les mises à jour et l’assistance technique dans les frais de licence, ce qui pourrait correspondre à l’estimation de 10% à 20% du coût annuel de la licence, selon certaines sources. Les licences perpétuelles, en revanche, n’incluent que la maintenance pour la première année, mais des frais supplémentaires peuvent être nécessaires pour continuer à recevoir des mises à jour et de l’assistance technique.
«Sans automatisation, le risque d’erreur humaine augmente, tout comme les pénalités pour non-conformité», rappelle un fiscaliste.
Gestion de trésorerie : l’impact caché du fonds de roulement
La loi impose une planification rigoureuse des paiements, mais les TPE doivent anticiper des coûts de trésorerie souvent négligés, notamment ceux relatifs à l’immobilisation de liquidités, aux coûts d’opportunité et aux outils de prévision. Quand on sait que les retards de paiement engendrent des coûts significatifs, notamment en termes de financement du besoin en fonds de roulement (BFR) et de temps passé à gérer les relances, constituer des réserves pour couvrir les retards de paiement clients est une pratique courante dans la gestion financière des entreprises.
Bloquer entre 5% et 15% du chiffre d’affaires pour faire face à ces retards peut être une stratégie prudente, surtout dans des contextes économiques incertains. Bien que les chiffres exacts puissent varier selon le secteur d’activité et la taille de l’entreprise, il est souvent recommandé de constituer des réserves pour couvrir les créances douteuses.
Bloquer 5% à 15% du chiffre d’affaires est une estimation raisonnable pour se prémunir contre les retards de paiement, surtout dans des secteurs où les délais de paiement sont plus longs ou lorsque les clients sont moins solvables. À cela s’ajoute le fait que ces réserves, non placées, génèrent une perte de rendement potentielle. Sans oublier que les logiciels de cash-flow deviennent indispensables pour éviter les pénalités de retard.
En effet, ces logiciels permettent d’automatiser les relances clients, ce qui réduit le risque de retards de paiement. Là aussi, il y a des dépenses à prévoir pour s’en équiper. L’utilisation de logiciels de cash-flow aide également à prévoir les dépenses futures. En ayant une vision claire des flux de trésorerie, les entreprises peuvent mieux planifier leurs investissements et éviter les déficits de liquidités.
Formation et responsabilisation : un temps converti en coûts
Les entreprises récemment soumises à la Loi 69-21 sur les délais de paiement «doivent nommer une personne dédiée pour veiller au respect de la loi en leur sein», explique Lhaj Boulanouar.
Autrement dit, elles doivent internaliser une culture de conformité. Ce qui prend du temps et des ressources. La formation des équipes et la désignation d’un responsable conformité impliquent des dépenses indirectes, notamment celles relatives aux heures de travail perdues pour la formation des ressources humaines, au recrutement ou à la redistribution des tâches.
Une journée de formation est généralement considérée comme équivalente à 7 ou 8 heures de formation pour un salarié. Si l’on considère 8 heures pour un salarié, alors pour 5 salariés, cela représente 40 heures de formation au total. Autant d’heures non productives, soit un coût moyen de 8.000 DH, sur la base d’un salaire moyen de 200 DH/jour.
Désigner un responsable conformité peut exiger d’embaucher ou de surcharger un employé existant, avec un risque de baisse de productivité.
Obligations déclaratives : des frais d’expertise récurrents
Même sans factures impayées, les déclarations annuelles exigent des attestations. C’est notamment le cas pour l’attestation d’expert-comptable. En effet, il est recommandé d’accompagner sa déclaration par le visa exigé par la loi pour éviter les sanctions.
Pour les entreprises avec un chiffre d’affaires supérieur à 50 millions de DH, une attestation de commissaire aux comptes est requise, ou, à défaut, celle d’un expert-comptable ou d’un comptable agréé. Ainsi, si la Loi 69-21 vise à sécuriser les relations commerciales, son application stricte représente, pour les TPE, une autre source de coûts cachés (logiciels, formation, immobilisation de trésorerie, etc.)
Pour un analyste, «ces charges et investissements sont néanmoins structurants : ils améliorent la gestion financière et réduisent les risques de contentieux».
Les TPE doivent donc considérer ces dépenses non comme une contrainte, mais comme un levier de professionnalisation dans un écosystème économique de plus en plus normé.
Bilal Cherraji / Les Inspirations ÉCO